Le Monde, 10/08/1995
HORIZONS DEBATS


Croatie : le droit, le devoir, la nécessité
par Paul Garde

La Croatie a entrepris et, semble-t-il, réussi la reconquête de plusieurs fragments de son territoire occupé depuis quatre ans par les Serbes (la Krajina). En rétablissant son autorité sur ces régions, elle exerce un droit. En le faisant aujourd'hui, et par les armes, elle accomplit un devoir et se soumet à une nécessité.

LE DROIT. La légitimité en droit international de cette réintégration n'est sérieusement contestée par personne. Aucun pays au monde pas même la Russie, pas même la Grèce ne nie que ces fragments occupés sont partie intégrante du territoire de la Croatie. Le respect des frontières internationales est un principe universellement proclamé par l'ONU et par tous les gouvernements, la prétendue " République Serbe de Krajina " n'était reconnue par personne. Il s'agit d'une affaire intérieure croate. C'est évident, mais cela va encore mieux en le disant.

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Passons sur les prétendus droits qui naîtraient de la présence dans ces régions d'une population serbe. La souveraineté croate n'en est pas plus limitée en droit international que celle de n'importe quel Etat sur ses territoires habités par des minorités : Hongrois de Roumanie et de Slovaquie, Turcs de Bulgarie, Grecs d'Albanie, etc. Dans les régions en question, les Serbes étaient en 1991 à peine plus de la moitié de la population, majoritaires ou non selon les communes : 88 % à Knin, mais 45 % à Petrinja, 29 % à Slunj, 21 % à Drnis, etc. Si dans toutes ces régions il n'y a plus que des Serbes, c'est qu'en 1991 quasiment tous les Croates, près de la moitié de la population, ont été expulsés, certains massacrés. Avec les départs spontanés de Serbes dans ces quatre années, les Serbes vivant en Krajina en 1995 sont moins nombreux que les Croates qui en ont été chassés en 1991. Le droit des minorités doit être respecté, mais il n'englobe pas celui de massacrer et d'expulser les majorités.

Le plan Vance de février 1992 plaçait ces régions sous la protection de l'ONU. Mais deux des principales clauses de cet accord (démilitarisation, retour des réfugiés) sont toujours restées lettre morte, du fait des Serbes, sans la moindre réaction de l'ONU. Ce texte était donc depuis longtemps caduc.

Ainsi les fins de l'action croate sont légitimes. Mais on peut s'interroger sur les moyens.

Avec les départs spontanés de Serbes dans ces quatre années, les Serbes vivant en Krajina en 1995 sont moins nombreux que les Croates qui en ont été chassés en 1991. Le droit des minorités doit être respecté, mais il n'englobe pas celui de massacrer et d'expulser les majorités.

LE DEVOIR. En Bosnie, les résolutions de l'ONU ont créé en 1993 six " zones de sécurité ", toutes peuplées de Bosniaques (musulmans) et menacées par les Serbes, qui, en 1992, avaient massacré et expulsé les Bosniaques des régions environnantes. L'ONU s'était ainsi chargée d'un devoir : protéger les populations de ces six villes. Pour Srebrenica, un général français avait engagé sa parole d'honneur.

Depuis deux ans, aucune des six villes n'a durablement échappé aux bombardements meurtriers. En juillet de cette année, deux d'entre elles, Srebrenica et Zepa, on été conquises par les Serbes. Destructions, massacres, viols, expulsions massives... L'ONU n'a rien empêché. On a vu des larmes de crocodile, entendu des exhortations pieuses, et puis les deux enclaves ont été passées par profits et pertes. Tout le monde a compris : maintenant ce sera le tour de Gorazde. Et aussi de Bihac, où déjà l'on meurt de faim. Les chancelleries préparaient déjà les futures protestations larmoyantes sur les morts de Bihac, les viols de Bihac.

Les Européens auraient bien voulu venir au secours de Gorazde, oui mais voilà, il leur manquait des hélicoptères américains. Pour secourir Bihac, les Croates n'ont mendié les hélicoptères de personne. Ils ont agi avec les forces qu'ils avaient, quand il fallait, là où il fallait, sur cette mince bande de leur propre territoire occupée par l'ennemi commun et d'où partait l'attaque contre Bihac. En deux jours, Bihac a été désenclavée. Diplomates, séchez vos larmes ! Une au moins des six "zones de sécurité" va finir par mériter son nom.

En deux jours, Bihac a été désenclavée. Une au moins des six "zones de sécurité" va finir par mériter son nom. L'ONU a failli au devoir qui etait le sien, la Croatie l'a rempli à sa place. Elle a fait, pour Bihac au moins, ce que nous avions promis et pas osé. Son action rend notre inaction encore plus honteuse. Est-ce pour cela que certains la réprouvent?

L'ONU a failli au devoir qui était le sien, la Croatie l'a rempli à sa place. Elle a fait, pour Bihac au moins, ce que nous avions promis et pas osé. Son action rend notre inaction encore plus honteuse. Est-ce pour cela que certains la réprouvent ?

Si les Croates avaient compté sur la négociation pour rétablir leurs droits sur le territoire de leur propre pays, Bihac aurait connu à bref délai le sort de Srebrenica. Cela justifie le moment choisi et les moyens employés.

LA NECESSITE. Le droit et le devoir intéressent les idéalistes. Adressons-nous maintenant aux réalistes.

La zone occupée jusqu'à présent par les Serbes commençait, au nord, à 50 km de Zagreb, au sud, elle atteignait presque l'Adriatique. Elle présentait une menace permanente sur la capitale, la côte, les communications. Cette situation était supportable tant que ces mêmes Serbes étaient pris à revers par les Bosniaques de Bihac. Une fois Bihac tombée, c'est un bloc serbe compact qui se serait étendu depuis la frontière macédonienne jusqu'au coeur de la Croatie, rendant le pays indéfendable. La chute de Bihac aurait signifié l'arrêt de mort d'un Etat filiforme et fragile.

Pour la Croatie, la passivité aurait été suicidaire. Tudjman, s'il avait reculé, aurait mérité l'opprobre de son peuple, condamné par cette abstention à l'asservissement. La Croatie a agi poussée par la nécessité, elle ne pouvait pas faire autrement.

L'action croate était légitime, elle était inévitable. La chute de Knin est la seule bonne nouvelle que le monde ait reçue depuis celle du mur de Berlin.

Bien d'autres questions se posent aux réalistes. Tudjman a-t-il agi en accord secret avec Milosevic ? La Serbie attaquera-t-elle en Slavonie orientale ? La reconquête croate amorce-t-elle une reconquête bosniaque ou, au contraire, un partage de la Bosnie ? Il faut se demander aussi quel sera le sort des Serbes dans les régions reconquises. Il serait indécent de faire un procès d'intention aux Croates, mais naïf de leur accorder une confiance aveugle. La vigilance est indispensable.

Cependant la réponse à toutes ces questions, quelle qu'elle soit, ne change rien à ce constat : l'action croate était légitime, elle était inévitable. La chute de Knin est la seule bonne nouvelle que le monde ait reçue depuis celle du mur de Berlin.

Caricature de Plantu parue dans Le Monde en août 1995.

On a rêvé d'un monde juste où ne régneraient que le droit et le devoir, et d'où la nécessité serait bannie. L'ONU, par son inaction et sa lâcheté en Bosnie, par ses reculades permanentes devant la loi du plus fort, par sa diabolique persévérance à renvoyer dos à dos l'agresseur serbe et les victimes croates et bosniaques, a tué, pour longtemps sans doute, ce rêve.

La Croatie, faible, menacée, dévastée, se soumet à la nécessité tout en revendiquant son droit et en accomplissant son devoir. Les reproches qui lui sont adressés sont puérils, si on songe à la situation objective. Ils sont écoeurants, si l'on pense aux états de service de ceux qui les formulent. On a honte que les dirigeants français soient de ce nombre.

Paul Garde est professeur émérite à l'université de Provence. Il est l'auteur de Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, 1992.
© Le Monde.

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