25/04/2003

ENTRETIEN
"La Croatie fut historiquement et culturellement liée à la France"

S. E. M. Bozidar Gagro, ambassadeur de Croatie en FranceL'ambassadeur de Croatie en France répond aux questions de Hrvatski Veznik, bulletin édité par le Conseil représentatif des institutions et de la comunauté croates de France (CRICCF), dans un entretien publié dans le numéro d'avril 2003. Parmi les sujets abordés, M. Gagro s'exprime sur les perspectives européennes de la Croatie, sur l'état des relations franco-croates, au plan politique, économique, culturel ou touristique, ainsi que sur le contexte régional au lendemain de l'assassinat du premier ministre serbe.

HRVATSKI VEZNIK - La Croatie vient de se porter candidate à l’entrée dans l’Union européenne. Elle espère pouvoir la rejoindre dès 2007. Quels sont selon vous les principaux atouts sur lesquels peut-elle s’appuyer ? Quelles sont aussi les principales difficultés qu’elle doit surmonter ?

Bozidar Gagro - Sans revenir sur les bons résultats qu’enregistre la Croatie au plan économique, social ou politique, qu’ils soient comparés à ceux des dix pays qui rejoindront l’Union européenne dès l’année prochaine ou à ceux des candidats restants (Roumanie, Bulgarie et Turquie), sans non plus me lancer dans un inventaire exhaustif des ressources matérielles et humaines certaines dont nous disposons, il me semble que notre atout majeur soit notre résolution à mettre toutes les chances de notre côté pour voir aboutir notre candidature et atteindre ainsi l’objectif que nous nous sommes fixé. La force mobilisatrice de cette ambition est potentiellement considérable et peut s’avérer décisive. Il faut à cet égard se souvenir que la Croatie figurait en 1990 parmi les pays « en transition » les mieux placés pour concourir à l’intégration européenne. Si la guerre fut la principale raison du retard accumulé elle ne fut pas la seule, et nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer un certain manque d’ambition, de détermination à mener les réformes nécessaires par le passé.

A présent, face à l’objectif européen clairement affiché, les velléités conservatrices, isolationnistes voire rétrogrades encore présentes en Croatie semblent fondre comme neige au soleil. Néanmoins, bien que le volet politique et les progrès que nous devons accomplir dans ce domaine soient mis en avant, j’estime que c’est au plan économique, avec toutes les répercussions sur le plan social que cela suppose, que nous attend la tâche la plus ardue.

Le président croate Stjepan Mesic s’est récemment personnellement rendu à Paris où il a notamment demandé le soutien de la France à la candidature de la Croatie. Ce fut aussi la quatrième rencontre des deux présidents depuis 2000. Peut-on parler de lien privilégié entre l’Elysée et Pantovcak ?

J’observerais pour ma part que, pour essentielles qu’elles soient, les très cordiales relations personnelles qu’entretiennent les deux présidents ne sont que la traduction la plus éminente d’une dynamique plus large de rapprochement entre Paris et Zagreb, qui s’est accélérée depuis quelques années. Il est incontestable que l’installation du président Chirac à l’Elysée a marqué un tournant quant à la politique française à l’égard de la Croatie et de toute la région. Mais c’est au lendemain du renouveau démocratique opéré en Croatie début 2000 que cette nouvelle donne a pris tout son relief. Comme d’autres pays de l’Union européenne, la France a salué non seulement la mutation qui s’est produite en Croatie, mais également la valeur d’exemple qu’elle pouvait avoir pour l’ensemble de la région. Les changements qui ont suivi chez nos voisins, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, mais aussi le mode règlement des questions internes en Macédoine, voire au Kosovo, n’ont fait que souligner l’importance de l’exemple croate. Etant donné que la France privilégie une approche d’ensemble à l’égard d’une région qu’elle souhaiterait voir entièrement stabilisée au plus tôt, il n’est pas surprenant qu’elle apporte son soutien à une Croatie qui aspire aujourd’hui à développer sa coopération, assume toutes ses responsabilités et affiche sa détermination à aller de l’avant.

On assiste depuis quelque temps au retour des touristes français sur la côte dalmate, notamment à Dubrovnik. Comment analysez-vous ce phénomène dans le cadre plus général du développement des relations bilatérales franco-croates ?

D’un point de vue sectoriel, c’est une excellente nouvelle. Ainsi en 2002 l’augmentation du nombre des touristes français a atteint le taux exceptionnel de 80 % avec 135 000 visiteurs, même si la base est encore relativement modeste (75 000 visiteurs en 2001). Plus largement, il s’agit du retour attendu des touristes de plusieurs pays d’Europe occidentale qui avaient perdu l’habitude de se rendre en Croatie pendant et au lendemain de la guerre, au début des années 1990. Dans le cas de la France, cette redécouverte de la Croatie revêt la forme d’un vrai engouement et l’on peut même parler, je crois, d’un certain effet de mode. Et comme, d’une part, les médias suivent en dépit d’une publicité mesurée et que, d’autre part, le public qui s’intéresse à la Croatie est plutôt exigeant, prisant autant l’aspect culturel que son environnement préservé, il en résulte finalement un impact très positif sur l’image globale de la Croatie. A l’évidence, l’accroissement de la visibilité de notre pays ne peut qu’avoir des effets bénéfiques sur le développement de nos relations bilatérales avec la France, qu’elles soient culturelles, économiques ou politiques.

Les entreprises françaises semblent aussi s’intéresser de plus en plus au marché croate. Les relations économiques entre les deux pays sont-elles selon vous satisfaisantes ?

Nous en avons une analyse à la fois assez ambitieuse et complexe. Après une période de croissance des échanges entre 1998 et 2001, on a assisté à une stagnation autour d’un volume d’échange s’élevant environ à un demi milliard d’euros et des investissements annuels oscillant autour de 20 millions d’euros. Je dirais que les deux pays se cherchaient sur le plan économique. Plusieurs raisons à cela. Côté français les intermédiaires choisis ne furent pas toujours les plus fiables. Côté croate, outre un déséquilibre structurel des exportations marqué par une tendance à privilégier les principaux partenaires, Italie et Allemagne en tête, on peut constater une certaine timidité liée au manque de connaissance du marché français, frilosité renforcée par un handicap linguistique puisque le français est, hélas, rarement pratiqué dans le domaine des affaires.

Dans un commentaire paru il y a tout juste un an, j’avais résumé l’état de la coopération économique franco-croate en ces termes : « Pas mal, mais peut mieux faire ! ». La tendance actuelle semble me donner en partie raison. Ainsi en 2002, hormis le bond enregistré dans tourisme, les échanges commerciaux bilatéraux ont progressé de 27,3 %, atteignant 758 millions d’euros, tandis que les investissements français en Croatie ont presque triplé, pour atteindre près de 60 millions d’euros. Mais là où le bât blesse, c’est que les exportations croates ne représentent qu’un petit quart de ce volume, alors même que le déficit croate continue de se creuser. Si les exportations françaises ont progressé de 39,5 % les exportations croates, elles, ont fléchit de 2,5 %. En somme, nous nous réjouissons de cette reprise, mais cela ne doit pas nous empêcher de poursuivre nos efforts pour corriger ce criant déséquilibre.

En tant que francophile reconnu et ancien ministre de la Culture, vous mesurez mieux que d’autres l’importance qu’il y a pour la Croatie à resserrer ses liens avec la France, que ce soit sur le plan culturel, ou en ce qui concerne l’enseignement du français. Qu’en est-il au juste dans ces deux domaines ?

Point n’est besoin ici de revenir sur les nombreux épisodes du passé qui témoignent à quel point la Croatie fut historiquement et culturellement liée à la France. Contrairement à ce que pourraient suggérer certains clichés éculés quoique encore vivaces, ces liens furent malgré tout étroits tout au long du XXe siècle, en dépit du cadre yougoslave dans lequel ils s’inscrivaient nécessairement. L’engagement aux côtés de la Croatie des intellectuels français – tel Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Paul Garde, pour n’en citer que quelques-uns – au début des années 1990, n’a pas d’équivalent ailleurs. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Dernier en date, l’Université de Zagreb décernera dans quelques jours, le 17 avril prochain, le titre de docteur honoris causa à l’ancien ministre français de la justice, Robert Badinter, qui notamment présida la fameuse « Commission Badinter » dont le rôle fut décisif pour la reconnaissance internationale de l’indépendance de la Croatie. Autant dire que dans la période récente, la France et les Français ont laissé des traces profondes dans l’histoire contemporaine de notre pays. Aussi avons-nous toutes les raisons de continuer à vouloir approfondir et diversifier nos relations avec ce grand pays européen.

Au moment où nous frappons à la porte de l’Union européenne, soucieuse de son rayonnement culturel, la France s’oppose avec conviction et détermination au processus de nivellement induit par la mondialisation qui, on peut le déplorer, véhicule avant tout les stéréotypes américains les plus contestables. Un pays de notre taille qui veut se prévaloir de son identité culturelle et de son riche patrimoine ne peut que souscrire à une politique visant à préserver la diversité qui fait la richesse des cultures du monde entier. Dans cette perspective, et afin de résister au risque d’uniformisation qui nous guette aujourd’hui, il est primordial d’assurer aux grandes langues européennes, au français et à l’allemand en premier lieu, la place qui leur revient de droit au sein de notre propre culture nationale. On peut regretter qu’actuellement ces langues, et notamment le français, soient en mauvaise posture. Mais c’est aussi un encouragement de constater que la volonté de vouloir changer les choses est de plus en plus partagée en Croatie.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation régionale dans les années à venir, notamment en Bosnie-Herzégovine, et pensez-vous que l’attentat qui a coûté la vie au Premier ministre serbe, Zoran Ðindic, aura des répercussions au-delà des frontières serbes ?

L’assassinat du chef du gouvernement serbe est sans doute un événement qui dépasse le cadre de la Serbie elle-même. Le lieu, les circonstances, tout laisse à croire qu’il ne s’agit pas de l’acte d’un déséquilibré, mais d’un groupe organisé. Ce meurtre annoncé obéit à une logique structurelle commune à l’extrémisme politique, aux seigneurs de guerre et miliciens d’hier, et à la criminalité organisée. Si la situation politique en Serbie n’est pas comparable avec celle de la Croatie, on ne peut s’empêcher de constater que certains groupuscules, certes marginaux, n’ont pas hésité à proférer des menaces à peine voilées à l’encontre des représentants les plus hauts de notre État, coupables, selon eux, de ne pas avoir satisfait à telle ou telle de leurs exigences. En relayant sans retenue l’extrémisme verbal qui use et abuse de son droit à la parole publique, certains médias de notre pays prennent le risque de faire le jeu des options les plus radicales.

Pour l’heure, il est encore difficile de savoir si cet événement tragique donnera un coup d’arrêt au processus de stabilisation chez nos voisins ou si, au contraire, il provoquera un sursaut, une mobilisation, et suscitera auprès des forces démocratiques serbes une nouvelle détermination à vouloir assurer le fonctionnement normal de l'État et poursuivre leur politique européenne. Nous formons le vœu et gardons espoir que cette dernière possibilité se réalise. Toute instabilité intérieure dans notre voisinage immédiat, et en particulier en Serbie-Monténégro et en Bosnie-Herzégovine, pourrait avoir en Croatie même des répercussions qui ne peuvent qu’être néfastes et dommageables.

Si des conséquences directes sont peu probables, exception faite des investissements et des intérêts économiques croates relativement limités, les effets négatifs sur l’ensemble de la région sont, quant à eux, inévitables. Le gouvernement comme l’opinion publique croate n’ignorent pas que la stabilité globale de la région se répercute automatiquement sur la position de notre pays et qu’il y va de notre intérêt de voir chacun de nos voisins progresser aussi vite que possible. L’heure est venue de nous montrer solidaires de nos voisins, de nous réjouir de leurs avancées souhaitables et de regretter leurs possibles déboires ou échecs.

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