10/12/2005
TRIBUNAL
DE LA HAYE
Ante
Gotovina arrêté en Espagne
L'ancien général croate,
en fuite depuis son inculpation par le TPIY en 2001,
a été transféré au Tribunal
de La Haye
L'ancien
général croate Ante Gotovina, en fuite
depuis son inculpation par le TPIY, en juin 2001, pour
crimes de guerre, a été appréhendé,
le 7 décembre, par la police espagnole sur l'île
de Ténérife, dans l'archipel des Canaries.
Arrêté sans opposer de résistance
dans un hôtel de Playa de las Americas, l'ancien
officier supérieur croate a été
transféré, le 10 décembre, au
Tribunal de La Haye devant lequel il devrait comparaître
dès le 12 décembre. Selon Zagreb, cette
arrestation vient confirmer la bonne foi des autorités
croates qui, depuis 2001, n'ont cessé d'affirmer
qu'aucun indice tangible n'indiquait qu'il se cachait
en Croatie ni cessé d'exprimer leurs doutes
quant à ces rumeurs. Les cachets retrouvés
sur ses faux passeports semblent indiquer qu'il aurait
séjourné à Tahiti, en Argentine,
au Chili, en Chine, Russie, République tchèque,
Mauritanie et à l'Île Maurice. En mars
2005, des rumeurs selon lesquelles il serait caché
en Croatie avait conduit quelques pays membres de l'UE
à demander le report du lancement des négociations
d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne,
ouvertes finalement le 3 octobre dernier. Compte tenu
des qualifications employées dans l'acte d'accusation
pour caractériser les opérations militaires
ayant conduit à la libération du territoire
croate en 1995, le gouvernement croate annonce son
intention d'utiliser l'instrument de l'Amicus Curiae
prévu par les statuts du TPIY.
LE
CAS GOTOVINA |
Le
général Gotovina
a été inculpé de crimes
de guerre et de crimes contre l'humanité
par le TPIY, le 21 mai 2001, pour son rôle
de commandant de la Zone opérationnelle
de Split durant l'opération "Tempête",
déclenchée en août 1995 afin
de libérer les territoires de la Croatie
occupés par l'armée et les paramilitaires
sécessionnistes serbes depuis 1991.
Nommé Inspecteur général
de l'armée croate le 12 mars 1996, il
a été mis à la retraite
le 29 septembre 2000.
Initialement
confidentielle, l'accusation a été
rendue publique le 26 juillet 2001. Le 23 juillet
2001, le Tribunal de grande instance de Zagreb
a délivré un mandat d'arrêt,
suivi le 21 août par Interpol. Néanmoins,
le général Gotovina, sans doute
alerté par des rumeurs, avait pris la
fuite peu avant et n'était pas réapparu
depuis. Ancien légionnaire, ayant acquis
la nationalité française à
ce titre, il s'était vu renouveler son
passeport français, le 11 avril 2001,
six semaines avant son inculpation.
Offre
de reddition
Depuis,
les plus hautes autorités croates l'avaient
publiquement appelé à se rendre
à La Haye. La police avait mis ses proches
et ses avoirs sous étroite surveillance
dans l'intention de retrouver sa trace. Jusqu'ici
sans succès.
En
juin 2003, un journaliste de l'hebdomadaire croate
Nacional parvient cependant à entrer en
contact avec lui et à l'interviewer "dans
un pays de l'UE", selon ses dires. Il y
déclare notamment ne poser aucune condition
quant à sa reddition si ce n'est celle
d'être entendu à Zagreb en tant
que suspect et non comme inculpé, comme
cela a été le cas pour d'autres,
affirmant que cela "réparerait l'injustice
qui lui a été faite". Jugée
inacceptable, cette perspective est rejetée
par la Procureure du TPIY. Ce fut son dernier
signe de vie jusqu'à son interpellation.
Entre-temps,
le 28 août 2003, la résolution 1503
du Conseil de Sécurité cite pour
la première fois son nom, aux côtés
de ceux des ex-chefs de guerre bosno-serbes,
Ratko Mladic et Radovan
Karadzic, accusés de génocide
en Bosnie-Herzégovine, où près
de 200.000 personnes ont été tuées.
Dès lors le cas Gotovina, jusque-là
relativement secondaire, devient une des affaires
prioritaires pour le TPIY, au même titre
que ceux de Karadzic et Mladic. Le 24 février
2004, le TPIY modifie
néanmoins l'acte d'accusation initial,
raccourcissant notamment de moitié la
liste des victimes fournie en annexe. Auparavant,
certaines d'entre elles, présumées
mortes, avaient été retrouvées
en vie.
Mobilisation
Peu
après, le gouvernement croate fixe à
50.000 euros la prime pour toute information
susceptible d'aider à sa localisation
et à son interpellation. A cet effet,
deux lignes téléphoniques spéciales
joignables 24h/24 sont mises en place à
la cellule du ministère de l'Intérieur
chargée de coordonner les efforts de recherche.
La totalité des 22.000 policiers croates
reçoivent des consignes
réclamant d'eux la plus haute mobilisation
sur cette affaire et leur enjoignant de signaler
tout indice susceptible de retrouver sa trace.
Chaque rumeur est en effet systématiquement
vérifiée, même la plus fantaisiste.
Etant
donné que les noms de plusieurs pays d'Europe
et d'Amérique ont circulé, la police
croate avait demandé l'aide des pays concernés.
Le gouvernement croate avait même proposé
l'établissement d'une "task force"
réunissant les services européens,
qui serait chargé de le retrouver. Ainsi,
et à titre d'exemple, pour le seul mois
de février 2005, la police croate avait
procédé à plus de 2200 perquisitions
et vérifications, 65 000 contrôles
ciblés de voitures, 3 000 inspections de
bateaux, 23 000 contrôles de personnes
aux frontières (cette intensification des contrôles
ayant entraîné une baisse de la criminalité de
10%).
Pays
le moins sûr
Malgré
ces efforts, aucune piste indiquée, anonyme
ou provenant du TPIY, ne s'était jusqu'à
présent révélée convaincante
ni digne de foi. S'alignant sur une mesure européenne
d'octobre 2004 permettant de geler les avoirs
des personnes inculpées par le TPIY, une
loi similaire a même été
votée en Croatie, afin de l'appliquer
au cas Gotovina. Le président croate Stipe
Mesic a souligné cependant à plusieurs
reprises que la Croatie était certainement
le pays le moins sûr pour Gotovina, compte
tenu du fait qu'il y serait reconnu par le premier
venu. N'étant pas en mesure produire l'impossible
preuve de sa "non-présence"
sur le territoire croate, Zagreb a tout au plus
pu faire part de ses fortes présomptions
laissant penser que Gotovina ne s'y trouvait
pas.
"En
l'absence d'un commun accord", le Conseil des
ministres de l'Union européenne réuni à Bruxelles
le 16 mars 2005, avait décidé de reporter l'ouverture
des négociations d'adhésion avec la Croatie,
qui devaient commencer le lendemain. Cette décision
intervenait en dépit des efforts entrepris par
le gouvernement croate pour localiser l'ancien
général Gotovina, condition qui constituait la
seule exigence du Tribunal, sur plus de 600 à
n'avoir pas été honorée par la Croatie.
Plan
d'action
En
avril 2005, la proposition du Premier ministre
croate, Ivo Sanader, d'établir une "task
force", réunissant les présidences
actuelles et futures de l'UE et chargée
d'évaluer la mise en oeuvre d'un Plan
d'action ad hoc du gouvernement croate,
est adoptée. En dépit de rumeurs
invérifiables selon lesquelles Gotovina
se trouverait en Croatie, et qui ont pu semer
le trouble sur la sincérité du
gouvernement croate, la Procureure générale
du TPIY s'est finalement convaincue de la pleine
coopération du gouvernement croate, le
3 octobre 2005, levant le dernier obstacle à
l'ouverture des négociations d'adhésion
de la Croatie avec l'UE.
Le
7 décembre, après plus de quatre
ans de cavale, Ante Gotovina a été
arrêté par la police espagnole aux
Canaries, sans opposer de violence. Selon El
Pais, neuf policiers ont encerclé la table
du restaurant de l'hôtel où il dînait
en compagnie d'un ami. "Ante Gotovina?",
lui demanda l'un des agents, rapporte le quotidien
espagnol. "Oui, c'est moi", aurait-il
répondu, ajoutant à l'adresse de
son ami : "Il fallait bien qu'ils me trouvent
un jour". |
Communiqué
du gouvernement croate
"La
Procureure générale du Tribunal pénal
international de La Haye a porté aujourd'hui
à la connaissance des autorités de la
République de Croatie qu'Ante Gotovina avait
été arrêté sur le territoire
espagnol.
L'arrestation de M. Gotovina en Espagne vient confirmer
le bien-fondé des affirmations répétées
des autorités croates selon lesquelles M. Gotovina
ne se trouvait ni à leur portée ni sur
le territoire croate. Cela vient en outre conforter
la crédibilité de la République
de Croatie et de son administration, et confirmer sa
pleine coopération avec le Tribunal de La Haye.
Tous
ceux qui avaient fait confiance à la Croatie
et l'avaient soutenu au moment où ses efforts
quant à sa coopération avec le tribunal
de La Haye étaient mis en doute, n'avaient donc
pas eu tort. De toute évidence, il apparaît
aujourd'hui que ces doutes n'étaient pas fondés.
Nul ne saurait être au-dessus des lois ni à
l'abri de la justice. L'État de droit est l'un
des principes fondamentaux sur lesquels est fondée
la République de Croatie, qu'il s'agisse de
ses lois nationales ou bien de ses engagements internationaux.
Cela inclut notamment la Loi constitutionnelle relative
à la coopération avec le TPIY adoptée
par le Parlement croate dès avril 1996.
Quiconque est mis en cause par la justice a le devoir
de se présenter devant le tribunal et de répondre
aux accusations portées à son encontre.
La présomption d’innocence - selon laquelle
toute personne est présumée innocente
tant que sa culpabilité n'a pas été
établie - s'applique à tous, et par conséquent
à ce cas particulier comme à un autre.
Il est de notre plus grand intérêt à
tous, en Croatie, que toute la vérité
soit faite. La Guerre patriotique fut une guerre défensive,
juste, légitime et de libération. La
Croatie fut victime d'une agression et avait à
ce titre le droit à la légitime défense
et celui de libérer ses territoires occupés.
La
République de Croatie suivra avec la plus grande
attention les développements ultérieurs
liés au cas Gotovina, tout en continuant à
coopérer pleinement avec le Tribunal de La Haye.
Elle entend utiliser l'instrument légal de l'Amicus
Curiae dans tous les procès intentés
à des citoyens croates."
Zagreb,
le 8 décembre 2005.
REVUE
DE PRESSE
06/12/2005
LE
FIGARO
Fin
de cavale pour le général Croate Ante
Gotovina
L'ancien
officier de l'armée croate, inculpé pour
crimes de guerre par le Tribunal pénal international,
a été arrêté mercredi soir
en Espagne. Il partira samedi pour La Haye par un vol
militaire.
Isabelle
Lasserre
ON
LE PENSAIT caché dans le sud-est
de la France, dans un monastère en Croatie
ou en Corse. C'est en Espagne, aux Canaries, que le
général croate Ante Gotovina a ressurgi.
Il a été arrêté mercredi
soir «en quelques secondes et sans aucun incident»,
selon le ministère espagnol de l'Intérieur.
L'interpellation a eu lieu dans le restaurant d'un
hôtel de luxe de La Playa de las Americas, au
sud de Tenerife. L'ex-général avait sur
lui un passeport croate falsifié au nom de Kristijan
Horvat. Selon des sources sûres, il se cachait
en Espagne depuis la fin du mois de septembre, au moins.
Carla Del Ponte, le procureur du Tribunal pénal
international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie, a annoncé
la nouvelle... depuis Belgrade, où elle effectuait
une visite.
Ante Gotovina devait brièvement comparaître
hier soir devant la justice madrilène, avant
d'être transféré au TPI de La Haye,
qui l'a inculpé en 2001 de crimes de guerre
contre des Serbes de Croatie. A l'époque des
faits, en 1995, Gotovina commandait les forces croates
de la région de Split, au moment où Zagreb
lançait l'opération «Tempête»,
qui a permis à Zagreb de reprendre le contrôle
de la Krajina, une région croate occupée
par les Serbes depuis 1991. Selon l'acte d'accusation
du TPI, 150 Serbes ont été tués
au cours de l'offensive.
Au
regard des crimes commis par Radovan
Karadzic et Ratko Mladic, les anciens chefs militaire
et politique des Serbes de Bosnie, ceux qui sont reprochés
au général croate peuvent paraître
minimes. Mais si le nom d'Ante Gotovina avait fini,
ces dernières années, par se hisser presque
aussi haut que celui de ses confrères serbes
sur l'agenda du TPI, c'est parce qu'il était
devenu un symbole.
Le
dernier obstacle vers l'UE enfin levé
Pendant de longs mois, l'affaire Gotovina a ralenti
les efforts déployés par la Croatie pour
intégrer l'Union européenne. En mars,
l'ouverture des négociations avec l'UE a été
repoussée à la dernière minute
par les Etats membres en raison du manque de collaboration
de Zagreb avec le TPI. «Nous ne pouvons pas céder.
C'est une question de principe. Si nous lâchons
sur Gotovina, jamais nous ne pourrons obtenir Karadzic
et Mladic. Car nous n'aurons plus aucun moyen d'influence
sur Belgrade», confiait alors une source proche
du dossier.
A
la fin septembre, le procureur du TPI avait une nouvelle
fois dénoncé le manque de coopération
de Zagreb. Elle soupçonnait à l'époque
Gotovina de se cacher dans un monastère franciscain
en Croatie. Zagreb a toujours affirmé ne pas
savoir où se trouvait Gotovina. Le gouvernement
d'Ivo Sanader qui, en 2004, avait livré deux
de ses généraux au TPI, ne se résignait
pas à affronter les milieux de la droite nationaliste
croate. Cette dernière considère Ante
Gotovina comme un héros et l'opération
«Tempête» comme une guerre de libération,
d'autant plus «juste» qu'elle a été
lancée avec le feu vert des Américains.
L'OPÉRATION
"TEMPÊTE" |
L'opération
Tempête. Menée du 4
au 7 août 1995
sur ordre du gouvernement croate, l'opération
"Tempête"
a permis à la Croatie de libérer
près d'un quart de son territoire occupé
depuis 1991
par l'armée et les paramilitaires sécessionnistes
serbes.
|
Poignée
de main historique le 5 août 1995
entre le général bosniaque
Dudakovic (à d.), assiégé
par les Serbes dans l'enclave bosniaque
de Bihac durant trois ans, entre le printemps
1992 et août 1995, et son libérateur
croate le général Marekovic,
sur le pont qui enjambe la Korana, à
la frontière bosno-croate. |
Un
mois après le massacre par les Serbes
de 8000 Bosniaques dans la "Zone de sécurité"
de Srebrenica, en Bosnie, l'opération
a également permis de secourir 230 000
Bosniaques assiégés pendant plus
de 3 ans dans la "Zone de sécurité"
de l'ONU de Bihac.
Enfin, elle a permis de mettre un terme à
quatre ans de guerre en ex-Yougoslavie en créant
les conditions
militaires qui ont conduit aux accords de paix
de Dayton-Paris. (Voir
carte) Selon un bilan officiel,
les pertes croates durant l'opération
Tempête s'élèvent à
228 tués au combat, 15 disparus et 1205
blessés.
Évacuation
planifiée
La
libération du territoire croate s'est
cependant accompagnée de l'exode
de 90 000 civils serbes
et de 30 000 militaires et paramilitaires
qui ont procédé eux-mêmes
à cette évacuation
planifiée, motorisée, avec
armes
et bagages avant l'arrivée des troupes
croates (qualifiée parfois d'auto-nettoyage
ethnique) et malgré les appels
radiotélévisés de la
présidence croate invitant la population
serbe à attendre l'arrivée de l'armée
croate. Ceci a été confirmé
et documentés par plusieurs reportages,
et notamment de télévisions étrangères.
Cette
version des faits est corroborée par Peter
Galbraith, alors ambassadeur des Etats-Unis
à Zagreb, entendu comme témoin
au TPIY: "Je suis sûr que des gens ont voulu
échapper au pilonnage et je suis sûr que des
gens sont partis parce qu'ils avaient peur de
l'armée croate. Le pilonnage a été assez court
parce qu'il n'y a pas eu de véritable résistance.
Je pense que Knin est tombé en espace de 24 heures".
A la question s'il y avait eu nettoyage ethnique,
le diplomate américain répond :
"Je dirais non, parce que pratiquement toute
la population était déjà partie avant l'entrée
des militaires croates dans les villes."
Rien de comparable
à l'exode à pied des Croates de
Vukovar en 1991, détroussés
et expulsés par les militaires serbes
de villes croates entièrement dévastées,
jonchées de gravats et de cadavres.
Dilemme
L'ambassadeur
Galbraith
a également rappelé qu'au moment du déclenchement
de l'opération Tempête, l'enclave de Bihac (en
Bosnie, à la frontière croate) était sur le point
de tomber, et que l'on s'est trouvé face à un
"dilemme contraint de choisir entre, d'une part,
la chute très vraisemblable de Bihac et le massacre
vraisemblable de 40 000 hommes et jeunes gens
partant de l'hypothèse que les Serbes de Bosnie
feraient exactement la même chose que ce qui
avait été fait une semaine avant ou dix jours
avant à Srebrenica [et, d'autre part,] l'opération
militaire croate que nous estimions très vraisemblable
et qui créerait de très nombreux réfugiés".
Cependant,
c'est au cours des trois mois qui ont suivi la
libération de ces territoires occupés
que des dizaines d'exactions,
perpétrées loin derrière
le front, déplacé en Bosnie, sont
venues entacher cette victoire
militaire remportée tout en parvenant
à limiter
les destructions. Ces exactions ont le plus
souvent été commises à l'encontre
des rares Serbes, souvent âgés et
disséminés sur l'ensemble du territoire
libéré, qui avaient pourtant choisi
de rester sur place. A ce moment-là, les
troupes d'assaut de l'armée croate, commandées
par le général Gotovina, participaient
déjà à la libération
de la Bosnie
occidentale aux côtés de l'armée
bosniaque.
Crimes
crapuleux
La
plupart des crimes commis furent le fait de groupes
ou d'individus incontrôlés, de profiteurs
de guerre, souvent sans liens avec l'armée
croate, essentiellement engagée en Bosnie.
Dans un territoire quasiment déserté
de quelque 10 000 km², soit presque
aussi vaste que l'Irlande du Nord, et en l'absence
d'un dispositif policier suffisant ni omniprésent,
des crimes crapuleux, suivis de pillages, ainsi
que des actes de représailles aveugles,
ont été commis. Pour la vingtaine
de crimes élucidés, la justice
croate a, dès la fin de la guerre, condamné
les auteurs de ces crimes à des peines
allant de 4 à 20 ans de prison.
Trois
mois avant l'opération "Tempête",
lors de l'opération
"Éclair" également
menée par l'armée croate pour libérer
la Slavonie occidentale, un territoire bien moins
vaste, les observateurs indépendants avaient
conclu à son caractère militairement
exemplaire et au strict respect des conventions
de Genève.
L'accusation
contre Gotovina. Selon
l'acte
d'accusation du TPIY,
modifié le 24 février 2004, Ante
Gotovina aurait "participé avec d'autres
personnes, dont [...] le président Franjo
Tudjman, à une entreprise criminelle commune
dont l'objectif assigné était de
chasser définitivement par la force la
population serbe de Krajina. [...] L'accusé
agissant seul et/ou de concert avec d'autres
personnes dont [...] le président Franjo
Tudjman, a planifié, incité à
commettre, ordonné, commis ou de toute
autre manière aidé et encouragé
à planifier, préparer ou exécuter
ces
expulsions et déplacements forcés
de la population serbe de Krajina".
Selon
l'accusation encore, "entre le 4 août
1995 et le 15 novembre 1995, les forces
croates ont tué au moins 150 Serbes de
Krajina". L'acte d'accusation fait néanmoins
spécifiquement référence
au meurtre de 32 personnes, dont 8 demeurent
non identifiées.
Distinguo
judiciaire
La
classe politique croate a à maintes reprises
protesté contre cette lecture des événements,
contestant l'existence d'un plan délibéré
d'expulsion
de la population civile serbe - celle-ci ayant
été évacuée
par les milices serbes - voire d'ordres cautionnant
les crimes commis, que nul néanmoins ne
nie. Pour l'opinion publique croate, l'ouverture
de ce procès est d'autant plus importante
que ce n'est qu'à la barre du Tribunal
que pourront être contestées les
formulations les plus graves de l'accusation
(expulsion
délibérée des Serbes), celles
qui tendent à remettre en question la
légitimité de la libération
du territoire croate en l'assimilant à
"une entreprise criminelle commune",
formulation particulièrement choquante
pour l'opinion croate.
Aussi
nombreux sont-ils ceux qui en Croatie attendent
du procès qu'il établisse une distinction
claire entre les objectifs
politiques légitimes de l'opération
militaire croate (restauration de l'intégrité
territoriale et de la souveraineté
croate sur les territoires occupés
par la force et le nettoyage
ethnique en 1991) et les exactions commises
par certains. De même l'établissement
du caractère planifié ou, au contraire,
incontrôlé
des crimes commis sera l'un des enjeux du procès
d'Ante Gotovina, qui s'est déclaré
innocent des crimes qui lui sont reprochés.
C'est désormais à la barre qu'il
faudra en apporter la preuve.
Responsabilité
de commandement
A
l'annonce du transfert à La Haye de l'ancien
général Gotovina, les officiers
qui étaient en 1995 sous ses ordres dans
la Zone opérationnelle de Split ont rendu
public un communiqué dans lequel ils déclarent
que tous les ordres reçus de lui réclamaient
un respect scrupuleux des conventions de guerre.
"Nous sommes prêts à endosser
la responsabilité pour tous les ordres
que nous avons reçus et délivrés,
et ne saurions admettre que soit engagée
la responsabilité du commandant de l'armée
pour les actes déshonorants qui ont été
commis [sur le terrain]", ajoutent-ils dans
leur déclaration. |
Puis,
coup de théâtre au début octobre
à Luxembourg. Estimant finalement que la Croatie
«coopère pleinement» avec le Tribunal
dans l'affaire Gotovina, Del Ponte donna son feu vert
à l'ouverture des négociations avec l'UE.
La volte-face du procureur, qui intervint au milieu
des difficiles négociations d'adhésion
avec Ankara, et alors que l'Autriche tentait de monnayer
ses concessions sur la Turquie en échange d'une
plus grande clémence de l'Union européenne
vis-à-vis de la Croatie, avait jeté un
doute sur l'indépendance de Carla Del Ponte.
«L'avis positif rendu à Luxembourg n'était
pas le résultat d'un marchandage ni de pressions
exercées par l'UE, explique aujourd'hui Florence
Hartmann, la porte parole du procureur du TPI. Il était
le résultat d'une information du gouvernement
croate, qui nous annonçait avoir localisé
Gotovina en Espagne. Nous avions posé la condition
suivante à la Croatie : soit vous l'arrêtez,
soit vous le localisez. Mais nous ne pouvions rien
dire, nous aurions fait capoter l'arrestation.»
En facilitant l'arrestation de Gotovina, la Croatie
a levé le dernier obstacle à sa marche
vers l'Union européenne, qui constitue sa priorité
politique depuis la fin de la guerre. Le commissaire
européen à l'Elargissement Olli Rehn
a salué hier le travail effectué par
Zagreb. L'arrestation du général Gotovina
est aussi un signal envoyé à la Serbie.
«Bien entendu, j'attends maintenant Mladic et
Karadzic», a
déclaré hier Carla Del Ponte. Mladic
et Karadzic constituent aujourd'hui le principal obstacle
pour l'intégration de la Serbie aux institutions
euro-atlantiques.
10/12/2005
LE
NOUVEL OBS
Gotovina
a été transféré au TPIY
à La Haye
Le
général croate Ante Gotovina, arrêté
mercredi, a été extradé vers les
Pays-Bas où il a été remis au
TPIY à La Haye.
L'ex-général
croate Ante Gotovina, l'un des principaux suspects
recherchés par le Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye, a été
extradé samedi 10 décembre par l'Espagne
vers les Pays-Bas, où il a été
transféré au centre de détention
de l'instance onusienne.
Jim Landale, porte-parole du TPIY, a confirmé
l'arrivée de Gotovina à la prison de
Scheveningen, station balnéaire en banlieue
de La Haye, où il attendra d'être jugé
pour le massacre de 150 Serbes de Krajina et l'expulsion
de 150 000 autres en 1995, à la fin
de la guerre de Croatie.
Un convoi de trois Mercedes aux vitres teintées
a passé le portail de l'établissement
pénitentiaire toutes sirènes hurlantes.
Les rues des environs avaient été bloquées
par la police néerlandaise.
Arrêté
mercredi
Agissant
sur des renseignements fournis par Interpol, la police
espagnole avait arrêté Gotovina mercredi
soir alors qu'il dînait dans un hôtel de
Tenerife, dans l'archipel des Canaries. Le ministre
espagnol de l'Intérieur a précisé
que les policiers avaient découvert dans sa
chambre 12.000 euros en liquide, un ordinateur portable
et deux faux passeports.
Samedi
vers 8h du matin, Ante Gotovina a été
extrait de la prison de la banlieue madrilène
où il était détenu provisoirement
et a été conduit vers une base militaire
proche de la capitale espagnole. L'ancien général
a embarqué dans un avion militaire à
destination de l'aéroport de Rotterdam, d'où
il a rejoint La Haye. Il devrait être présenté
lundi midi à un juge du TPIY.
Pression
sur Belgrade
Recherché
depuis quatre ans, l'homme qui bloquait
à lui seul les négociations d'adhésion
de la Croatie à l'Union européenne était
le seul suspect croate à échapper encore
à la justice de La Haye. Le général
Rahim Ademi s'est en effet rendu au tribunal il y a
quatre ans, et le général Janko
Bobetko est mort la même année.
L'arrestation de Gotovina va sans doute accentuer la
pression sur Belgrade pour la capture des deux principaux
suspects inculpés toujours en fuite, le chef
des Serbes de Bosnie durant la guerre Radovan
Karadzic et son chef de guerre, le général
Ratko Mladic.
Alors que l'ex-général croate était
transféré aux Pays-Bas, une manifestation
de soutien a rassemblé plusieurs milliers de
personnes à Zagreb pour réclamer au gouvernement
croate de préparer sa défense.
Bon nombre de Croates le considèrent en effet
comme un héros de guerre et sont convaincus
de son innocence.
06/12/2005
LE
FIGARO
Une
figure de la guerre d'indépendance et un criminel
Isabelle
Lasserre
ON
A TOUT DIT de lui. Qu'il est un criminel, un héros
de la guerre d'indépendance, un voyou, un brillant
général, un coureur de jupons au charme
slave, un gangster sans scrupules, un combattant courageux.
Le général croate Ante Gotovina, 50 ans,
un homme au physique robuste et au regard vert, qui
possède aussi la nationalité française
depuis son passage à la Légion étrangère,
est tout cela à la fois.
Né en 1955 sur l'île de Pasman, près
de Zadar, sur la côte croate, il quitte son pays
à 16 ans pour s'engager comme marin dans une
compagnie de transport international. Puis il sert
dans la Légion étrangère, au sein
du 2e REP, le régiment étranger parachutiste
de Calvi, d'où il sort avec le grade de caporal
chef. Il travaille ensuite pour une compagnie de sécurité
et effectue des séjours en Amérique du
Sud, où il entraîne des paramilitaires
locaux. Il est aussi accusé d'extorsion de fonds
et de cambriolages, notamment pendant sa période
française.
Intelligent et sans scrupule
En 1991, lorsque la Croatie déclare son indépendance
et que la guerre serbo-croate éclate, il rejoint
son pays, à l'instar de nombreux Croates expatriés.
Solide, ambitieux, efficace, intelligent et sans scrupule,
il grimpe très rapidement les échelons
de l'armée croate et devient général
un an seulement après le début de la
guerre. Il est alors le protégé du puissant
ministre de la Défense, Gojko Susak.
En
1995, il commande l'opération «Tempête»,
une offensive éclair préparée
de longue date qui permet à Zagreb de reprendre
le contrôle de la Krajina, une région
de Croatie peuplée de Serbes, occupée
depuis le début de la guerre par les sécessionnistes
serbes soutenus par Belgrade. La mission est achevée
en deux jours. Gotovina est salué comme un héros
par les milieux nationalistes croates, qui le remercient
d'avoir aidé le pays à recouvrer son
intégrité territoriale. Les exactions
commises lors de cette opération, au cours de
laquelle 150 Serbes environ ont péri, lui vaudront
d'être inculpé par la justice internationale
en 2001. Prévenu avant que l'acte d'inculpation
soit rendu public, probablement par les réseaux
nationalistes, Gotovina prend la poudre d'escampette.
Paris lui aurait renouvelé son passeport français
quelques mois seulement avant sa fuite. En 2003, dans
une interview accordée à un hebdomadaire
croate, Gotovina offre sa reddition en échange
de l'annulation de son acte d'inculpation. Mais le
procureur du TPI refuse le marchandage.
Depuis, le cas Gotovina, sur lequel reposait
l'avenir européen de la Croatie, divisait le
pays. Les partisans d'un rapprochement rapide avec
Bruxelles militaient, sans états d'âme,
pour son arrestation et son transfert à La Haye.
Les milieux nationalistes préféraient
au contraire retarder l'intégration de la Croatie
à l'Europe plutôt que de voir leur honneur
bafoué par son arrestation.
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