Le
Monde, 15/01/1993
POINT
DE VUE
Révisionnisme
Par Alain Finkielkraut
Les
partisans et les détracteurs de l'intervention militaire en Bosnie,
qui s'affrontent ces jours-ci dans les médias, semblent s'accorder sur
un point : l'Europe, disent-ils, a fait éclater la fédération
yougoslave en reconnaissant trop tôt la Slovénie et la Croatie. C'est
oublier qu'en juin 1991, lorsque l'Allemagne a adjuré la France et ses
autres partenaires européens d'accueillir dans la Société
des nations les deux Républiques qui venaient de proclamer leur indépendance
après avoir échoué, du fait de l'intransigeance de Belgrade,
à réformer la Yougoslavie, l'Europe a dit non. La France, avec sa
volonté de préserver coûte que coûte le statu quo et
sa diplomatie de l'apaisement, l'a emporté sur l'Allemagne. Les Allemands
ont dû céder à la pression française, et non le contraire.
Trop
tard
Certes
la reconnaissance a fini par avoir lieu,
mais sept mois plus tard, une fois terminée la campagne de Croatie. Si
l'on s'était alors mobilisé pour Vukovar
comme on le fait enfin pour Sarajevo, on aurait pu éviter le siège
de Sarajevo et sauver les Musulmans de Bosnie-Herzégovine de la guerre
d'anéantissement explicitement programmée à leur encontre
par les Serbes.
A aucun
moment, l'Europe ne peut donc être accusée d'avoir agi à la
hâte. De la reconnaissance des Républiques à la pression sur
la Serbie, elle s'est toujours décidée trop tard, quand le mal de
la conquête et du nettoyage ethnique
était fait. Voilà la vérité. Elle est insoutenable.
Mais tout le reste est révisionnisme.
Philosophe,
Alain Finkielkraut est directeur de la revue le Messager européen.
Il a publié "Comment
peut-on être croate?", Gallimard, 1992.
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