Le Figaro, 03/07/2002

FARNIENTE
Heureux comme Robinson aux Kornati
Un chapelet d'îles désertes semées au large de la Dalmatie, une des provinces de la Croatie

Murter
Sophie Massalovitch
pour Le Figaro

L'archipel des Kornati compte des centaines d'îles et d'îlots. Un proverbe croate prétend évidemment qu'il y en a autant que de jours dans l'année. Voire. Ce qui demeure certain, c'est qu'il y a sur ces cailloux autant d'arbres que d'habitants, c'est-à-dire aucun. Ce désert en pointillé, battu par les vagues de la Méditerranée, offre son étonnant spectacle à moins de trois heures d'avion de Paris.

L'île de Katina, à l'entrée du parc national des Kornati.

Gris ou beiges selon la lumière, ces confettis semblent des météorites tombées au milieu de l'Adriatique, notamment au large de Zadar et Sibenik, dans la partie septentrionale de la côte dalmate. Leur seule animation est créée par les troupeaux de montons qui viennent y paître. Les géologues qualifient de karstique ce paysage minéral et expliquent son relief tourmenté (plis, failles et falaises) par les montagnes englouties à la fin de la dernière ère glaciaire. Autrement dit, là où aujourd'hui émergent des îles, s'élevaient des cimes il y a 20 000 ans.

Des murets de pierres sèches courent en tous sens. Ils se confondent souvent avec le calcaire des rochers et improvisent de belles figures géométriques. En réalité, ils ont été élevés pour délimiter les enclos à l'intérieur desquels était autrefois parqué le bétail. Les pâturages sont devenus rares. Mais la tradition de l'estive demeure. Les bergers de Murter (l'île aujourd'hui vouée au tourisme, face à Sibenik) conduisent encore leurs troupeaux dans les Kornati à l'approche des beaux jours. Les bêtes n'ont pas besoin d'être gardées puisqu'elles n'ont nulle part où s'échapper et elles trouvent dans les anfractuosités de la roche de quoi s'abreuver. Au pire, elles boiront de l'eau de mer. Les bergers sont donc les seuls habitants, intermittents, de l'archipel. Ils y ont bâti des maisonnettes basses nichées au creux des baies. Elles ne sont jamais très éloignées du rivage car pendant leur séjour, les bergers subsistent grâce à leur pêche. Parfois ils cultivent aussi quelques arpents de vigne, ou taillent une poignée d'oliviers, plantés en terrasse dans les parages de leur masure.

Miracle, ces repaires deviennent accessibles aux vacanciers, touristes de passage ou plaisanciers séduits par ces escales paradisiaques. Depuis une dizaine d'années, les plus épris de nature et de solitude d'entre eux, font la pause dans ces petites maisons de bergers pêcheurs. Durant la journée, tranquillité assurée, sous un soleil de plomb. Au large, passent les bateaux chargés d'excursionnistes. Les Kornati ont été classées parc national en 1980 et figurent parmi les sites les plus visités de l'Adriatique croate. Dès la fin de l'après-midi, les voiliers qui mouillent pour la nuit dans une anse voisine, deviennent d'éventuels compagnons de soirée.

Un minimum d'organisation doit quand même être mis en place. Avant d'embarquer, Robinson fait le plein de denrées alimentaires et produits de première nécessité. Sachant que sur place, il peut toujours compter sur son habileté avec un fil et des hameçons. Ensuite, il se met en quête d'un pêcheur qui, pour quelques kunas, la devise locale, le déposera sur l'île de son choix et s'engagera à venir le rechercher à la date convenue.

Jadis, le séjour à l'écart du monde exigeait une solide passion pour l'aventure. Avec l'apparition des téléphones mobiles, l'expérience est moins rude. Quand la pêche n'est pas bonne (ou quand l'isolement pèse), il est toujours possible d'appeler son pêcheur accompagnateur pour lui demander de passer plus tôt que prévu. Surtout, la formule a évolué Plusieurs agences locales proposent des séjours clés en main avec acheminement par bateau, installation dans une maisonnette entretenue, ravitaillement...

Une agence de Murter a pris l'initiative de tenir à jour la liste des maisons disponibles. Elle les recommande, selon leur taille, aux couples ou aux familles, affiche les éléments de confort (douche extérieure ou salle de bains), et le type de décor, à la scandinave avec des meubles de pins, ou plus locales avec un crucifix et des images pieuses au-dessus du lit ancien.

Un bateau épicerie sillonne l'archipel deux fois par semaine. A bord, du poisson, des fruits, des légumes, des cigarettes, même des journaux... mais attention, plus l'île est éloignée, plus le choix devient restreint!

Le hameau de Vrulje sur l'île de Kornat.

La localisation des maisons reste le critère majeur de choix pour les émules de Robinson. Chacun ses exigences : plage de galets, rocher faisant office d'embarcadère, ponton pour amarrer un bateau (on peut louer avec la maison un canot à moteur ou une simple barque de pêche avec des rames), etc.

Certains vacanciers redoutent l'isolement des maisons.

L'archipel en compte à peine 300. La plupart sont situées sur les deux plus grandes îles de l'archipel, Kornat (25 km de long sur 3 km de large) et Piskera (sur laquelle une marina a été aménagée). Par exemple, file de Svrsata, au large de Kornat, 900 m de long sur 250 m de large, ne comporte qu'une seule construction. Vrulje, le plus gros hameau des Kornati sur l'île de Kornat, regroupe une vingtaine de maisons dont un premier restaurant "pieds dans l'eau". Ante, son propriétaire, avait l'habitude d'offrir à boire aux plaisanciers de passage. Quand la conversation se prolongeait, il se mettait aux fourneaux. Il a fini par accepter que ses hôtes règlent leur dû. Puis a accroché une pancarte "Konoba Ante" (l'auberge d'Ante) au-dessus du ponton qui prolonge la terrasse de sa maison. Désormais, une dizaine de ces établissements déploient tables et parasols au-dessus des calanques les plus fréquentées.

Voilà qui permet à certains reclus d'opter pour une rassurante demi-pension, bière locale et pain maison compris. Les ermites qui veulent rompre leur solitude rejoignent à dos d'âne la "konoba " la plus proche. Ambiance d'un autre temps garantie.

Une cachette pour l'été

Louer sa maison. Les habitations installées sur les îles peuvent accueillir entre deux et six personnes, selon leur taille. Certaines disposent d'une vraie salle de bains. D'autres n'offrent qu'une douche extérieure. Draps et linge de toilette sont fournis.

Maison de pêcheurs dans l'archipel des Kornati.

Tarifs. L'agence Atlas s'est spécialisée dans la location de ces maisons. Ses forfaits incluent la location, le transfert jusqu'à l'île au départ de Murter, le ravitaillement bihebdomadaire, l'approvisionnement en eau et en gaz, l'éventuel parking d'un véhicule pendant la durée du séjour. Par personne et par semaine compter 270 € dans une maison pour deux. 200 € dans une maison pour quatre, 180 € dans une maison pour six. Prévoir 75 € pour un lit d'appoint. Les enfants de moins de 4 ans sont accueillis gratuitement. Compter 65 € pour un enfant de moins de 10 ans. Le transfert sur l'île est compris dans le prix de la location. Compter entre 30 minutes et 1 heure 30 de navigation suivant l'éloignement. A Murter (tél.00 385.22 439 999) ; à Sibenik (tél. : 09 385.22 330 232 et atlas-sibenik@si.tel.hr)

Électricité. Les Kornati ne sont pas reliées au réseau croate. Les lampes fonctionnent grâce à l'énergie solaire, la cuisinière et le réfrigérateur sont alimentés par le gaz. Ne pas oublier de se munir d'une lampe à pile.

Eau. Elle est généralement fournie par une citerne qui recueille l'eau de pluie. Si nécessaire, elle est remplie au passage du bateau-citerne. La vie sur une île exige impérativement d'économiser l'eau. On en prend vite l'habitude. En faisant, par exemple, la vaisselle dans la mer.

Une marina, située dans le chenal entre l'île de Jadra et l'îlot de Panitula.

Ravitaillement. Avant d'embarquer pour son île, il convient d'effectuer des provisions (riz pâtes, eau minérale...). Le bateau-épicerie, qui circule deux fois par semaine, ne propose pas un très large éventail de produits. Des pêcheurs vendent parfois d'île en île du poisson frais. On peut soi-même pêcher en s'acquittant d'un permis (35 € pour sept jours). Possibilité également de louer le matériel de pêche (30 €).

Bagages. Pas question, évidemment, de multiplier les valises. Le voyage, même bref, en bateau, ajouté aux conditions sommaires du séjour à terre, ne milite pas en faveur d'une garde-robe complète pour Robinson. En clair, seul l'indispensable permettra de remplir le sac de voyage. Ne pas oublier les lampes de poche ou la torche, le couteau suisse (à faire obligatoirement voyager en soute), une pharmacie de base, un chapeau, la crème solaire et les lunettes de soleil, quelques livres ou magazines...

Location de bateau. Compter 100 € à la semaine pour une barque à rames et 160 € la location d'un canot à moteur, également pour une semaine.

Carnet d'adresses

 Île de Kornat

A Vrulje, Konoba Ante est la plus ancienne des auberges de l'archipel. L'hospitalité du propriétaire est légendaire. II accueille plaisanciers, pêcheurs ou Robinson avec un verre de smokovaca, une eau de vie de figue de sa fabrication. Le repas, environ 8 €. Tél. 00 385 099 475 685.

 Île de Piskera

Vue sur les Kornati

Klif est le restaurant de l'unique marina des Kornati. Fréquenté par les excursionnistes à l'heure du déjeuner. Le soir, plaisanciers et pêcheurs dînent dans une atmosphère conviviale. Excellentes grillades. Environ 10 €. Tél. 00 385 099 47 0 009.

 Île de Smokvica

A l'entrée du parc national, Picolo, une terrasse au bord de l'eau où selon la pêche du jour deux frères préparent des plats délicieux et notamment des spaghettis aux langoustes. L'addition excède rarement 6 €. Tél. 00 385 099 541 280.

 Île de Zut

Vison, avec cinq tables installées sur la plage. Les membres de la famille se relaient aux casseroles pour accommoder poissons et fruits de mer. Les sardines grillées sont la spécialité de la maison. Compter 5 €. Tél. 00 385 098 266 376.

L'ARCHIPEL DES KORNATI