Libération,
12/09/2003
REVUE
DE PRESSE
VOYAGES
Plitvice, balade
en lacs majeurs
Etonnant chapelet de seize lacs se déversant
les uns dans les autres, le parc national a été
classé par l'Unesco. Aménagé avec intelligence,
il attire de nouveau les ours, les lynx et de nombreux touristes.
Par Alexis
BERNIER
Plitvice (Croatie) envoyé spécial
On
y accède par une petite route entortillée
comme un serpentin sur laquelle les automobilistes croates jouent
du klaxon et les touristes de la pédale de frein. La seule
à relier la capitale Zagreb à la populaire côte
dalmate. Un peu comme si rejoindre Cannes depuis Paris n'était
plus possible que par une vieille départementale fatiguée.
A mi-chemin, au coeur d'une profonde forêt de hêtres
et d'érables, entre une plaine vert-sapin-de-Noël
où se plairait à flemmarder la vache du chocolat
Milka et une zone montagneuse plus escarpée, se cache le
Parc national des lacs de Plitvice. Un motif d'orgueil national
autant qu'une des principales attractions touristiques croates
avec 5 000 visiteurs par jour et une inscription par l'Unesco
au patrimoine mondial de l'humanité depuis 1979. La simple
description du phénomène naturel qui attire autant
de monde manque de poésie : seize lacs en gradins se jetant
les uns dans les autres en enjambant des travertins d'algues et
de mousses sédimentées comme le champagne dégringole
d'une pyramide de verres en cristal. La balade est autrement plus
bucolique.
Paradis
des libellules. Encore faut-il se lever tôt. Huit
heures, ouverture du parc. Pas un touriste en vue. Les autobus
de Zagreb n'arriveront que dans une heure et demie. C'est le meilleur
moment pour se perdre au paradis des libellules. Un éden
moussu, inextricable labyrinthe de feuilles et d'eau où
le grondement des cascades petites et grandes le dispute aux croassements
des grenouilles. Le parc de Plitvice est divisé en deux
parties: les lacs dits supérieurs, qui culminent à
637 mètres au-dessus du niveau de la mer, et les lacs inférieurs,
dont le dernier donne naissance à la rivière Korana,
134 mètres plus bas. Le visiteur a le choix entre deux
points de départ : l'entrée principale, au pied
de la plus grande cascade et en bordure des parkings, et une autre,
plus discrète, dominant le lac le plus important du site
(0,83 km2), le Kozjak. Et si certains guides recommandent de débuter
la balade par la première pour profiter de l'ensoleillement
matinal maximum sur la cascade, mieux vaut ne pas les écouter.
Les lacs supérieurs se révèlent autrement
plus inattendus et magiques.
A
chaque pas dans la forêt, on s'attend à voir
sortir un druide de derrière un chêne, une
poignée de glands dans une main, une serpette dans
l'autre. |
Huit
heures donc. Le capitaine enjambe l'embarcadère et lance
le moteur électrique du premier bac. Une rapide traversée
et nous voilà au pied d'une grande colline boisée.
La pente est douce. Pas besoin d'être un bon grimpeur. La
carte se révèle inutile. Les noms des lacs sont
aussi difficiles à mémoriser qu'à prononcer
(Veliko Jezero, Jezerce, Jovinovac, Kaludjerovac...), et il faudrait
être une boussole humaine pour ne pas se perdre dès
les premiers pas dans la forêt. Autant s'abandonner. Pas
grand risque. Tout au long du parc, dix-huit kilomètres
de fines passerelles en bois permettent d'enjamber le chapelet
de mares et de lacs et de rejoindre les sentiers de terre en passant
au plus près des travertins, ces paillassons de mousse,
d'algues et de micro-organismes encroûtés par le
calcaire que libèrent les bouillonnements subaquatiques.
Jusqu'au sommet, les eaux cristallines, peu profondes, sont d'un
turquoise comme on n'en voit même pas aux Seychelles. Partout,
des milliers de truites grosses comme des carpes, de touffus bosquets
de nénuphars et de végétation marécageuse.
Au fond, du corail d'eau douce, blanchâtre comme les os
d'un squelette desséché, des troncs et branches
d'arbres couvertes du même dépôt minéral
formant les travertins donnent une touche spectrale à cet
écheveau lacustre. L'eau ruisselle, ravine, tombe en trombe,
s'engouffre dans le moindre méandre. Chaque cascade est
un nouveau brumisateur naturel. Et, à chaque pas dans la
forêt, on s'attend à voir sortir un druide de derrière
un chêne, une poignée de glands dans une main, une
serpette dans l'autre.
PRATIQUE |
Y aller
Avion : Paris-Zagreb
: 1 vol/jour, A/R à partir de 309 € (taxes env.
55 €). Croatia
Airlines : 01 42 65 30 01. Pour Plitvice (150 km), compter
2 h 30 de route. Les bus pour Zadar ou Split passent par
les lacs de Plitvice.
Formalités.
Carte nationale d'identité.
Dormir
Hôtel
Bellevue :
abordable, confort très correct. La plupart des chambres
ont un balcon donnant sur la forêt. 480 Kn (66 €)
la double en haute saison, 88 €en demi-pension. A l'entrée
2 du parc (cf carte). 00 385 53 751 700/015.
Camping Korana :
l'un des plus beaux de Croatie. Emplacements bien séparés
et sanitaires impeccables. Plusieurs restaurants, snacks
et supermarché. Compter 15 a pour 2 pers. (Emplacement,
tente et voiture). Location de petits chalets en bois (sanitaires
communs) et de bungalows (de mai à septembre). De
30 à 42 a pour 2 à 4 pers. A 7 km de l'entrée
1 du parc. 00 385 53 751 888.
Manger
Licka
kuca :
décor genre chalet. Ambiance tamisée et petits
recoins. Bon aperçu de la cuisine régionale
: veau «cuit sous la cloche», agneau à
la broche. Excellentes soupes et dégustation de basa,
fromage local. A l'entrée 1 du parc.
A
voir
Les
lacs de Plitvice :
compter la journée. Entrée : 6 à 12
€/pers. selon saison (incluant transports dans le parc).
Enfants : 3 à 7 €. -7 ans : gratuit. 00 385
53 751 014 ; www.np-plitvicka-jezera.hr/np-plitvice.
Acheter
La kuna (Kn).
1 € = 7,50 Kn.
Lire
«Le
Guide du Routard Croatie
2003-2004», Hachette, 12,90 €. Le best-seller
sur ce pays à (re)découvrir. Le
nouveau Guide du Routard
Croatie, (Hachette, 12.90 €). Voir également
le Guide Gallimard Croatie
(25.15 €), "Lonely
Planet" Croatie (15 €) et le guide Mondeos
(7,50 €). |
Mini-Niagara.
Il faut entre deux et trois heures pour rejoindre les eaux foncées
du lac Proscansko, l'un des plus grands et des plus profonds.
C'est le dernier ou le premier des lacs supérieurs, selon
le sens de votre promenade. L'occasion d'une pause au bord de
la baie pour compter les crapauds. Mieux vaut prendre son temps
avant de redescendre par le petit tramway électrique pour
rejoindre l'embarcadère sur le Kozjak. En pleine saison,
l'heure du déjeuner des autres touristes est la seule solution
pour visiter les lacs inférieurs en évitant les
embouteillages sur les passerelles. Ou alors en fin d'après-midi,
quand les bus reprennent la route. Encastrée dans un profond
canyon, la deuxième série de lacs est un spectacle
à la fois impressionnant et moins original que le premier.
Plus «carte postale». Les nappes turquoises sont plus
larges, les chutes plus violentes, mais les eaux toujours aussi
claires, les truites aussi grosses. Ici, on peut quitter les berges
pour s'enfoncer prudemment dans une série d'inquiétantes
grottes sombres et entrelacs de galeries aux concrétions
pierreuses et stalactites potelés. Ou grimper d'interminables
escaliers de pierre taillés pour admirer le panorama, si
toutefois la meute des photographes amateurs daigne s'écarter.
En bout de course, plusieurs chutes de belle importance, dont
celle baptisée Milka Trnina, du nom d'une cantatrice ayant
offert un de ses somptueux cachets pour financer, en 1897, les
premiers aménagements du parc. Plus impressionnant, la
rivière Plitvica, dégringolant d'un amphithéâtre
minéral tel un mini-Niagara, aimante irrésistiblement
des touristes dont le sport préféré consiste
à se photographier dans des poses embarrassantes au pied
du bouillon.
Fin
d'une belle (petite) journée de marche. En quelques minutes
de bus, on est déjà de retour au point de départ.
Rares sont les parcs aussi bien conçus. L'homme n'a rien
ruiné. Au contraire, le réseau de petits pontons
qui sillonnent en se perdant dans la végétation
aquatique confère, autant que les lacs eux-mêmes,
son caractère à ce site éblouissant. Pourtant,
situé avant la guerre civile sur le territoire d'une commune
à forte majorité serbe, Plitvice l'a échappé
belle. Il y a un peu plus de dix ans, un détachement de
miliciens prend le contrôle des hôtels et des installations
du parc et décrète la fondation de la République
serbe de Krajina. Humiliation suprême pour les Croates,
très attachés à un parc qu'ils tiennent pour
la huitième merveille du monde. Une forte troupe de policiers
est envoyée pour les déloger. L'escarmouche fera
trois morts, deux Serbes et un Croate. «Ce sont les premiers
morts de cette guerre, un dimanche de Pâques, le 31 mars
1991», rappelle l'historien et linguiste Paul Garde dans
son livre Vie et mort de la Yougoslavie. L'armée fédérale
yougoslave se déploie pour rétablir le calme. Dirigée
par des Serbes, elle ne fera que faire fuir les Croates. Et la
région va vivre sous domination serbe jusqu'en août
1995. Quatre années pendant lesquelles les milices transformeront
les hôtels du parc en casernes.
Loups,
lynxs et ours. A la fin de la guerre, les Croates retrouveront
les installations dévastées. Pire, «le conflit
propage une terrible onde de stress jusqu'au plus profond des
forêts, qui provoque la fuite des animaux. En ce sens, la
guerre est plus pernicieuse qu'une catastrophe naturelle»,
comme l'expliquait le biologiste Zladtko Adic au journaliste Jean
Hatzfeld (Libération du 29 décembre 1995). Aujourd'hui,
une cinquantaine de loups, quelques lynx, renards, cerfs, chevreuils
et ours bruns se sont réinstallés dans les forêts
qui bordent les lacs. Mais on a peu de chance de les apercevoir.
Les trois hôtels ont été reconstruits et tout
est briqué comme un sou neuf. Pas un papier gras, pas une
canette vide ne doit salir la fierté croate restaurée.
©
Libération
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