Le Monde, 29/11/1994

POINT DE VUE
Le conflit dans l'ex-Yougoslavie
L'affaire de tous

par Alain Finkielkraut

Les chancelleries européennes, qui se veulent à la fois réalistes et humaines, préconisent une solution politique du conflit en Croatie et en Bosnie. D'où leur fureur lorsque le président Clinton, au lendemain de sa défaite législative et pour satisfaire une nouvelle majorité tout à la fois isolationniste et pro-bosniaque, décide _ unilatéralement _ d'abandonner la surveillance de l'embargo sur les armes dans l'ex-Yougoslavie. Cette indignation a été complaisamment relayée, approuvée et argumentée par la majorité des éditorialistes français.

DOSSIER
L'ENGAGEMENT DES INTELLECTUELS FRANÇAIS PENDANT LA GUERRE

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En effet, les médias de ce pays si fier de son universalisme sont, à quelques exceptions près, trop captivés par les affaires purement hexagonales pour faire durablement et sérieusement leur affaire du scandale historique que constitue la politique yougoslave conjointement menée par l'Elysée et par le Quai d'Orsay. Car il s'agit bien d'un scandale.

Et la guerre n'a pas repris en Bosnie à cause du geste symbolique des Américains ou des encouragements qu'ils auraient prodigués aux plus faibles, mais du fait des tergiversations calculées et de l'implacable volonté d'impuissance dont a fait preuve la communauté internationale. Reportons-nous quelques mois en arrière. Juillet 1994 : le groupe de contact réunissant les Etats-Unis, la Russie et l'Union européenne, représentée par la France, l'Angleterre et l'Allemagne, propose une formule de partage de la Bosnie. Cette formule prévoit 51 % des territoires pour la Fédération croato-musulmane et 49 % pour la "république" serbe. Elle est à prendre ou à laisser. Milosevic prend, Karadzic laisse. Milosevic est aussitôt récompensé par un allégement substantiel de sanctions contre Belgrade. Karadzic est récompensé aussi puisque nos diplomates ne se contentent pas de fermer les yeux sur l'approvisionnement en hommes, en munitions, en carburant et en vivres de l'armée de Pale.

Oubliant leur ultimatum, sabotant leur propre plan, reniant une fois de plus leurs engagements solennels, de peur d'avoir à les mettre à exécution, les mêmes diplomates annoncent aux Serbes de Bosnie qu'ils pourront se rattacher à la Serbie et laissent entendre qu'il faudra remanier la carte non-négociable qu'ils avaient présentée aux belligérants, pour que la partie serbe soit viable, c'est-à-dire compacte. Le 17 octobre, le ministre français des affaires étrangères déclare : "Nous savons que les autorités de Belgrade conseilleraient d'abandonner toute revendication sur Sarajevo en échange des enclaves de Bosnie orientale." Et M. Juppé ajoute : "Plusieurs responsables musulmans envisageraient également cette hypothèse, quoique à regret."

Renverser le rapport de forces

En reprenant l'offensive, l'armée bosniaque et les forces croates de Bosnie n'ont fait que tirer les conséquences de cette nouvelle démission. Traîtres à leurs promesses, les gouvernements français et britannique ont, au nom du groupe de contact, crié à la trahison. Ils ont ensuite laissé les Serbes punir ce déloyal effort de libération. Ils n'ont demandé et obtenu des raids de l'OTAN contre certaines positions serbes de Krajina que pour empêcher la Croatie d'entrer dans la bataille et ils ont attendu la chute de Bihac pour faire les gros yeux à l'agresseur. L'évidente morale de cette tragédie, c'est que le conflit ne peut être résolu que par des moyens militaires. Nulle solution politique ne peut faire l'économie d'un renversement du rapport de forces, car, tant qu'elle n'y est pas contrainte, la partie serbe ne négocie pas, elle impose au monde ses conditions, c'est-à-dire l'édification par le fer et par le feu, par les camps et par le napalm, d'une Grande Serbie ethniquement pure et culturellement nettoyée de toute trace non serbe, à Banja-Luka comme à Vukovar, conquise et entièrement détruite il y a tout juste trois ans.

Aujourd'hui, ce que le groupe de contact défend, ce n'est donc pas la logique de paix contre la logique de guerre, ou la voie du dialogue contre la spirale de la violence, c'est d'abord son maintien contre une éventuelle défection de la Russie, c'est ensuite la conquête serbe contre la mauvaise volonté de ses victimes, voire, sporadiquement et précautionneusement, contre les Serbes eux-mêmes quand ils semblent oublier jusqu'où ils peuvent aller trop loin. Et le grief qu'on doit adresser aux États-Unis, ce n'est pas d'avoir cherché à nous dicter leurs lois en plantant leur bannière étoilée au cœur de l'Europe, comme l'affirment ces ombrageux défenseurs de l'indépendance nationale qui font remonter au débarquement le début de l'occupation de la France, ce n'est pas non plus d'avoir fait cavalier seul et déserté leur camp : c'est, bien plutôt, de n'avoir jamais déserté le terrain du symbole. "On ? Qui est ce "on" qui fait ainsi des reproches à tout le monde ?" demandent, intriguées, les chancelleries. Et elles ne voient que des militants et des intellectuels, c'est-à-dire, à leurs yeux, personne.

"L'affaire d'un seul est devenue l'affaire de tous", a dit Clemenceau à propos de Dreyfus. Si l'affaire bosniaque ne devient pas l'affaire de tous, rien ne sera fait pour une véritable solution politique du conflit.

Philosophe, Alain Finkielkraut est directeur de la revue le Messager européen.
Il a publié "Comment peut-on être croate?", Gallimard, 1992.

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