Le Monde, 24/10/2000

Ex-Yougoslavie : deux poids, deux mesures
par Paul Garde

Les Serbes se sont débarrassés du pouvoir de Slobodan Milosevic. C´est une excellente nouvelle : rien ne pouvait être pire que ce régime. Le risque de guerre a reculé, un espoir de démocratie est né. Réjouissons-nous.

Mais n´applaudissons ni trop vite ni trop fort. Ni Vojislav Kostunica, ni la grande majorité de ses compatriotes n´ont renié leurs convictions nationalistes. Que reprochent-ils à Milosevic ? D´avoir détourné des fonds, réduit leurs libertés, ruiné et isolé le pays, perdu toutes les guerres… Aucune parole de regret n´a été prononcée pour les crimes commis contre les peuples voisins.

DOSSIER
L'ENGAGEMENT DES INTELLECTUELS FRANÇAIS PENDANT LA GUERRE

Revue de presse
 P. Garde : « Une rupture totale s'est produite en Croatie »
 P. Garde : Ex-Yougoslavie : deux poids, deux mesures
 G.-M. Chenu :18 novembre 1991, la chute de Vukovar
 N. Wapler : Ex-Yougoslavie : Espoir de paix
 A. Finkielkraut : Des anges et des hommes
 P. Garde : Croatie : le droit, le devoir, la nécessité
 P. Garde : En finir avec Radovan Karadzic
 P. Canivez & G. Coq : Impossible neutralité
 A. Finkielkraut : Les intellectuels, la politique et la guerre
 Pascal Bruckner : Punir Milosevic
 A. Finkielkraut : L'affaire de tous
 A. Finkielkraut : Révisionnisme
 P. Bruckner : Survivrons-nous à la Yougoslavie ?
 A. Finkielkraut : Crime parfait
 André Glucksman : Un Pearl Harbor moral
 A. Finkielkraut : Les mots et la guerre
 Tous les articles

L´opinion serbe courante à ce sujet est assez bien résumée par ce propos entendu à Belgrade (Courrier des Balkans, 10 octobre) : « S´il est jugé à La Haye, ce sera parce qu´il a fait du tort au monde, et pas à nous. Le monde ne souffre pas de la maladie Milosevic, nous, si. » Les Serbes de Serbie n´ont pas conscience que la « maladie Milosevic » a fait d´abord des victimes par centaines de milliers dans « le monde » : en Croatie, en Bosnie, au Kosovo ; que les exactions qu´elle a engendrées sont des crimes « contre l´humanité » tout entière. Cette « maladie » n´a atteint que par ricochet leur propre bien-être et leurs propres libertés.

Kostunica, dans sa campagne, s´est associé au dénigrement du Tribunal de La Haye. Aujourd´hui il refuse de lui livrer son prédécesseur et les nombreux autres inculpés serbes (dont Milan Milutinovic, encore à ce jour président de Serbie).

On peut après tout comprendre qu´il flatte sur ce point ses électeurs, tenus dans l´ignorance des faits, et bien dressés par treize ans de propagande chauvine. Mais il est inadmissible que les gouvernements occidentaux et certains hauts fonctionnaires internationaux, devant qui le nouveau président arrive pourtant en demandeur – de levée de sanctions, d´aide, de crédits, de relations multiples –, semblent accueillir avec indulgence cette prétention et soient prêts à passer par profits et pertes le principe même d´une justice internationale.

Jiri Dienstbier, envoyé spécial de l´ONU pour l´ex-Yougoslavie, est allé jusqu´à évoquer une possible « amnistie » pour Milosevic ! Le Tribunal de La Haye a déjà prononcé de nombreuses inculpations et plusieurs peines parfois très lourdes (quarante-cinq ans pour le général croate Tihomir Blaskic). Comment admettre qu´il y ait deux poids deux mesures, et que le responsable initial de toute cette série de guerres soit épargné, quand d´autres doivent payer très cher pour bien moins ? Il y a eu en ex-Yougoslavie des dizaines de milliers de crimes de guerre et des milliers de criminels, mais aucun forfait n´aurait été commis, tous ces gens seraient restés innocents, s´il n´y avait pas eu d´abord la politique de Milosevic.

En Croatie s´est produit il y a neuf mois un changement du même ordre qu´en Serbie : aux élections du 3 janvier, le HDZ (ex-parti de Franjo Tudjman qui était mort quelques semaines auparavant) a été battu à plate couture : il n´a obtenu que 30 % des voix aux élections législatives et 15 % à l´élection présidentielle. Le pouvoir est depuis exercé par le président Stipe Mesic et par une coalition de six partis démocratiques dirigée par le premier ministre socialiste Ivica Racan. Cela s´est passé dans le calme, simplement par les urnes, sans le moindre incident.

Des journées révolutionnaires violentes, comme en Serbie en octobre, avec manifestations de rue et incendie du Parlement, cela flatte nos instincts romantiques, cela fait de belles images à la télé ; une transition démocratique et sans heurts, comme en Croatie en janvier, c´est comme un train qui arrive à l´heure, c´est un non-événement. Nos médias sont restés muets, nos ministres ne se sont pas précipités à Zagreb dans les deux jours comme Hubert Védrine à Belgrade. Ils n´ont reçu le président croate à Paris qu´après quatre mois et fort discrètement, alors que son homologue serbe a été accueilli à Biarritz immédiatement et en triomphateur.

Pourtant, à Zagreb, le changement a été radical sur le plan non seulement intérieur, mais aussi extérieur : renonciation complète à la politique de partage de la Bosnie qui était celle de Tudjman, acceptation de toutes les exigences de la communauté internationale, facilités accordées (non sans résistances) au retour des réfugiés serbes et, surtout, collaboration intégrale avec le Tribunal international. Plusieurs criminels de guerre ont été arrêtés et livrés à La Haye, ceux qui leur avaient donné de faux papiers sous Tudjman sont en prison, les investigations du Tribunal sur les lieux de certains crimes ont été facilitées…

Tout cela provoque des remous dans une partie minoritaire mais influente de l´opinion croate qui se plaint qu´on s´en prenne à des défenseurs de la patrie. Il y a eu des manifestations, des lettres de protestation d´un groupe de généraux ; un témoin qui avait déposé à La Haye a été assassiné, et Mesic lui-même a reçu des menaces de mort ; on a craint un coup d´Etat militaire, le président a limogé sept généraux. La tension en Croatie reste forte.

Imaginons les réactions de l´opinion croate si, aujourd´hui, on vient lui dire qu´après tout on ne va pas juger Milosevic ; qu´on a forcé la Croatie à se soumettre aux exigences de la justice internationale, mais que la Serbie en est dispensée. A Zagreb, ce sera l´explosion. La Croatie présente dans ces derniers mois un cas exemplaire d´abjuration du nationalisme, de bonne entente avec ses voisins (Bosnie, Monténégro, Macédoine), d´acceptation intégrale de toutes les demandes de l´Europe et du Tribunal international. Il serait scandaleux d´exiger moins de l´agresseur initial, la Serbie, que de sa toute première victime, la Croatie (qu´on se rappelle 1991, les obus sur Dubrovnik, les charniers de Vukovar…).

Le Serbe moyen a vu comme nous sur ses écrans l´accueil empressé réservé à Biarritz à son nouveau président. Il sait que les sanctions ont été levées inconditionnellement, que les crédits affluent, que la porte de l´Europe est grande ouverte à son pays, sans qu´aucune condition soit posée, même pas le châtiment du principal coupable, même pas la libération immédiate des otages kosovars détenus en Serbie depuis dix-sept mois. Quelle conclusion peut-il en tirer, sinon celle que formule déjà une observatrice française très favorable à la cause serbe, Marie-France Garaud (LCI, 10 octobre) : « Cette levée des sanctions a comme un air de repentance » ?

Oui, tout se passe comme si l´Europe contrite venait, la corde au cou, demander pardon aux Serbes d´avoir parfois, pas trop souvent, contrecarré leurs légitimes entreprises…

La complaisance occidentale devant Kostunica est aujourd´hui le plus grand danger. Elle enfonce le peuple serbe dans la certitude de son bon droit et dans ses préjugés chauvins. Elle empêche cette prise de conscience progressive des erreurs du passé que le changement démocratique, à peine esquissé en Serbie, déjà largement engagé en Croatie, aurait dû à la longue rendre possible.

Il appartient à nos gouvernants de maintenir intégralement le principe d´une justice internationale, impartiale ; et d´imposer à Belgrade, aussi rigoureusement qu´on l´a fait à Zagreb, de se soumettre à cette juridiction. Sinon le nationalisme exclusif, haineux, persistera indéfiniment en Serbie, il reprendra brutalement le dessus en Croatie et ailleurs. Et, un jour, tout recommencera…

Paul Garde est professeur émérite à l´université de Provence.

  RECHERCHER
 
  Approfondir

  TOUS LES ARTICLES
  POLITIQUE
  Ante Gotovina arrêté en Espagne  
  TV Public Sénat : Spéciale Croatie  
  "La Croatie européenne" : conférence du Premier ministre, Ivo Sanader  
  Commémoration de la Révolte des Croates à Villefranche  
  10e anniversaire de l'opération Tempête  
  Mise en service de l'autoroute Zagreb-Split  
  La Croatie commémore sa résistance aux côtés des Alliés  
  Le président Mesic décore plusieurs Croates de France  
  UEO : président Mesic plaide pour l'élargissement de l'UE  
  Décès de Jean Paul II: la Croatie honore la mémoire du pape slave  
  Décès de Jean Paul II: la Croatie honore la mémoire du pape slave  
  UE: création d'une "task force" pour la Croatie  
  UE-Croatie: report du lancement des négociations  
  Le président du Sabor en visite à Paris  
  Stipe Mesic réélu haut la main  
  Second tour: Mesic-Kosor  
  Présidentielle 2005  
  Otages français: félicitations du chef de la diplomatie croate  
  UE: ouverture des négociations le 17 mars 2005  
  UE : unanimité des députés croates  
  JO 2012: Dubrovnik accueille les villes candidates  
  Colloque : bicentenaire du Code Napoléon  
  Francophonie : la Croatie devient pays observateur  
  Le cardinal Bozanic en visite à Paris  
  370 000 Français attendus en 2004  
  Croatie-Slovénie : Zagreb réclame un arbitrage international  
  Une diplomate croate à l'assaut de l'Union  
  Mémoire : la Révolte des Croates à Villefranche  
  Michel Barnier en visite à Zagreb  
  L'UE accorde le statut de candidat à la Croatie  
  France-Croatie: Programme de coopération 2004-2006  
  Le ministre de la Défense à Eurosatory 2004  
  Patrick Bloche en Croatie  
  Miomir Zuzul rencontre Michel Barnier  
  Stipe Mesic reçu par Jacques Chirac  
  Avis favorable de Bruxelles à la candidature de la Croatie  
  Soutien franco-allemand à l'intégration de la Croatie  
  Stjepan Mesic : Ce que l'Europe gagne avec la Croatie  
  Ivo Sanader a formé son gouvernement  
  Législatives : victoire de la droite  
  Législatives 2003 : la Croatie aux urnes  
  Rapport du Sénat : le redressement de la Croatie  
  Création d'une Zone de Protection écologique et de Pêche en Adriatique  
  UE : un nouveau pas vers l'adhésion de la Croatie  
  Gagro: la candidature de la Croatie à l'UE  
  Villefranche-de-Rouergue : 60e anniversaire de la Révolte des Croates  
  La Croatie à l'honneur au Sénat  
  La Croatie, 100e voyage du pape Jean Paul II  
  Gagro: la Croatie historiquement liée à la France  
  UE: la Croatie candidate à l'adhésion  
  Mesic : "La Croatie entrera dans l'UE en 2007"  
  "Croatie: objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  UE: la Croatie candidate
  Présentation multimédia
 
  Voir liste complète

 
  LE MOT DE L'AMBASSADEUR
  Nouvelle alternance réussie  
  La Croatie vote  
  Voir tous les éditos

 
  ÉCONOMIE & TOURISME
  Guide touristique  
  M. Cobankovic inaugure le forum de Ploudaniel  
  UBIFRANCE: séminaire Croatie  
  Instantanés de Croatie: campagne 2005  
  Aif France: nouveau vol quotidien Paris-Zagreb  
  MIDEST 2004: entreprises croates cherchent partenaires  
  Thalassa, 7 semaines à Korcula  
  Les Français à l'assaut de la côte dalmate  
  La Méditerranée retrouvée  
  Rendez-vous sportifs : Rijeka et Split, villes candidates  
  S. Mesic: renforcer le partenariat commercial avec la France  
  Journée découverte à Dubrovnik  
  Florilège de nouveaux guides touristiques  
  CFCE - Croatie: croissance et ouverture, un marché qui s'affirme  
  Création d'une Chambre de commerce franco-croate  
  Supplément "Croatie" dans Le Monde  
  Tourisme: "La Méditerranée s'agrandit"  
  AvenirExport 2002 : Investir en Croatie (diaporama)  
  Voir liste complète

 
  SOCIÉTÉ - SPORTS
  La Croatie remporte la Coupe Davis avec Ljubicic, Ancic, Karlovic et Ivanisevic  
  Les stars croates du Mondial 98 font leur cinéma à Paris  
  Cilic vainqueur de Roland Garros Juniors 2005  
  Mondiaux de Ski: 3 médailles d'or pour Janica Kostelic  
  EURO 2004 : France-Croatie 2-2  
  EURO 2004 : décevant Croatie-Suisse  
  Coupe Davis: La Croatie s'incline à Metz  
  Coupe Davis: France-Croatie  
  Euro 2004 : la Croatie rencontrera la France  
  Nikola Tesla, physicien visionnaire  
  Robert Badinter, fait docteur honoris causa à Zagreb  
  Ancic donne des frayeurs à Agassi  
  Janica et Ivica Kostelic remportent trois médailles d'or  
  Handball: la Croatie championne du monde  
  18 novembre 1991, la chute de Vukovar  
  Voir liste complète

 
  DANS LES MÉDIAS
  Libération : Plitvice, balade en lacs majeur  
  Libération : Kornati - Prendre le maquis en Croatie  
  Le Figaro : S. Mesic "Un pas de plus vers l'adhésion"  
  Le Figaro : S. Mesic "La Croatie rejoindra l'UE en 2007"  
  Le Monde : "Croatie, objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  Le Figaro : Zagreb candidat à l'UE dès 2003  
  La Croix : Prevlaka revient dans le giron croate  
  Dubrovnik, la belle de Dalmatie  
  Escales en Dalmatie  
  Thalassa, 8 semaines à Hvar  
  Heureux comme Robinson aux Kornati  
  Croatie, Riviera Paradiso  
  Voir liste complète

 
 

 LA CROATIE | ACTUALITÉS | VIE CULTURELLE | L’AMBASSADE | ACCUEIL 

 Haut de page | Plan du site | Nous contacter