01/2004
LE
JOURNAL DU PARLEMENT
« Ce
que l’Europe gagne avec la Croatie »
par
Stipe Mesic
Président
de la République de Croatie
Avec l’adhésion de dix nouveaux
membres en 2004, moins de quinze ans après la chute du
Mur de Berlin, l’Union européenne s’apprête
à connaître le plus important élargissement
depuis sa création. Et pourtant. Si le pas en direction
de l’Europe réunifiée sera de taille, il nous
faudra encore attendre quelques années avant que notre
continent se mette enfin à respirer de ses deux poumons
: sur son flanc Sud-Est, la Croatie
et six autres pays devront attendre les prochains élargissements.
Mais d’ores et déjà, pour la première
fois dans l’histoire du Vieux Continent, hommes politiques
et parlementaires sont les acteurs d’un rêve millénaire
sur le point de devenir réalité : l’Europe
enfin réunifiée, démocratique et pacifique.
Pour un pays comme la Croatie, malmené par l’histoire,
participer à cette aventure unique tout en renouant avec
ses racines européennes prend un relief particulier.
En
février 2003 notre pays a posé sa candidature
d'adhésion à l'Union européenne, répondant
ainsi aux aspirations de ses citoyens, à leur désir
de lier leur destin à la communauté des nations
européennes dont ils partagent les valeurs. Nous l'avons
fait après avoir reçu des signes encourageants de
nombreux pays membres, notamment de la France, d’où
notre espoir de recevoir au printemps 2004 une réponse
positive de la Commission européenne, ce qui nous permettrait
ensuite d’entamer les négociations d’adhésion.
Rejoindre l’Union c’est pour nous d’abord synonyme
d’une profonde « remise à niveau »,
d’une vaste modernisation de notre société.
Mais nous souhaitons également apporter notre contribution
à l'avènement d'une Europe élargie, forte
de son héritage culturel commun, unie en matière
de politique étrangère et de sécurité.
Car nous savons aussi ce que, de par notre expérience propre
et notre position géographique, nous sommes en mesure d’apporter
à l’édifice commun, hormis de constituer une
étape supplémentaire vers l'achèvement du
projet d’élargissement de l'Europe.
Tout d’abord un pôle de stabilité sur son flanc
sud-est. Tous reconnaissent aujourd’hui à la Croatie
son rôle décisif joué dans la région
aussi bien dans le dénouement de la crise yougoslave que
dans la consolidation de la paix et de la démocratie. Sa
lutte efficace contre les filières balkaniques du crime
organisé en font également une partenaire incontournable
de la lutte antiterroriste en Europe et des trafics en tous genres.
Son entrée dans l’Otan, d’ici quelques années,
viendra encore renforcer sa participation à la sécurité
régionale.
Ensuite
son potentiel économique. D’ores et déjà,
la Croatie a rejoint la plupart des pays futurs membres de l’UE
: PIB par habitant avoisinant les 5500 euros par an, croissance
de 5 %, inflation et déficits maîtrisés, à
quoi s’ajoutent les recettes d’un tourisme
en expansion avec plus de 7 millions de visiteurs en 2002, pour
4 millions d’habitants. Ce redressement, que souligne d’ailleurs
un rapport récent du Sénat
français, place la Croatie en tête des pays qui ne
participeront pas à l’élargissement de mai
2004. Parmi d’autres, la France y a reconnu un partenaire
économique privilégié dans la région
: ses investissements ont triplé en deux ans.
Puis sa situation géographique charnière. Un coup
d’œil sur une carte
suffit pour finir de s’en convaincre. Façade méditerranéenne
de l’Europe centrale, la Croatie contribuera aussi, en rejoignant
l’UE, à réduire sensiblement l’isolement
géographique de la Grèce. Par la longueur exceptionnelle
de sa côte dalmate et istrienne et de son millier d’îles,
elle accroîtra substantiellement la composante méditerranéenne
de l’Union. Son oléoduc adriatique fournira, lui,
une nouvelle voie d’approvisionnement en hydrocarbures.
Nous
avons conscience de ce que nous pouvons apporter à l'Union
européenne. A son tour, celle-ci doit en prendre acte et
manifester sa volonté d'en tirer parti. Cette réciprocité
constitue la base la plus solide pour l’intégration de la
Croatie à l’UE, que nous espérons voir se concrétiser dès
2007. |
Enfin
son patrimoine culturel et naturel remarquable. Située
à mi-chemin entre les deux foyers de la civilisation européenne
que furent Rome et Athènes, la patrie des plus latins des
Slaves sut préserver au fil des siècles un héritage
exceptionnel mêlant à profit les influences romaines,
byzantines, franques, vénitiennes, austro-hongroises et
balkaniques, mais qui, demain, sera appelée à enrichir
la diversité culturelle de l’Union. En témoignent
les six sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco,
dont la vieille cité de Dubrovnik,
mais aussi une nature préservée grâce notamment
à huit parcs nationaux.
Pour ma part, je n’ignore cependant pas que nombre de voix
s'élèvent pour réclamer une pause afin de
permettre à l'Union de « digérer » ce
premier élargissement à l'Est. Mais je n’en
reste pas moins convaincu que c'est néanmoins maintenant,
après le « round » de Copenhague,
qu'il faut persévérer et poursuivre. Il faut sans
délai œuvrer pour créer les conditions préalables
aux élargissements futurs - il en va aussi bien de l'intérêt
de l'Union que de celui de ses membres potentiels, des pays en
transition pour la plupart. Il faut donc faire preuve d'ardeur
et de volonté politique, afin que cette noble aspiration
à établir une Europe unie devienne enfin réalité.
Aussi, j’estime indispensable de donner une chance à
l'Europe du Sud-Est, théâtre des derniers conflits
qu'a connus le Vieux Continent, afin qu'elle se transforme en
une zone de stabilité, de paix et de sécurité.
Par la politique qu'elle mène dans la région, la
Croatie contribue à surmonter une situation à certains
égards encore fragile, notamment en œuvrant au rétablissement
de relations normalisées, et d'une coopération motivée
par la recherche de l'intérêt commun.
En encourageant la coopération régionale –
concept entériné au Sommet
de Zagreb que j’ai eu l’honneur de présider
avec le président Chirac en novembre 2000 –, la Croatie
souhaite entraîner les autres pays de la région dans
son sillage. A terme, cela devrait aboutir à la mise en
place d'un réseau de relations bilatérales et multilatérales
de nature à reléguer dans les livres d'histoire
l'expression de « poudrière » longtemps associée
au sud-est européen, et notamment aux Balkans. Il ne s'agit
donc pas pour la Croatie de couper les ponts avec eux ; il s'agit
au contraire de les rapprocher de l'Europe, en participant à
leur transformation, en leur apportant « plus d'Europe ».
On le voit, la Croatie ne conçoit pas sa relation avec
l'Union européenne dans une relation à sens unique,
en position de demandeur. Nous avons aussi conscience de ce que
nous pouvons apporter à l'Union européenne. Celle-ci,
à son tour, doit en prendre acte et manifester sa volonté
d'en tirer parti, de manière que chacun donne et reçoive
en retour. J'ai la conviction que c'est précisément
cette réciprocité qui constitue la base la plus
solide pour l’intégration de la Croatie à
l'Union européenne, dont nous pensons qu’il est réaliste
qu’elle se concrétise dès le prochain élargissement
prévu pour 2007.
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