LE FIGARO. – C'est votre second
voyage à Paris
en moins de six mois. Y a-t-il des liens privilégiés
entre la France et la Croatie ?
Stipe MESIC. – Je le crois, même si nous
partageons aussi des intérêts communs. La Croatie
est préoccupée par l'élargissement de l'Union
et la France, en tant que grande puissance européenne,
y occupe une place de premier rang. L'intérêt de
la France est d'élargir ses marchés. J'espère
que cette visite permettra de réaliser ces deux objectifs,
des progrès dans l'élargissement et la création
de nouvelles possibilités de coopération économique.
Les relations économiques de la
France et de la Croatie sont-elles satisfaisantes ?
Ce n'est pas le mot. Par rapport à nos relations
politiques, qui sont excellentes, nos liens économiques
restent insuffisants.
L'économie croate n'est pas assez connue dans les milieux
d'affaires français.
Qu'attendez-vous du sommet de Salonique
?
Salonique représente pour nous un pas de plus
vers l'adhésion
à l'Union. Ce sera aussi l'occasion de faire le bilan
des progrès que nous avons réalisés pour
nous aligner sur les standards européens. Nous sommes l'une
des économies les
plus avancées des pays en transition. L'Union européenne
saura le reconnaître.
Le Tribunal pénal international
reproche à la Croatie de ne pas assez coopérer avec
La Haye. Pourquoi cette collaboration est-elle si difficile ?
On ne peut pas dire que la Croatie ne coopère
pas avec le TPI. Elle le fait dans la mesure de ses moyens. Nous
visons une individualisation des responsabilités. Il faut
mettre fin à la responsabilité collective et à
la culpabilisation des peuples. Mais les responsabilités
concernant la guerre sont délicates à évaluer.
Des individus peuvent avoir eu du mérite pour certaines
choses et ne pas avoir empêché que des crimes soient
commis. Il est difficile d'expliquer cela à l'opinion croate.
Mais je reste persuadé que la coopération avec le
TPI permettra d'éclairer ces événements.
Pourquoi le retour des réfugiés
serbes en Croatie n'est-il toujours pas achevé ?
Le retour des citoyens serbes de Croatie est dans notre
intérêt. La communauté internationale y verrait
ainsi la preuve que nous sommes un État de droit et que
notre démocratie a une certaine maturité. Nous sommes
en train d'accélérer le retour des réfugiés
serbes et la restitution de leurs biens. Mais beaucoup d'entre
eux ne peuvent pas encore revenir car leurs maisons sont occupées
par des réfugiés croates qui eux même ne peuvent
pas retourner dans leurs maisons en Republika Srpska (l'entité
serbe de Bosnie). Nous avons donc entamé des négociations
avec les autorités bosniaques.
Les relations entre la Croatie et la Serbie
ont-elles changé depuis l'assassinat du premier ministre
serbe Zoran Djindjic ?
Nos relations ont changé après le départ
de Milosevic à La Haye. C'est à ce moment-là
que la Serbie s'est engagée sur la voie européenne.
La mort de Djindjic
est une perte. Mais paradoxalement, elle a permis au courant proeuropéen
de se renforcer.
Comment interprétez-vous les récents
affrontements entre supporters serbes et croates à la fin
d'un match de water-polo en Slovénie ?
Nous condamnons les actes perpétrés par
des extrémistes croates minoritaires. Nous condamnons aussi
le fait qu'un petit groupe serbe ait utilisé ce prétexte
pour exprimer sa volonté politique de mettre fin à
la coopération entre Belgrade et Zagreb. Ce sont les vestiges
du régime de Milosevic. Ces gens ne veulent pas que la
Serbie se rapproche de l'Union européenne. Heureusement,
en Serbie également, ce groupe est minoritaire.
La Croatie vient de s'opposer à
Washington en refusant de signer un accord bilatéral exemptant
les soldats américains de poursuites devant la Cour pénale
internationale. Cette décision, qui risque de faire perdre
à la Croatie l'assistance militaire américaine,
a-t-elle été difficile ?
Non, car nous respectons un certain nombre de principes
dans notre politique. Nous estimions ainsi qu'une action militaire
contre l'Irak ne devait être engagée qu'avec le feu
vert des Nations unies. S'agissant de la CPI,
il serait difficile d'expliquer à notre opinion publique
pour quelles raisons des Croates pourraient se retrouver devant
cette cour alors que des étrangers y échapperaient.
Votre gouvernement a signé la lettre
proaméricaine du «Groupe de Vilnius» tout en
réaffirmant la nécessité de réintroduire
l'ONU en Irak. Où se situe la Croatie dans le débat
qui oppose la France et l'Allemagne à la Grande-Bretagne
et l'Espagne ?
Nous pensons que les Nations unies doivent être
impliquées dans les
mécanismes de décision lorsque ceux-ci portent sur
une intervention militaire. En général, nous pensons
que de longues négociations valent mieux qu'une guerre,
si brève soit-elle.
Craignez-vous un retour du HDZ et des
forces de l'ancien régime de Tudjman aux prochaines élections
?
Les sentiments d'oubli et d'amnésie collective
ne sont pas réservés à la Croatie. Les gens
s'attendaient à des changements rapides. Certains oublient
que le pays a longtemps vécu dans l'isolement, avec un
taux de croissance égal à zéro. La tâche
est considérable et nous nous y attelons sérieusement.
Mais en dernière instance il faudra entendre les arguments
politiques de nos opposants. Or, le HDZ
n'est pas un mouvement articulé sur le modèle des
partis européens. Il s'est prononcé contre le rapprochement
avec l'Union. Le HDZ n'a toujours pas compris que la Croatie a
sa place en Europe. Je crois donc que le moment n'est pas venu
pour qu'il revienne au pouvoir. Il faudrait d'abord qu'il devienne
un parti européen et qu'il élimine de ses rangs
les responsables de la catastrophe croate. La Croatie est bel
et bien engagée sur la voie d'un rapprochement avec l'Union
Européenne. Et on ne peut pas arrêter cette
marche.