04/07/2003
LE MOT DE L'AMBASSADEUR
De
Zagreb à Salonique
Les Cinq sur les rangs à leur tour
Le
sommet de Salonique a marqué la véritable entrée
des cinq pays d'Europe du Sud-Est dans l'agenda européen
et réaffirmé les conclusions du sommet de Zagreb
: approche individuelle et coopération régionale.
La demande d'adhésion de la Croatie, encouragée
par ses bons résultats, vient s'inscrire dans un contexte
favorable, à la fois grâce à l'entente nouvelle
que connaissent aujourd'hui les pays de la région et à
l'émulation que suscite de manière unanime le projet
européen.
Au
lendemain du bref sommet qui s’est tenu le 21 juin
dernier à Salonique entre les cinq pays dits des «
Balkans occidentaux » et les Quinze, la Croatie a des raisons
d’afficher sa satisfaction. Pour laconique qu’il fut,
le président croate, Stipe Mesic,
n’en a pas moins été clair : « On y
a obtenu ce qu’on en attendait ». Si dans l’ensemble
on ne peut exclure une certaine forme de courtoisie diplomatique,
les Cinq se sont avant tout montrés conscients des priorités
de l’élargissement en cours et attentifs aux efforts
que la présidence grecque avait déployés
pour tenter de leur assurer un statut plus élaboré
ainsi qu’une rallonge financière plus substantielle
que les 210 millions d’euros finalement débloqués
sur le montant de l’aide qui leur avait été
précédemment allouée pour la période
2004-2006.
Mais le vrai motif de satisfaction pour la Croatie, comme pour
les autres (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine
et Serbie-Monténégro), c’est que le Sud-Est
européen a enfin fait sa véritable entrée
dans l’agenda européen. On est en effet sorti du
non-dit qui avait marqué les discussions préparatoires
du sommet historique de Copenhague réuni en décembre
2002. Certes, si un calendrier précis fait toujours défaut,
force est de constater que de « candidats potentiels »,
dénomination à la fois neutre et abstraite, les
cinq pays concernés se sont désormais vu accorder
une perspective de vrais candidats dès qu’ils seront
prêts, tandis que la demande
d’adhésion à l’UE présentée
par la Croatie est « actuellement examinée par la
Commission ».
« Les
progrès de chaque pays sur la voie qui les mène
vers l’Union européenne dépendront de
la manière dont chacun respectera les critères
de Copenhague et des conditions fixées pour le PSA,
qui ont été confirmés dans la déclaration
finale du sommet de Zagreb de novembre 2000 »
Déclaration de Salonique. |
Au
lendemain de Salonique, on mesure ainsi mieux l’importance
des orientations prises durant le Sommet
de Zagreb, au mois de novembre 2000. Les principes inscrits
dans sa déclaration finale
ont été simplement réaffirmés, peut-être
avec davantage de conviction et de précision, même
si d’aucuns n’y verront que la réitération
de deux idées-forces : d’une part, celle de l’approche
individuelle vis-à-vis de chaque pays candidat quant à
son rapprochement et son intégration finale dans l’Union
européenne, traitée au cas par cas, et, de l’autre,
celle de leur coopération régionale, notamment sur
les plans politique et économique. « Les progrès
de chaque pays sur la voie qui les mène vers l’Union
européenne dépendront de la manière dont
chacun respectera les critères de Copenhague et des conditions
fixées pour le Processus de stabilisation et d'association
(PSA), qui ont été confirmés
dans la déclaration finale du sommet de Zagreb de novembre
2000 », réaffirme la déclaration de Salonique.
Compte tenu des disparités
économiques entre la Croatie et ses voisins méridionaux,
les Cinq constituent un ensemble relativement hétérogène,
masquant un niveau économique très inégal.
Aussi les carences et les points négatifs méticuleusement
énumérés dans l’agenda de Salonique,
fussent-ils indistinctement attribués à la zone
tout entière par Bruxelles, sont néanmoins loin
d’être uniformément répartis parmi les
pays concernés. Enfin, ce regroupement un peu trop insistant
sous la même étiquette n’est pas de nature
à rassurer ceux qui, comme la Croatie, ne veulent à
aucun prix risquer ni d’y perdre une indépendance
politique chèrement payée. Mais malgré ces
différences, parfois de taille, et les spécificités
qui sont les leurs, tous partagent un objectif commun, (ré)intégrer
la famille européenne aussi vite que possible. C’est
d’ores et déjà le seul projet politique sur
la table dans la région.
Solidaires
ou concurrents ?
Il n’est que de suivre l’accélération
des contacts entre les dirigeants des Cinq, leurs déclarations
communes et leurs initiatives concertées, pour mesurer
l’ampleur des progrès enregistrés et se rendre
compte que les responsables politiques agissent en faveur de leur
ambition partagée, et, au passage, ne se privent pas de
l’afficher. Les documents de Salonique s’en font d’ailleurs
clairement l’écho.
Il faut, à ce propos, souligner deux points. Le premier
c’est que cette entente nouvelle et cette coopération
restaurée paraît moins être la conséquence
de suggestions ou d’exhortations européennes ou euro-atlantiques
plus ou moins directes, que le fruit d’une authentique maturation
intérieure de la région. Et cette prise de conscience
se manifeste avant tout sous la forme d’une dynamique qui
voit se multiplier les pas positifs et crée les conditions
propices à un règlement accéléré
de problèmes concrets – suppression des visas, retour
des réfugiés, accords sur les litiges frontaliers
– ce qui ne peut qu’encourager les partenaires à
la poursuite du dialogue et de la concertation. Même l’épineuse
question du Kosovo n’y échappe pas puisque les dirigeants
de Belgrade et de Pristina se sont donné rendez-vous avant
la fin juillet pour entamer le dialogue.
L’autre point qu’il faut souligner, c’est les
bénéfices qu’apporte l’émulation
ainsi mise en place. Puisque chacun est soumis au mêmes
critères – et qu’il sera in fine jugé
« selon ses propres résultats » – selon
un principe aujourd’hui acquis et confirmé par l’Acoord
de stabilisation et d'association (ASA),
feuille de route conçue pour les « candidats
potentiels », il est souhaitable que les bonnes performances
des uns, affermissent la détermination des autres. En fin
de compte, la volonté de chacun de mobiliser ses propres
forces de changement, de mener à terme les réformes
nécessaires, d’encourager l’évolution
des mentalités, sera pour chacun de ces pays d’abord
une victoire sur soi avant d’être une compétition
avec les autres.
Rien
d’étonnant donc à ce que la demande
d’adhésion de la Croatie (le 21 février
dernier), la première des Cinq à le faire, suscite
auprès des quatre autres pays des réactions unanimes.
Certains ont manifesté un intérêt particulier
à l’égard des expériences croates des
procédures préparatoires dans cette toute première
phase du processus. D’autres considèrent avant tout
que la percée de la Croatie, qui s’est donnée
pour objectif d’atteindre le niveau de compatibilité
avec l’Union européenne dès fin 2006, ne peut
que leur être profitable à tous points de vue : celui
des enseignements qu’ils pourront en tirer, mais aussi de
l’exemple qu’elle peut incarner ou des encouragements
que sa réussite peut apporter à leurs propres efforts.
Pour sa part, la Croatie ne peut que se réjouir d’une
évolution si positive chez ses voisins méridionaux,
car celle-ci se répercute inévitablement son contexte
régional.
Pour chacun des pays pris isolément comme pour les Cinq
dans leur ensemble, le projet européen révèle
à la fois son énorme potentiel mobilisateur et son
pouvoir transformateur. De fait, velléités isolationnistes
et autres euroscepticismes polémiques subsistant encore
au plan intérieur s’estompent inéluctablement
et sont condamnés à terme. Nul doute que certains
des problèmes qui ont naguère envenimés les
relations entre divers pays de la région trouveront plus
facilement ou définitivement leur solution une fois que
ceux-ci auront rejoint l’Union européenne, et seront
tenus de se conformer à ses règles.
La
percée de la Croatie, qui s’est donnée
pour objectif d’atteindre le niveau de compatibilité
avec l’Union européenne dès fin 2006,
ne peut qu'être profitable à ses voisins méridionaux :
sur le plan des enseignements qu’ils pourront en tirer,
de l’exemple qu’elle peut incarner et des encouragements
que sa réussite peut leur apporter. |
Pour
souhaitable et utile qu’elle soit, l’aide matérielle,
en premier lieu financière, aujourd’hui des Quinze,
demain des Vingt-cinq, qui avait largement profité aux
pays des précédents élargissements, ne saurait
cependant être tenue pour vitale. N’entend-on pas
d’ailleurs partout le même refrain de Zagreb à
Skopje ? A savoir, qu’il dépendait pour l’essentiel
de chacun de se mettre ou non au diapason européen, de
créer les conditions qui lui permettent de postuler en
tant que candidat à l’intégration européenne.
Certes, cette prise de conscience réaliste et responsable
ne dispense pas les pays membres, et notamment ceux qui ont déjà
bénéficié des bienfaits de l’intégration
européenne, de manifester davantage de solidarité
politique, morale et matérielle, avec cette partie de la
« nouvelle Europe »,
et d’éviter ainsi que par mégarde, sinon par
des règles trop strictes, elle soit encore retardée
dans son processus de rapprochement. On ne peut à cet égard
que saluer la mise en place d’un forum annuel au niveau
ministériel, et périodique au niveau des chefs d’État
et de gouvernement, associant les pays de la région et
les pays de l’UE.
Entre-temps, on peut se féliciter que le Sommet de Salonique
marque une nouvelle étape quant au choix des Cinq de s’assurer
un avenir européen, objectif que certains d’entre
eux se sont déjà fixés depuis un moment et
d’autres plus récemment. Mais le fait est qu’ils
le partagent désormais de manière unanime et qu’ils
le perçoivent comme un trait d’union à la
fois à l’échelle régionale et européenne.
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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