La nouvelle Croatie vers
la nouvelle Europe
Par Stjepan
Mesic, président de la République de Croatie
Tribune
parue à la une du quotidien Le Monde
daté du 26 mars 2000.
Il y a
un mois et demi, la Commission européenne révéla les objectifs stratégiques quelle
poursuivra au cours des cinq prochaines années dans le but de forger « une
nouvelle Europe » - du nom de lambitieux projet de Romano
Prodi -, une Europe moderne, forte, efficace et équitable. En tant que président
de la République de Croatie récemment élu, je ne peux que me réjouir de la réforme
visée et souhaiter quelle aboutisse, le principal objectif stratégique de
la nouvelle Croatie étant justement de se rapprocher de Bruxelles avant dintégrer
pleinement la nouvelle Europe.
Si, dans
le passé, notre pays fut confronté à une avalanche de critiques, souvent justifiées,
et espérait vainement pouvoir participer à lentreprise unique quest
lintégration européenne, il semble que le moment est enfin venu de formaliser
une nouvelle forme de coopération avec lUnion européenne.
Noublions
cependant pas que ce sont les citoyens croates qui ont rendu possible une redéfinition
des relations entre Zagreb et Bruxelles. En effet, depuis les élections
parlementaires du 3 janvier dernier, un nouveau vent démocratique souffle
en Croatie, un vent que les principaux dirigeants européens nont pas tardé
à saluer. Et ils ont eu raison. Car les réformes annoncées tendant vers linstauration
dune véritable société civile ne resteront pas lettre morte. Au contraire,
les premiers signes joignant les actes à la parole - fait, hélas, rare dans
la région - sont déjà visibles.
Ainsi fut
instituée, sous mes auspices, une commission dexperts chargés de proposer
des modifications de la Constitution dans le sens dune redistribution des
actuelles larges compétences présidentielles au profit du Parlement et du gouvernement
- sans doute une contribution significative à la démocratisation de la vie
politique croate.
Nous avons
également montré que nous sommes déterminés à réaliser rapidement des progrès
dans lapplication complète des accords de Dayton-Paris : nous coopérons
dorénavant pleinement avec le Tribunal pénal international pour lex-Yougoslavie
à La Haye, où jai personnellement témoigné. Nous respectons entièrement,
sans ambiguïté aucune, la souveraineté et lintégrité territoriale de la
Bosnie-Herzégovine voisine, ce qui sous-entend le financement transparent des
institutions bosno-croates.
Nous nous
sommes engagés à encourager le retour de tous les réfugiés sans discrimination,
des Croates en Bosnie, comme des Serbes en Croatie dont beaucoup ont fui à la
suite de la déroute de larmée serbe. Autre signe positif : le nouveau
gouvernement a adopté une attitude généreuse envers les membres des minorités
nationales unanimement saluée.
Enfin,
la Croatie mène une politique constructive et apaisante dans la région, laquelle
ne peut être entièrement stabilisée tant que la République fédérale de Yougoslavie
sera gouvernée par le présumé criminel de guerre
Slobodan Milosevic.
Cest
donc une toute autre Croatie qui se profile à lhorizon dune région
dont nous savons quelle a connu trop de souffrances et de malheur ces dernières
années. Et il incombe justement à cette nouvelle Croatie de servir dexemple,
de montrer quil est possible de mettre sur pied un Etat
démocratique, respectueux des droits de lhomme et des minorités, fondé
sur une économie ouverte, et que faire siennes les valeurs fondamentales de lEurope
est la seule orientation qui vaille.
Nul doute :
le chemin qui mène aux acquis européens que les citoyens croates ont emprunté,
que ce soit sur le plan politique, économique, juridique, social ou culturel,
est encore long. Mais si lon assistait véritablement une Croatie ouverte
et ambitieuse, le processus de sa nécessaire transformation pourrait certainement
être à la fois allégé et accéléré. Car, sans être nécessiteux - la Croatie
est parfaitement consciente de son potentiel quelle na quà exploiter
efficacement -, notre pays a néanmoins besoin daide
économique et financière substantielle afin de pouvoir mener à bien les réformes
entreprises.
Lexemple
des pays dEurope occidentale peu après la seconde guerre mondiale ne montre-t-il
pas que cest la reconstruction et lintégration de leurs économies
qui ont permis le renforcement et, dans les cas ouest-allemand et italien, lémergence
de systèmes politiques sinspirant des valeurs de la démocratie libérale ?
La Croatie
ne demande pas que lon accomplisse à sa place la difficile tâche quelle
sest fixée. Elle ne réclame pas non plus un traitement particulier. En revanche,
elle appelle de ses voeux une évaluation objective et constructive, par Bruxelles,
de sa situation et des progrès accomplis dans lédification dune société
civile et dune économie moderne qui lui reste encore à parachever.
Donnons
raison aux citoyens croates davoir finalement cru en lUnion. Souhaitons
que ses institutions sachent reconnaître le potentiel européen de la Croatie,
potentiel quelle pourrait réaliser bien plus aisément dans le cadre du processus
de stabilisation et dassociation,
quelle voudrait intégrer au plus vite. Ce serait là un geste décisif qui
rapprocherait considérablement la nouvelle Croatie de la nouvelle Europe.
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