14/11/2002
LE
MOT DE L'AMBASSADEUR
La Croatie et l'élargissement
La
prochaine vague du double élargissement à l'est, de l'Europe et
de l'OTAN, se fera sans la Croatie. La guerre qu'elle a endurée lui a hélas
fait perdre sa position enviée du début des années 1990,
mais ce potentiel lui permet aujourd'hui de se relever plus vite que d'autres.
Réalistes, les Croates sont déterminés à mettre toutes
les chances de leur côté pour figurer en bonne place lors de la deuxième
vague.
A l'heure
du double élargissement, qu'en est-il au juste des chances de la Croatie
de rejoindre l'Union européenne et l'OTAN ? Si vue de Paris, Berlin ou
Londres la question n'est pas encore à l'ordre du jour, pour les Croates
elle est capitale. Si bien que l'avenir européen de leur nation fait l'objet
d'un consensus très large qui rassemble les principaux partis
politiques et la grande majorité de la population. Il n'y a pas si
longtemps, leur pays figurait parmi les mieux placés d'Europe centrale,
que ce soit sur le plan économique ou du fait de son degré d'ouverture
à l'Ouest, accru par son importante diaspora.
La guerre, bien sûr, en a décidé
autrement. Dix ans après, si l'heure est au bilan, c'est aussi l'occasion
de préciser les échéances futures.
Le 25
juin 1991, le Mur de Berlin est alors déjà tombé, la
révolution de velours tchéco-slovaque est unanimement saluée,
le divorce russo-balte s'est fait à l'amiable, dans la foulée du
grand "chambardement démocratique". Ce jour-là, au lendemain
d'un référendum qui récolta 94 % de suffrages favorables
à l'indépendance, le Sabor, parlement
de la République socialiste de Croatie, alors l'une des entités
constitutives de la fédération yougoslave, décida à
son tour de rallier le cortège des peuples qui recouvraient leur liberté
après l'effondrement du bloc de l'est. Hélas, la Croatie dut payer
chèrement cette aspiration. Malgré le conflit sanglant imposé
par Belgrade, l'occupation d'un tiers de son territoire, elle réussira
dès 1992 à voir son indépendance reconnue
par la communauté internationale et, finalement victorieuse en 1995, à
réunifier son territoire.
Foi
inébranlée
L'élan
qui la conduisit à restaurer sa pleine souveraineté, restreinte
depuis le Moyen-Âge, participe de cette volonté de réintégrer
cette Europe à laquelle elle n'a jamais cessé d'appartenir, de l'empire
romain d'Occident puis à celui des Francs,
jusqu'aux Habsbourg, en passant
par les Anjou, Venise
et les Provinces illyriennes de Napoléon.
Aussi sa double détermination à rejoindre, d'une part, l'Union
européenne et, d'autre part, l'OTAN, perçu comme parapluie défensif
de l'Europe, a-t-elle invariablement constitué la pierre angulaire de sa
politique étrangère depuis 1990.
PIB/habitant
(2000)
|
à
parité de pouvoir d'achat
de la Croatie et
des pays en transition candidats à l'UE (2001) |
Rang
|
Pays
|
PIB/hab.
(2001, $)
|
PIB
(Mds de $)
|
 |
 |
 |
 |
 |
 |
1
|
Slovénie |
17 367
|
|
34,5
|
|
2
|
Rép.
tchèque |
13 991
|
|
144,0
|
|
3
|
Hongrie |
12 416
|
|
124,0
|
|
4
|
Slovaquie |
11 243
|
|
61,0
|
|
5
|
Estonie |
10 066
|
|
13,8
|
|
6
|
Pologne |
9 051
|
|
350,0
|
|
7
|
Croatie |
8 091
|
|
35,4
|
|
8
|
Lituanie |
7 106
|
|
26,3
|
|
9
|
Lettonie |
7 045
|
|
16,7
|
|
10
|
Roumanie |
6 423
|
|
144,0
|
|
11
|
Bulgarie |
5 710
|
|
46,6
|
|
Sources
: L'état du monde 2003. |
Mais la
guerre et ses séquelles vinrent compliquer la donne : léthargie
économique, implication dans le conflit en Bosnie-Herzégovine,
dérive autoritaire du pouvoir. Au final,
le soutien, la solidarité qu'aurait pu légitimement espérer
un pays en proie à une agression caractérisée fit largement
défaut. Malgré cela, jamais la foi européenne de la Croatie
ne fut ébranlée. Au contraire. Et l'on ne manqua pas de l'étayer
en insistant sur l'appartenance géographique
et culturelle au monde méditerranéen
et à l'Europe centrale, plutôt qu'aux Balkans.
Or, dans
les réalités internationales, les déclarations de principes
comptent peu face aux considérations complexes qui combinent de nombreux
critères, tel que l'évolution intérieure du pays, sa santé
économique, son contexte régional. Compte tenu des circonstances,
les gouvernements croates successifs ne sont pas parvenus à faire beaucoup
avancer les dossiers de l'intégration européenne ou atlantique.
L'année 2000 marqua enfin un tournant.
L'alternance politique, saluée par la communauté internationale,
aussi bien pour son caractère démocratique que pour la clarté
des prises de position politique de la Liste
d'attente
Premier
signe tangible, le Sommet de Zagreb, réuni
sous la présidence française de l'Union en novembre 2000. Tout en
insistant sur la nécessité de relancer la coopération régionale,
les Quinze y assurèrent les pays candidats de la région d'un traitement
"au cas par cas", apaisant avant tout les craintes croates de se voir
imposer un rythme ralenti, plus adapté aux réalités balkaniques
: pour ne s'en tenir qu'aux critères économiques, sans même
évoquer la précarité politique de ces États, le fait
est que le PIB/hab. de la Croatie (8100 $/hab., soit un tiers de la moyenne des
Quinze) représente le triple du PIB/hab. moyen de ses quatre voisins méridionaux
(Yougoslavie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine et Albanie).
PIB/habitant
(2001) |
de la Croatie et des pays des Balkans occidentaux |
Pays
|
Population
(millions)
|
PIB/hab.
(2001, €)
|
PIB
(Mds €)
|
 |
 |
 |
 |
1.
Albanie |
3,4
|
1 350
|
4,6
|
2.
Bosnie-H. |
4,3
|
1 175
|
5,1
|
3.
Macédoine |
2
|
1 885
|
3,8
|
4.
Yougoslavie |
10,6
|
1 323
|
14,0
|
-Serbie/Mont. |
8,6
|
1 412
|
12,1
|
-Kosovo |
2
|
941
|
1,9
|
Total
(1-4)
|
20,3
|
1
351
|
27,4
|
5.
Croatie |
4,4
|
5 140
|
22,6
|
Sources : Commission européenne, 2002. |
Ces avancées
aboutirent à la signature, le 29 octobre 2001, de l'Accord
de stabilisation et d'association (ASA), feuille de route ad hoc destinée
aux pays de la région où sont détaillées les étapes
à franchir avant de pouvoir rejoindre l'Union. Le gouvernement croate est
confiant quant à sa capacité de s'en acquitter à l'horizon
2006, et le soutien de 75 % de la population au rapprochement avec l'Union
européenne ne peut que le conforter.
Du côté
de l'Alliance atlantique, dès mai 2000, la Croatie
s'est d'abord vu proposer de rallier le Partenariat pour la Paix. Puis, en mai
dernier, au sommet de Reykjavik, elle a rejoint le Plan d'action pour l'adhésion
(MAP), qui l'a investie au rang de candidat officiel à l'élargissement
de l'OTAN.
Comme on
le sait, les semaines qui suivent marqueront deux étapes décisives
quant à ces deux processus d'élargissement parallèles, européen
et atlantique, dont la prochaine vague sera entérinée au sommet
de l'Union à Copenhague (12-13 décembre) et à celui de l'OTAN
à Prague (21-22 novembre). La Croatie n'en sera pas, même si elle
s'attend à être encouragée pour les efforts déjà
accomplis. D'une part, elle ne figure pas parmi les dix pays appelés à
rejoindre les Quinze dès 2004, vu qu'elle n'est pas encore pressentie pour
rejoindre la Roumanie et la Bulgarie sur la liste d'attente pour 2007, bien qu'on
lui décerna sans peine la meilleure note parmi les pays restants de la
région. D'autre part, à moins d'une surprise de dernière
minute, sept des dix prétendants officiels rejoindront l'Alliance lors
du prochain élargissement. L'Albanie, la Macédoine et la Croatie
devraient quant à elles encore poursuivre leurs efforts sur les plans militaire
et politique.
Maîtres
de leur destin
Les Croates
qui en 1990 pouvaient espérer rester dans le peloton de tête des
pays en transition appelés à rejoindre l'Europe, ont certes des
raisons d'être déçus. Réalistes, ils savent aussi qu'aucun
des dix élus pour 2004 n'eut à subir 40 milliards d'euros de
dommages de guerre - deux fois le PIB croate.
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Alors déçus
? Les Croates ont certes des raisons de l'être, eux qui en 1990, avec les
Slovènes, pouvaient raisonnablement espérer rester dans le peloton
de tête des pays en transition appelés à rejoindre l'Europe
communautaire. Réalistes, ils savent aussi qu'aucun pays parmi les dix
élus pour 2004 n'eut à subir des dommages de guerre, estimés
à 40 milliards d'euros - deux fois le PIB
national. Conscients de cette situation, ils voudraient rester optimistes tant
que les portes leur sont ouvertes, déterminés à mettre les
bouchées doubles pour rattraper leurs voisins d'Europe centrale. Ceci d'autant
plus que s'il est une chose qui ne risque d'être remise en question par
aucune alternance politique, c'est bien le choix européen de la Croatie.
Forte de
ses réformes politiques et de ses atouts économiques,
une croissance de 4 %, une inflation maîtrisée et un secteur
touristique en plein essor drainant sept millions de visiteurs par an, la
Croatie se prépare à poser sa candidature à l'entrée
dans l'UE dans le courant de l'année prochaine. Mais l'essentiel n'est-il
pas de savoir que désormais les Croates sont seuls maîtres de leur
destin ?
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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