20/12/2002

LE MOT DE L'AMBASSADEUR
Et après Copenhague?

S. E. M. Bozidar GagroLa première vague de l'élargissement de l'Union est désormais scellée, on ne peut que s'en réjouir, mais on peut aussi regretter l'économie d'encouragements distillés au compte-gouttes à ceux qui, à plus ou moins brève échéance, apporteront les dernières pierres à l'édifice commun. Des mises en garde autorisées s'élèvent d'ailleurs contre une telle approche sélective et non dénuée de risques, ce qui pousse la Croatie à accélérer le pas européen si elle souhaite tirer à temps son épingle du jeu.

C'est donc avec une élégance routinière, pourrait-on dire, que le Sommet de Copenhague survola la question des pays balkaniques - Roumanie et Bulgarie exceptées. Répondant aux sollicitations des journalistes, le commissaire européen aux relations extérieures, Chris Patten, a rappelé que les pays concernés par l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) - Croatie, Bosnie-Herzégovine, Yougoslavie, Macédoine et Albanie - ont vocation à devenir candidats à l'entrée dans l'UE dès qu'ils auront rempli les engagements souscrits. Encore faut-il préciser que seules la Macédoine et la Croatie l'ont signé à ce jour. Et la lettre des cinq présidents des pays de la région adressée aux instances européennes à la veille du Sommet ne suscita guère plus qu'une déclaration apaisante du président de la Commission européenne, Romano Prodi : "Nous vous attendons !", mélange subtil de "hâtez-vous !" et de "cela dépend de vous..."

Largement acquise à l'intégration européenne, l'opinion publique croate ne ménage pas ses critiques à l'égard du gouvernement, auquel il est parfois reproché, à tort ou à raison, de ne pas avoir su mieux faire reconnaître le potentiel du pays.

Cette manière laconique d'aborder ce sujet est d'ailleurs une tendance plutôt répandue dernièrement. On a pu le mesurer dans la presse avec la récente polémique sur les futures frontières orientales de l'Union, tant le non-dit balkanique était manifeste, tant l'inexistence de ce bout d'Europe, coincé entre Venise et Athènes, semblait aller de soi. A quelques exceptions près, parmi lesquelles il convient de citer le remarquable "Discours sur l'Europe" du ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin, il n'est pour l'heure question dans un avenir prévisible que d'une Europe à 25, voire 27…

Zagreb-II

Rompant avec le mutisme ambiant, un premier pavé dans la mare a été jeté début novembre par un think-tank particulièrement bien informé de l'évolution de la situation régionale. De fait, l'European Stability Initiative (ESI) est un de ces cercles officieux auxquels ne font apparemment défaut ni les moyens ni le soutien de personnalités comme Martti Ahtisaari, Carl Bildt ou encore Alain Le Roy (1), qui ont acquis, au long des missions qui leur furent confiées, une solide connaissance des Balkans. Raison pour laquelle les réflexions qui en émanent ne sont pas sans influence auprès d'instances plus officielles. Aussi les choses prennent-elles un relief particulier lorsque l'ESI dénonce sans ménagement la politique de l'Union européenne à l'égard de cette région.

SITES INTERNET

 Le gouvernement croate
 Le ministère croate des intégrations européennes
 La Délégation de la Commission européenne à Zagreb
 L'Union européenne
 L'ESI
 Commission européenne : La transition économique dans les Balkans occidentaux (PDF, 420 Ko, en anglais)

Dans un long document intitulé "Balkans occidentaux 2004 - assistance, cohésion et les nouvelles frontières de l'Europe", l'ESI lance en effet un vibrant plaidoyer en faveur d'une remise à plat de l'approche communautaire. Le point de départ de cette réflexion s'appuie sur la prise de position adoptée dans la déclaration finale du Sommet de Zagreb (novembre 2000) par laquelle l'Union européenne réaffirmait "la perspective européenne des pays participant au processus de stabilisation et d'association et leur qualité de candidats potentiels à l'adhésion". Mais ce qui est plus préoccupant, c'est que le groupe craint de voir une crise économique et politique profonde se développer dans la zone après 2004.

Il prévoit notamment un affaiblissement graduel des aptitudes de ces pays à répondre aux exigences que pose le projet européen, et redoute que ne s'évanouissent leurs chances d'entamer, dans un proche avenir, les négociations d'adhésion. Pour l'ESI, cette évolution négative et ces sombres perspectives sont, pour une large part, la conséquence conjointe de l'emploi de moyens inadaptés et de la conduite d'une politique inadéquate par l'Union européenne et ses pays membres. Face à ce constat d'échec, il en appelle à un réexamen urgent des stratégies qui doivent aboutir à l'élaboration d'un nouveau programme d'ici au sommet Zagreb II, qui doit se tenir, sous la présidence grecque, à Salonique, le 21 juin prochain.

Distinguo

Cependant la principale objection adressée par le groupe à l'Union européenne concerne la stratégie, trop axée sur la stabilisation et la reconstruction de cette région dévastée par plusieurs conflits. Ceci a, certes, donné des résultats positifs - il a été mis fin à la guerre, les idéologies extrémistes accusent un reflux - mais le développement économique ne suit pas pour autant. Or sans celui-ci, il ne saurait y avoir de solution à la plupart des problèmes sociaux, économiques et, en définitive, politiques, qui accablent ces pays. Par surcroît, il est prévu que l'aide allouée par l'Union au titre de la "stabilisation et reconstruction" soit sensiblement réduite pour la période 2004-2006. Conséquence, on risque de voir se creuser un fossé grandissant entre les pays des "Balkans occidentaux" et leurs voisins, qu'il s'agisse des membres de l'Union européenne ou des pays pressentis à l'élargissement, dopés par les fonds de pré-adhésion.

AIDE DE L'UE ALLOUÉE AUX PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX
Budget du programme CARDS pour 2000-2006 (en millions d'euros)
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
Total
Albanie
35
37
45
-
-
-
-
117
Bosnie-H.
101
104
72
63*
58*
-
-
398
Croatie
22
60
59
-
-
-
-
141
Serbie/
Monténégro/
Kosovo 
650
385
350
305*
250*
-
-
1940
TOTAL
956
903
766
700
600
500
500*
2596
* Estimations | Sources : European Stability Initiative

Détail important, parmi les pays considérés l'analyse établit un distinguo explicite entre la Croatie, seule d'entre eux jugée apte à surmonter rapidement ses difficultés, et les quatre autres, auxquels s'appliquent la plupart des conclusions préoccupantes de ce rapport. Néanmoins, et en dépit de cette dissymétrie reconnue, l'approche reste malgré tout régionale. Et c'est là que le bât blesse.

Car beaucoup plus qu'ailleurs la question des chances de rejoindre bientôt l'Union européenne fait l'objet, en Croatie, d'un large débat public passionné et omniprésent, qui mobilise bien au-delà des états-majors politiques des partis. Largement acquise à l'intégration européenne, l'opinion publique ne ménage d'ailleurs pas ses critiques à l'égard du gouvernement, auquel il est parfois reproché, à tort ou à raison, de ne pas avoir su mieux faire reconnaître le potentiel du pays. Dans ce même élan, il n'est pas rare d'y voir fustiger la politique européenne qui n'aurait eut de cesse de refouler la Croatie vers les Balkans et leur destin incertain.

Pourtant le gouvernement s'efforce de faire de son mieux, engrangeant lentement mais sûrement de bons points tout en affrontant simultanément divers dossiers épineux mais ne paraissant pas insurmontables, même à court terme. D'autre part, dans la déclaration finale du Sommet de Zagreb, l'UE approuva une formule équilibrée, conciliant à la fois le traitement au cas par cas de chaque pays en fonction de ses résultats, tout en tenant compte de la contribution de chacun à la stabilité et au développement de la région.

LA CROATIE - UNE POSITION CHARNIÈRE

Un temps réticent, Zagreb n'entretient désormais plus aucune réserve sur ce double principe. L'idée de la responsabilité régionale a fait son chemin tant dans la politique officielle que, et surtout, dans l'opinion publique croate. Et pour prendre toute la mesure des étapes d'ores et déjà franchies, il convient de rappeler que le pays a formalisé son rapprochement institutionnel avec Bruxelles dans une situation d'après-guerre, une page qui est aujourd'hui définitivement tournée.

Pour autant, le devoir de favoriser et de soutenir la stabilité et le développement de la région ne doit pas signifier qu'il faille se résigner au rôle d'otage de son voisinage méridional. Et c'est là que le premier terme de l'équation, c'est-à-dire l'évaluation individuelle des avancées de chacun, acquiert sa véritable signification et sa légitimité. Ou pour reprendre la formule éloquente du premier ministre croate, Ivica Racan : "Coopération régionale, oui ; destin régional, non". Dans ce contexte, il va sans dire que le récent aveu du commissaire européen à l'élargissement, Günter Verheugen, soulignant, certes en son nom personnel, les chances de la Croatie de rejoindre la Roumanie et la Bulgarie d'ici 2007, a été reçu à Zagreb comme un sincère encouragement et une reconnaissance des efforts accomplis.

Avec la deuxième vague

Après Copenhague et surtout compte tenu du fait que la Grèce, sensible aux aspirations de ses voisins balkaniques, héritera de la présidence européenne au premier semestre 2003, il y a lieu, non pas de changer, mais plutôt de redonner corps aux termes de la déclaration de Zagreb en les redynamisant.

La Croatie entend y contribuer à sa manière. Celle-ci passe primo par l'obtention d'un consensus national sur sa politique européenne. Secundo cela suppose de formaliser, dans les meilleurs délais, sa demande d'adhésion à l'UE, en tenant compte parallèlement du bon déroulement de la mise en œuvre des dispositions prévues par l'ASA. Enfin tertio cela la conduira à renforcer son rôle dans le cadre de toutes les concertations et initiatives au niveau régional.

Réaliste dans son auto-évaluation, consciente de son retard par rapport aux dix prochains membres de l'Union européenne, mais n'ayant pas à rougir de la comparaison avec les candidats de la deuxième vague (celle de 2007), et forte de son avance indiscutable sur les autres pays de la région, la Croatie, portée par la ferveur européenne retrouvée de ses citoyens, se sait désormais capable de relever tous les défis.

Bozidar GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France


Notes
(1) Martti Ahtisaari, ancien président finlandais, fut médiateur international au cours de la guerre du Kosovo ; l'ancien premier ministre suédois, Carl Bildt, fut l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU en ex-Yougoslavie; Alain Le Roy est coordonnateur national du Pacte de stabilité pour l'Europe du sud-est.

 

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