20/04/2002
LE MOT DE L'AMBASSADEUR
Présences
croates
Comme
la plupart des pays d'Europe centrale, la Croatie demeure encore
relativement méconnue en France, exploits sportifs exceptés.
Néanmoins, la mise sur pied dans les prochaines années
d'un vaste cycle culturel croate, dans le cadre duquel seraient
coordonnées d'ambitieuses manifestations, pourrait sensiblement
contribuer à la redécouverte de la Croatie par les
Français.
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Psyché,
Ivan Mestrovic, 1927 (détail). |
"Pourquoi
ne pas organiser une grande manifestation culturelle croate
en France ? Ce serait une excellente occasion de faire redécouvrir
la Croatie au public français". Cette séduisante
proposition, n'est pas, comme on pourrait le croire, celle d'un
diplomate croate. Elle émane du président français,
Jacques Chirac. C'est
en effet en ces termes encourageants qu'il répondait, dès
1996, à une observation de son homologue croate en visite
officielle à Paris qui regrettait alors le manque de visibilité
dont pâtissait à ses yeux la Croatie en France. Celui-ci
considérait, sans doute à juste titre, que l'identité
fraîchement recouvrée de son pays s'y trouvait trop
souvent diluée, noyée dans cette Europe centrale
tout entière sous des traits indistincts, déplorant
que la patrie de Krleza
et de Tesla
y demeure encore largement méconnue.
Nul
doute que cette généreuse suggestion du président
français procède de son credo maintes fois rappelé
selon lequel la culture au sens large - le patrimoine et création
contemporaine confondues - occupe une place à part quand
il s'agit de tisser des liens entre les peuples. Sans pour autant
vouloir sous-estimer le rôle, plus matériel, que
jouent les échanges économiques, ni même le
formidable impact que suscitent auprès d'un large public
les exploits des
athlètes, il n'en demeure
pas moins que les manifestations culturelles ont depuis longtemps
acquis leurs lettres de noblesse lorsqu'il s'agit de découvrir
les us et les coutumes d'un pays, et conservent à ce titre
incontestablement un rôle irremplaçable.
Tutelle de Malraux
Or
après avoir entretenu un passé plutôt riche
en contacts directs avec la France (Francs,
Anjou, Bourbons,
Napoléon
) - la fameuse
histoire de l'engouement français au XVIIe siècle
pour le foulard croate ou cravate
n'est que la plus emblématique -, la Croatie a, certes,
poursuivi cette tradition au XXe siècle, mais dissimulée
désormais sous le nom yougoslave, n'étant après
1918 qu'une des composantes de l'ex-Yougoslavie. Ainsi eut lieu
à Paris, en 1919, au Petit Palais, une première
grande exposition centrée sur l'uvre de Ivan Mestrovic,
artiste exceptionnel quoique encore injustement ignoré
par la critique internationale. Puis en 1950, ce fut le tour du
Grand Palais d'accueillir une très riche présentation
de l'art médiéval des Slaves du Sud. André
Malraux, pour qui celle-ci avait été une révélation,
prendra en 1971, sous sa tutelle de ministre de la culture, la
grande exposition panoramique qui répondait au titre audacieux
de "Huit mille ans d'art sur le sol de Yougoslavie".
Désormais
qu'il s'agit non pas de réinventer le nom croate, mais
de redécouvrir cette présence croate en France,
pour l'approfondir et la rendre plus familière, la question
quant à la meilleure manière de procéder
s'impose par elle-même. Sans doute faut-il continuer de
réagir positivement aux initiatives qui se présentent
spontanément çà et là. Ce fut notamment
le cas avec le concours croate, d'ailleurs très remarqué,
à la somptueuse exposition "L'Europe
des Anjou" qui s'est tenue l'année dernière
à l'abbaye royale de Fontevraud. C'est encore le cas actuellement
avec la présentation au Musée d'art moderne de la
Ville de Paris de l'artiste croate contemporain, Ivan
Kozaric. Pour autant, ces manifestations ponctuelles ne sauraient
remédier à cette véritable soif de reconnaissance
qu'éprouvent non seulement tous les pays nouvellement indépendants,
tel le nôtre, mais aussi, plus généralement,
la plupart des pays de l'Europe centrale et orientale, relégués
naguère au-delà du rideau de fer, barrière
qui ne fut pas seulement physique.
L'événement
central pourrait être une présentation braudélienne
de l'Adriatique croate, de ses paysages, sites, lieux de
mémoire millénaires
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Pour
parvenir à établir un véritable rythme de
croisière quant à l'intensité de nos échanges
culturels, ce qui comprend aussi la découverte culturelle
"de l'intérieur" stimulée par le développement
du tourisme, il est toutefois
indispensable de lancer en parallèle un ambitieux programme
de présentation culturelle qui soit à la hauteur
de l'attente d'un public exigeant et de référence,
tel celui que l'on rencontre à Paris et en France.
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CROATIE,
Gallimard, 1999. |
Autrement
dit, cela suppose que d'ici trois ou quatre ans nous soyons en
mesure de mettre sur pied plusieurs projets de qualité
dont au moins une manifestation de grande envergure. Ces temps
forts pourraient en mettre en relief plusieurs autres, qui les
accompagneraient, ou apporter un éclairage enrichissant
sur une publication ou un événement passé.
Citons à cet égard deux belles publications parues
récemment, les très sérieux "Trésors
de la Croatie ancienne" (Somogy, 1999) et, dans un
autre registre, le guide Gallimard de la Croatie (1999), qui mérite
pleinement son surnom d'encyclopédie de voyage.
Nouvelle tendance
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Drapé
féminin, Narona, Ier s. |
Encore
faut-il tenir compte des tendances du moment dans le choix des
thèmes et la présentation du sujet. S'agissant des
expositions, il semble en effet que les vastes panoramas historiques,
jugés aujourd'hui par trop linéaires, ne suscitent
plus l'enthousiasme des spécialistes ni des foules. Le
succès rencontré récemment par des expositions
croates ciblées sur des périodes ou sujets plus
restreints abonde en ce sens. Ce fut le cas de l'exposition "Les
Croates et les Carolingiens" qui s'est tenue à
Brescia, en Italie, l'année dernière. C'est le cas
également de la remarquable rétrospective présentée
au Portugal et consacrée au Zagreb des années 1950
et 1960, époque où la capitale croate connut un
vrai moment de rayonnement européen, avec le mouvement
de la "Nouvelle tendance".
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"Ultra
AB", Miroslav Sutej (détail). |
C'est
donc cette réflexion qui nous a finalement amenés
à orienter nos efforts en direction de l'organisation en
France, d'ici l'horizon 2004-2005, d'un véritable cycle
de manifestations culturelles, complémentaires mais indépendantes,
susceptibles d'être rassemblées sous le titre générique
de "Présences croates". Ce cycle pourrait,
par exemple, s'ouvrir par une exposition rassemblant les monumentales
sculptures romaines récemment mises au jour par des équipes
d'archéologues croates, pour venir s'achever sur la période
contemporaine. Mais l'événement central pourrait
parfaitement revêtir la forme d'une présentation
braudélienne de l'Adriatique
croate, de ses paysages, sites, voies de communication et
lieux de mémoire millénaires
Mesurant
bien notre potentiel intellectuel, scientifique et technique,
je ne doute pas de notre aptitude à proposer et à
réaliser un programme aussi ambitieux. Quant à l'effort
matériel, je suis convaincu que les considérations
budgétaires ne sauraient constituer un obstacle insurmontable,
dès lors que nous serons assurés du soutien actif
de nos amis français dans cette exaltante entreprise.
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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