27/06/2002
LE
MOT DE L'AMBASSADEUR
Football et politique
Les exploits sportifs et leurs usages
La
médiatisation omniprésente des compétitions sportives en
a fait des événements majeurs dont les dimensions planétaires
se sont désormais imposées au monde politique. Pour la jeune Croatie,
détentrice d'un palmarès sportif honorable, la simple participation
à la Coupe du monde de football en Asie fut déjà une victoire
en soi.
Tandis
que la Coupe du monde touche à sa fin, le planétaire accès
de fièvre footbalistique est sur le point de retomber. Malgré les
apparences, le phénomène ne date pas d'hier : Hérodote, "père
de l'histoire", évoquait déjà l'aventure d'un médecin
esclave grec que le roi perse avait affranchi pour le remercier d'être parvenu
à guérir sa fille. Une fois rentré dans son pays natal, il
y acquit la réputation d'être le meilleur des médecins. Pourtant,
lorsqu'il envoya de ses nouvelles au magnanime souverain, ce n'est pas son art
qu'il cita pour se targuer de la haute estime que lui vouaient les siens, mais
un fait bien plus méritoire à ses yeux, celui d'avoir épousé
la fille d'un lutteur célèbre, sacré champion olympique
"Panem et circenses" (du pain et des jeux), le très condensé
adage romain, était déjà en soi toute une philosophie.
Le retentissement des exploits sportifs dans tous les domaines, social, économique
ou politique fut d'ailleurs, depuis toujours, si considérable qu'on pourrait
sans peine, dans toutes les sociétés et à chaque époque,
en trouver des dizaines d'illustrations. Hormis le simple côté ludique
des joutes sportives, c'est aussi leurs prolongements multiples, les abus parfois,
qui ont de tout temps fasciné.
Aujourd'hui les combats de gladiateurs ont cédé la place au football
désormais entièrement "mondialisé", notamment depuis
les succès récemment rencontrés par les équipes africaines
et asiatiques. Le formidable spectacle qu'offre la Coupe du monde en Corée
du Sud et au Japon, parfaitement adapté à une exploitation médiatique
extrême, engendre inévitablement de nombreux effets pas toujours
si "secondaires" que ça.
Palmarès et croissance
Qu'il existe un "foot business", nul ne l'ignore plus guère.
Mais ce qui est nouveau, ce sont d'abord les retombées économiques
colossales que ces événements médiatico-sportifs génèrent
et l'influence directe que, selon les spécialistes, ils exercent sur la
croissance et la consommation de nations entières. Aussi, après
l'élimination prématurée des Bleus en Corée certains
n'hésitèrent-ils pas à exprimer leur crainte de voir faiblir
l'ardeur créatrice et la confiance retrouvée des Français.
Surtout si cela devait suivre une pente inverse à celle empruntée
quatre ans auparavant, quand le triomphe de l'équipe de France donna un
coup de fouet à l'économie hexagonale.
Les Croates
avaient fini par prendre goût au succès : l'argent en basket aux
JO 1992, l'or en hand-ball et water-polo aux JO de 1996, 3e place à la
Coupe du monde de football en France, victoires d'Iva Majoli à Roland Garros
en 1997 et de Goran Ivanisevic à Wimbledon en 2001, exploit de la skieuse
Janica Kostelic, quadruple championne olympique aux JO de Salt Lake City.
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Peut-être
ne faut-il y voir là finalement que les effets les plus tangibles d'une
euphorie qui touche des centaines de millions d'individus. Ce qui est en revanche
sûr, c'est que la politique ne manque désormais plus aucune occasion
de s'associer à ces festivités plébéiennes qui galvanisent
les masses. Ces "noces du football et de la politique" auraient d'ailleurs
été célébrées dès juin 1998, si l'on
en croit le chroniqueur du Monde, Jacques Buob. Lorsque l'on voit aujourd'hui
George W. Bush téléphoner au président mexicain ou bien au
chancelier allemand à la veille des rencontres entre leurs équipes
de football respectives, on ne peut s'empêcher d'en conclure que le mariage
est d'ores et déjà largement consommé.
Victoire médiatique
La Croatie aussi fut de la partie en Asie. Certes, pas de la manière
spectaculaire qui a marqué sa précédente
participation au championnat. Le maillot au damier rouge et blanc
n'a brillé qu'une seule fois contre l'Italie, mais pas
assez fort pour passer le premier tour. Pourtant la contre-performance
croate n'a été que relative. Elle l'a surtout
été quant à l'ambition, aux espoirs et au
rêve de dizaines de milliers de supporters de la sélection
nationale, voire de toute une nation. Elle l'a été
aussi par rapport à des adversaires qui, s'ils étaient
à sa portée, ont su s'imposer par leur ardeur et
leur détermination. Mais à quelque chose malheur
est bon : pour un jeune et petit pays comme la Croatie, participer
à la phase finale de la Coupe du monde et retenir l'attention
du monde entier, ne serait-ce qu'un seul jour, n'est pas si mal
et constitue déjà en soi une petite victoire.
Cela dit, la redescente sur terre fut malgré tout rude. Grisés,
les Croates avaient fini par prendre goût au succès. Cela commença
dès l'indépendance en 1992 avec les basketteurs qui décrochèrent
l'argent aux JO de Barcelone, juste derrière la Dream Team. Quatre ans
plus tard, les équipes de handball et de water-polo remportèrent
l'or olympique à Atlanta. Suivis en 1998
des coéquipiers de Davor Suker qui finirent troisièmes à
la Coupe du monde de football, derrière la France et le Brésil -
événement médiatique majeur pour la jeune Croatie. Ajoutons
à ces succès collectifs quelques belles victoires individuelles
: en 1997 celle de Iva Majoli à Roland Garros et en 2001 celle, superbe
et pathétique, de Goran Ivanisevic
à Wimbledon - après trois revers en finale en 1992, 1994 et 1998
! Enfin, la palme revient à la jeune skieuse, Janica
Kostelic, sacrée " reine des Jeux " de Salt Lake 2002 où
elle rafla trois médailles d'or et une d'argent. De retour au pays, tous
ces héros, ambassadeurs d'un nouveau genre, ont naturellement eu droit
à un accueil triomphal, dont aucun, bien entendu, n'a été
négligé par les leaders politiques.
Ni les aspects positifs (nouvelle convivialité planétaire, égalité
des nations devant les dieux du stade) ni ceux qui le sont moins (dérives
mercantilistes, chauvinisme sportif) ne sauraient cependant masquer le fait dominant
dont nous sommes les spectateurs : l'ampleur nouvelle prise dans nos sociétés
par le sport qui a désormais acquis une dimension planétaire inédite.
Après le rapprochement inespéré du Japon et de la Corée,
cette mondialisation du sport préfigurera-t-elle le déplacement
de la rivalité des nations de l'arène politique vers l'enceinte
plus pacifique du stade ?
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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