29/10/2003
LE MOT DE L'AMBASSADEUR
Ni
logique ni juste
Rijeka n'accueillera pas les Jeux méditerrannéens
de 2009
Candidate
pour la troisième fois, la ville croate en a une nouvelle
fois été pour ses frais, malgré un dossier
dont beaucoup s'accordaient à penser qu'il était
le mieux ficelé. Cet échec soulève néanmoins
la question des critères qui président au choix
des villes. En outre, les grandes nations qui sont par ailleurs
en mesure d'organiser des événements sportifs planétaires
s'honoreraient à ne pas défendre bec et ongles leurs
candidatures dans la moindre compétition régionale.
A
l’issue d’un vote qui s’est tenu le
18 octobre dernier à Almeria (Espagne), c’est finalement
la ville italienne de Pescara qui s’est vu confier l’organisation
des Jeux méditerranéens de 2009. Parmi les villes
en lice se trouvaient aussi deux autres villes côtières,
Patras la grecque et Rijeka la croate. Et comme on pouvait s’y
attendre, la déception fut grande en Croatie à l’annonce
de la nouvelle. Mais à Rijeka plus qu’ailleurs puisqu’elle
en était à sa troisième candidature,
que son dossier particulièrement soigné en faisait
un concurrent plus que respectable, et que forte du soutien de
tout un pays, sa candidature était la seule à avoir
pris une dimension nationale. Mais si la désillusion est
toujours à la hauteur des espérances, peut-être
trop optimistes dans le cas de Rijeka, force est de constater
que la décision des délégués nationaux
à l’Assemblée des Jeux méditerranéens
n’est ni logique ni juste.
Comme
l’enjeu est moins alléchant pour les grands
pays, il n’est pas insensé de la part de pays
plus modestes de vouloir défendre leurs chances dans
l’espoir de décrocher l’organisation
de telle ou telle compétition régionale. |
Bien
sûr chacun sait qu’en marge des compétitions
placées sous les seuls auspices des dieux du stade, les
grands événements sportifs comme les Jeux olympiques,
la Coupe du monde de football, les championnats mondiaux et européens
dans les sports les plus populaires sont devenus également
l’enjeu d’intérêts financiers, voire
politiques. Aussi n’y a-t-il rien de si étonnant
à constater que les Jeux méditerranéens n’échappent
pas à la règle, fussent-ils considérés
comme étant une compétition de moindre envergure.
Or comme l’enjeu est dans ce cas moins alléchant
pour les grands pays, il n’est pas insensé de la
part de pays plus modestes de vouloir y défendre leurs
chances dans l’espoir de décrocher l’organisation
de telle ou telle compétition régionale. C’est-à-dire
de vouloir croire que les jeux ne sont pas faits d’avance
et qu’aussi bien leurs arguments que leurs atouts seront
examinés de la manière la plus équitable
qui soit.
Si l’on ne peut que souhaiter que la sauvegarde de l’esprit
olympique demeure la préoccupation première des
jurys internationaux, ceux-ci sont inévitablement amenés
à tenir compte d’une quantité d’autres
paramètres, avant d’arrêter leur choix. Aussi
il importe que les intérêts des uns et des autres
soient défendus de manière impartiale. A supposer
que les critères techniques soient également remplis
par tous les candidats, la qualité du site et des infrastructures,
la mobilisation et l’enthousiasme suscités, l’impact
des retombées potentielles pour la région, mais
aussi le souci de veiller à une juste alternance géographique
parmi les pays organisateurs, sont autant de critères additionnels
légitimement appelés à entrer en ligne de
compte.
Palmarès
Concernant les Jeux méditerranéens, le cadre géographique
dans lequel ils s’inscrivent réunit des pays au potentiel
inégal : la rive européenne, au nord de la Méditerranée,
face à celle de l’Afrique et du Proche-Orient, au
sud et à l’est. En outre, les deux moitiés
de la façade européenne présentent elles-mêmes
de grandes disparités. À l’ouest, l’Italie,
l’Espagne et la France sont toutes trois de taille à
briguer l’organisation des manifestations sportives les
plus prestigieuses : Jeux olympiques d’été
ou d’hiver, championnats du monde de football ou d’athlétisme,
entre autres. A l’est, aux côtés de la Croatie,
on trouve des pays aux capacités plus modestes, en dépit
des ambitions de la Grèce, berceau de l’olympisme
et hôte des prochains JO, et malgré le potentiel
grandissant de la Turquie.
Pays
de taille modeste, avec ses 4,5 millions d’habitants et
ses 56 000 km², la Croatie – troisième
pays méditerranéen par la longueur de son littoral
– est aussi peuplée que la Norvège et légèrement
plus vaste que les Pays-Bas. Elle est pourtant loin d’être
inconnue dans le monde du sport, grâce surtout au talent
de ses sportifs
mais aussi à la place qu’occupe la pratique du sport
dans la vie quotidienne. À la renommée collective
de ses basketteurs, footballeurs ou handballeurs – champions
du monde en titre – s’ajoutent les performances individuelles
d’un Goran Ivanisevic,
vainqueur de Wimbledon ou d’une Janica
Kostelic, meilleure skieuse du monde, quadruple championne
olympique à Salt Lake City. Pour autant, la Croatie n’est
pas en mesure de s’offrir un événement sportif
de premier plan. Compte tenu de ses priorités de développement,
tout au plus peut-elle prétendre aujourd’hui pouvoir
accueillir des compétitions sportives où les candidats
ne se bousculent pas. C’est d’ailleurs justement avec
ce type de rendez-vous qui figurent à son palmarès
de pays organisateur qu'elle a démontré son savoir-faire
en la matière : Jeux universitaires (Zagreb, 1987)
et Jeux méditerranéens (Split, 1979), à quoi
il faut ajouter un championnat européen d’athlétisme
(Split, 1990).
La
Croatie est loin d’être inconnue dans le monde
du sport. À la renommée collective de ses
basketteurs, footballeurs ou handballeurs – champions
du monde en titre – s’ajoutent les performances
individuelles, comme celles de Janica Kostelic, quadruple
championne olympique. |
C’est
sous cette optique-là que les candidatures successives
de Rijeka et son échec revêtent une signification
qui mérite d’être relevée. Son aventure
s’accorde parfaitement avec le slogan sous le signe duquel
elle a abordé cette dernière candidature déçue
: « Passion des Jeux » ! Et en effet, ce n’est
pas trop dire que d’affirmer que la ville y a mis tout son
cœur en y associant jusqu’au dernier habitant de la
ville et de la région, tout en s’assurant le soutien
du gouvernement. Illustration de cet enthousiasme : sans même
attendre de voir si elle allait être désignée,
Rijeka avait d’ores et déjà élaboré
les plans de construction des infrastructures sportives, hôtelières,
urbaines et culturelles. Au-delà de l’anecdote, le
sérieux et l’ambition du projet qu’elle a défendu
dans son dossier de candidature forçaient le respect :
il y a seulement quelques mois une personnalité de premier
plan au sein des instances sportives internationales, visiblement
impressionnée, la jugeait presque « digne d’une
candidature aux Jeux olympiques »…
Passion
et indifférence
Hélas,
le cœur n’a pas suffi ! La première fois, à
Bari, en 1995, la délégation de Rijeka s’était
montrée beau joueur en se laissant convaincre, par le président
du Comité International Olympique de l’époque,
Juan Antonio Samaranch, de se désister au profit de Tunis,
en échange d’une promesse de soutien lors de sa prochaine
candidature… Quatre ans plus tard, à Tunis, Rijeka
perdait néanmoins contre Almeria. Oubliées les promesses
des pays arabes, comme celles de J.A. Samaranch. Troisième
tentative, donc, dans un contexte relativement favorable compte
tenu des concurrents en lice : Patras est desservie par le fait
que la Grèce, qui a déjà organisé
de très nombreux championnats, accueille l’année
prochaine les JO d’Athènes ; Pescara, quant à
elle, est encore plus mal lotie puisque l’Italie a organisé
il n’y a pas si longtemps les Jeux méditerranéens
(Bari, 1997), dont ce n’est pas exagéré de
dire qu’ils n’ont été des plus mémorables.
On avait donc toutes les raisons de croire, à Rijeka, que
la troisième fois serait enfin la bonne !
Ce ne fut hélas pas le cas ! Rijeka recueillit même
le moins de voix, bien que sa candidature n’eût rien
à envier à ses concurrents, loin s’en faut.
Si bien qu’il est difficile de rester indifférent,
d’observer béatement les manœuvres des uns et
des autres et d’encaisser le coup « sportivement ».
Ironie de l’histoire, au lendemain de l’élection
de Pescara, c’est à peine si la presse italienne
enregistra la nouvelle, c’est dire l’importance que
l’opinion publique transalpine accorde à l’organisation
des Jeux méditerranéens… Au même moment,
sur l’autre rive de l’Adriatique, le troisième
échec de Rijeka faisait la une des journaux. Et dans leurs
commentaires désabusés, les éditorialistes
s’interrogeaient : qui sur la solidarité du monde
du sport en général, qui sur la curieuse conception
de l’équité que l’on se fait au sein
des organisations sportives internationales et en particulier
européennes.
Or, il n’est là malgré tout question que de
sport. De là à penser que sur les terrains autrement
plus « sérieux » de la politique et de l’économie,
il nous faut d’ores et déjà craindre que l’Europe
unifiée de demain soit elle aussi régie par la loi
des « plus égaux » que d’autres, il n’y
a qu’un pas. Le moins que l’on puisse dire c’est
que pareille décision n’aide pas à dissiper
cette inquiétude.
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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