10/12/2005

TRIBUNAL DE LA HAYE
Ante Gotovina arrêté en Espagne
L'ancien général croate, en fuite depuis son inculpation par le TPIY en 2001, a été transféré au Tribunal de La Haye

L'ancien général croate Ante Gotovina, en fuite depuis son inculpation par le TPIY, en juin 2001, pour crimes de guerre, a été appréhendé, le 7 décembre, par la police espagnole sur l'île de Ténérife, dans l'archipel des Canaries. Arrêté sans opposer de résistance dans un hôtel de Playa de las Americas, l'ancien officier supérieur croate a été transféré, le 10 décembre, au Tribunal de La Haye devant lequel il devrait comparaître dès le 12 décembre. Selon Zagreb, cette arrestation vient confirmer la bonne foi des autorités croates qui, depuis 2001, n'ont cessé d'affirmer qu'aucun indice tangible n'indiquait qu'il se cachait en Croatie ni cessé d'exprimer leurs doutes quant à ces rumeurs. Les cachets retrouvés sur ses faux passeports semblent indiquer qu'il aurait séjourné à Tahiti, en Argentine, au Chili, en Chine, Russie, République tchèque, Mauritanie et à l'Île Maurice. En mars 2005, des rumeurs selon lesquelles il serait caché en Croatie avait conduit quelques pays membres de l'UE à demander le report du lancement des négociations d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, ouvertes finalement le 3 octobre dernier. Compte tenu des qualifications employées dans l'acte d'accusation pour caractériser les opérations militaires ayant conduit à la libération du territoire croate en 1995, le gouvernement croate annonce son intention d'utiliser l'instrument de l'Amicus Curiae prévu par les statuts du TPIY.

LE CAS GOTOVINA

Le général Gotovina a été inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par le TPIY, le 21 mai 2001, pour son rôle de commandant de la Zone opérationnelle de Split durant l'opération "Tempête", déclenchée en août 1995 afin de libérer les territoires de la Croatie occupés par l'armée et les paramilitaires sécessionnistes serbes depuis 1991. Nommé Inspecteur général de l'armée croate le 12 mars 1996, il a été mis à la retraite le 29 septembre 2000.

Initialement confidentielle, l'accusation a été rendue publique le 26 juillet 2001. Le 23 juillet 2001, le Tribunal de grande instance de Zagreb a délivré un mandat d'arrêt, suivi le 21 août par Interpol. Néanmoins, le général Gotovina, sans doute alerté par des rumeurs, avait pris la fuite peu avant et n'était pas réapparu depuis. Ancien légionnaire, ayant acquis la nationalité française à ce titre, il s'était vu renouveler son passeport français, le 11 avril 2001, six semaines avant son inculpation.

Offre de reddition

Depuis, les plus hautes autorités croates l'avaient publiquement appelé à se rendre à La Haye. La police avait mis ses proches et ses avoirs sous étroite surveillance dans l'intention de retrouver sa trace. Jusqu'ici sans succès.

En juin 2003, un journaliste de l'hebdomadaire croate Nacional parvient cependant à entrer en contact avec lui et à l'interviewer "dans un pays de l'UE", selon ses dires. Il y déclare notamment ne poser aucune condition quant à sa reddition si ce n'est celle d'être entendu à Zagreb en tant que suspect et non comme inculpé, comme cela a été le cas pour d'autres, affirmant que cela "réparerait l'injustice qui lui a été faite". Jugée inacceptable, cette perspective est rejetée par la Procureure du TPIY. Ce fut son dernier signe de vie jusqu'à son interpellation.

Entre-temps, le 28 août 2003, la résolution 1503 du Conseil de Sécurité cite pour la première fois son nom, aux côtés de ceux des ex-chefs de guerre bosno-serbes, Ratko Mladic et Radovan Karadzic, accusés de génocide en Bosnie-Herzégovine, où près de 200.000 personnes ont été tuées. Dès lors le cas Gotovina, jusque-là relativement secondaire, devient une des affaires prioritaires pour le TPIY, au même titre que ceux de Karadzic et Mladic. Le 24 février 2004, le TPIY modifie néanmoins l'acte d'accusation initial, raccourcissant notamment de moitié la liste des victimes fournie en annexe. Auparavant, certaines d'entre elles, présumées mortes, avaient été retrouvées en vie.

Mobilisation

Peu après, le gouvernement croate fixe à 50.000 euros la prime pour toute information susceptible d'aider à sa localisation et à son interpellation. A cet effet, deux lignes téléphoniques spéciales joignables 24h/24 sont mises en place à la cellule du ministère de l'Intérieur chargée de coordonner les efforts de recherche. La totalité des 22.000 policiers croates reçoivent des consignes réclamant d'eux la plus haute mobilisation sur cette affaire et leur enjoignant de signaler tout indice susceptible de retrouver sa trace. Chaque rumeur est en effet systématiquement vérifiée, même la plus fantaisiste.

Etant donné que les noms de plusieurs pays d'Europe et d'Amérique ont circulé, la police croate avait demandé l'aide des pays concernés. Le gouvernement croate avait même proposé l'établissement d'une "task force" réunissant les services européens, qui serait chargé de le retrouver. Ainsi, et à titre d'exemple, pour le seul mois de février 2005, la police croate avait procédé à plus de 2200 perquisitions et vérifications, 65 000 contrôles ciblés de voitures, 3 000 inspections de bateaux, 23 000 contrôles de personnes aux frontières (cette intensification des contrôles ayant entraîné une baisse de la criminalité de 10%).

Pays le moins sûr

Malgré ces efforts, aucune piste indiquée, anonyme ou provenant du TPIY, ne s'était jusqu'à présent révélée convaincante ni digne de foi. S'alignant sur une mesure européenne d'octobre 2004 permettant de geler les avoirs des personnes inculpées par le TPIY, une loi similaire a même été votée en Croatie, afin de l'appliquer au cas Gotovina. Le président croate Stipe Mesic a souligné cependant à plusieurs reprises que la Croatie était certainement le pays le moins sûr pour Gotovina, compte tenu du fait qu'il y serait reconnu par le premier venu. N'étant pas en mesure produire l'impossible preuve de sa "non-présence" sur le territoire croate, Zagreb a tout au plus pu faire part de ses fortes présomptions laissant penser que Gotovina ne s'y trouvait pas.

"En l'absence d'un commun accord", le Conseil des ministres de l'Union européenne réuni à Bruxelles le 16 mars 2005, avait décidé de reporter l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Croatie, qui devaient commencer le lendemain. Cette décision intervenait en dépit des efforts entrepris par le gouvernement croate pour localiser l'ancien général Gotovina, condition qui constituait la seule exigence du Tribunal, sur plus de 600 à n'avoir pas été honorée par la Croatie.

Plan d'action

En avril 2005, la proposition du Premier ministre croate, Ivo Sanader, d'établir une "task force", réunissant les présidences actuelles et futures de l'UE et chargée d'évaluer la mise en oeuvre d'un Plan d'action ad hoc du gouvernement croate, est adoptée. En dépit de rumeurs invérifiables selon lesquelles Gotovina se trouverait en Croatie, et qui ont pu semer le trouble sur la sincérité du gouvernement croate, la Procureure générale du TPIY s'est finalement convaincue de la pleine coopération du gouvernement croate, le 3 octobre 2005, levant le dernier obstacle à l'ouverture des négociations d'adhésion de la Croatie avec l'UE.

Le 7 décembre, après plus de quatre ans de cavale, Ante Gotovina a été arrêté par la police espagnole aux Canaries, sans opposer de violence. Selon El Pais, neuf policiers ont encerclé la table du restaurant de l'hôtel où il dînait en compagnie d'un ami. "Ante Gotovina?", lui demanda l'un des agents, rapporte le quotidien espagnol. "Oui, c'est moi", aurait-il répondu, ajoutant à l'adresse de son ami : "Il fallait bien qu'ils me trouvent un jour".

Communiqué
du gouvernement croate

"La Procureure générale du Tribunal pénal international de La Haye a porté aujourd'hui à la connaissance des autorités de la République de Croatie qu'Ante Gotovina avait été arrêté sur le territoire espagnol.

L'arrestation de M. Gotovina en Espagne vient confirmer le bien-fondé des affirmations répétées des autorités croates selon lesquelles M. Gotovina ne se trouvait ni à leur portée ni sur le territoire croate. Cela vient en outre conforter la crédibilité de la République de Croatie et de son administration, et confirmer sa pleine coopération avec le Tribunal de La Haye.

Tous ceux qui avaient fait confiance à la Croatie et l'avaient soutenu au moment où ses efforts quant à sa coopération avec le tribunal de La Haye étaient mis en doute, n'avaient donc pas eu tort. De toute évidence, il apparaît aujourd'hui que ces doutes n'étaient pas fondés.

Nul ne saurait être au-dessus des lois ni à l'abri de la justice. L'État de droit est l'un des principes fondamentaux sur lesquels est fondée la République de Croatie, qu'il s'agisse de ses lois nationales ou bien de ses engagements internationaux. Cela inclut notamment la Loi constitutionnelle relative à la coopération avec le TPIY adoptée par le Parlement croate dès avril 1996.

Quiconque est mis en cause par la justice a le devoir de se présenter devant le tribunal et de répondre aux accusations portées à son encontre. La présomption d’innocence - selon laquelle toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie - s'applique à tous, et par conséquent à ce cas particulier comme à un autre.

Il est de notre plus grand intérêt à tous, en Croatie, que toute la vérité soit faite. La Guerre patriotique fut une guerre défensive, juste, légitime et de libération. La Croatie fut victime d'une agression et avait à ce titre le droit à la légitime défense et celui de libérer ses territoires occupés.

La République de Croatie suivra avec la plus grande attention les développements ultérieurs liés au cas Gotovina, tout en continuant à coopérer pleinement avec le Tribunal de La Haye. Elle entend utiliser l'instrument légal de l'Amicus Curiae dans tous les procès intentés à des citoyens croates."

Zagreb, le 8 décembre 2005.

REVUE DE PRESSE

06/12/2005

LE FIGARO
Fin de cavale pour le général Croate Ante Gotovina

L'ancien officier de l'armée croate, inculpé pour crimes de guerre par le Tribunal pénal international, a été arrêté mercredi soir en Espagne. Il partira samedi pour La Haye par un vol militaire.

Isabelle Lasserre

ON LE PENSAIT caché dans le sud-est de la France, dans un monastère en Croatie ou en Corse. C'est en Espagne, aux Canaries, que le général croate Ante Gotovina a ressurgi. Il a été arrêté mercredi soir «en quelques secondes et sans aucun incident», selon le ministère espagnol de l'Intérieur. L'interpellation a eu lieu dans le restaurant d'un hôtel de luxe de La Playa de las Americas, au sud de Tenerife. L'ex-général avait sur lui un passeport croate falsifié au nom de Kristijan Horvat. Selon des sources sûres, il se cachait en Espagne depuis la fin du mois de septembre, au moins. Carla Del Ponte, le procureur du Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie, a annoncé la nouvelle... depuis Belgrade, où elle effectuait une visite.

Ante Gotovina devait brièvement comparaître hier soir devant la justice madrilène, avant d'être transféré au TPI de La Haye, qui l'a inculpé en 2001 de crimes de guerre contre des Serbes de Croatie. A l'époque des faits, en 1995, Gotovina commandait les forces croates de la région de Split, au moment où Zagreb lançait l'opération «Tempête», qui a permis à Zagreb de reprendre le contrôle de la Krajina, une région croate occupée par les Serbes depuis 1991. Selon l'acte d'accusation du TPI, 150 Serbes ont été tués au cours de l'offensive.

Au regard des crimes commis par Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les anciens chefs militaire et politique des Serbes de Bosnie, ceux qui sont reprochés au général croate peuvent paraître minimes. Mais si le nom d'Ante Gotovina avait fini, ces dernières années, par se hisser presque aussi haut que celui de ses confrères serbes sur l'agenda du TPI, c'est parce qu'il était devenu un symbole.

Le dernier obstacle vers l'UE enfin levé

Pendant de longs mois, l'affaire Gotovina a ralenti les efforts déployés par la Croatie pour intégrer l'Union européenne. En mars, l'ouverture des négociations avec l'UE a été repoussée à la dernière minute par les Etats membres en raison du manque de collaboration de Zagreb avec le TPI. «Nous ne pouvons pas céder. C'est une question de principe. Si nous lâchons sur Gotovina, jamais nous ne pourrons obtenir Karadzic et Mladic. Car nous n'aurons plus aucun moyen d'influence sur Belgrade», confiait alors une source proche du dossier.

A la fin septembre, le procureur du TPI avait une nouvelle fois dénoncé le manque de coopération de Zagreb. Elle soupçonnait à l'époque Gotovina de se cacher dans un monastère franciscain en Croatie. Zagreb a toujours affirmé ne pas savoir où se trouvait Gotovina. Le gouvernement d'Ivo Sanader qui, en 2004, avait livré deux de ses généraux au TPI, ne se résignait pas à affronter les milieux de la droite nationaliste croate. Cette dernière considère Ante Gotovina comme un héros et l'opération «Tempête» comme une guerre de libération, d'autant plus «juste» qu'elle a été lancée avec le feu vert des Américains.

L'OPÉRATION "TEMPÊTE"

L'opération Tempête. Menée du 4 au 7 août 1995 sur ordre du gouvernement croate, l'opération "Tempête" a permis à la Croatie de libérer près d'un quart de son territoire occupé depuis 1991 par l'armée et les paramilitaires sécessionnistes serbes.

Poignée de main historique entre le général bosniaque Dudakovic (à d.), assiégé par les Serbes dans l'enclave de Bihac du printemps 1992 à août 1995, et son libérateur croate le général  Marekovic, sur le pont qui enjambe la Korana, à la frontière bosno-croate.
Poignée de main historique le 5 août 1995 entre le général bosniaque Dudakovic (à d.), assiégé par les Serbes dans l'enclave bosniaque de Bihac durant trois ans, entre le printemps 1992 et août 1995, et son libérateur croate le général Marekovic, sur le pont qui enjambe la Korana, à la frontière bosno-croate.

Un mois après le massacre par les Serbes de 8000 Bosniaques dans la "Zone de sécurité" de Srebrenica, en Bosnie, l'opération a également permis de secourir 230 000 Bosniaques assiégés pendant plus de 3 ans dans la "Zone de sécurité" de l'ONU de Bihac. Enfin, elle a permis de mettre un terme à quatre ans de guerre en ex-Yougoslavie en créant les conditions militaires qui ont conduit aux accords de paix de Dayton-Paris. (Voir carte) Selon un bilan officiel, les pertes croates durant l'opération Tempête s'élèvent à 228 tués au combat, 15 disparus et 1205 blessés.

Évacuation planifiée

La libération du territoire croate s'est cependant accompagnée de l'exode de 90 000 civils serbes et de 30 000 militaires et paramilitaires qui ont procédé eux-mêmes à cette évacuation planifiée, motorisée, avec armes et bagages avant l'arrivée des troupes croates (qualifiée parfois d'auto-nettoyage ethnique) et malgré les appels radiotélévisés de la présidence croate invitant la population serbe à attendre l'arrivée de l'armée croate. Ceci a été confirmé et documentés par plusieurs reportages, et notamment de télévisions étrangères.

Colonnes de tracteurs des civils serbes quittant la Croatie en août 1995Cette version des faits est corroborée par Peter Galbraith, alors ambassadeur des Etats-Unis à Zagreb, entendu comme témoin au TPIY: "Je suis sûr que des gens ont voulu échapper au pilonnage et je suis sûr que des gens sont partis parce qu'ils avaient peur de l'armée croate. Le pilonnage a été assez court parce qu'il n'y a pas eu de véritable résistance. Je pense que Knin est tombé en espace de 24 heures". A la question s'il y avait eu nettoyage ethnique, le diplomate américain répond : "Je dirais non, parce que pratiquement toute la population était déjà partie avant l'entrée des militaires croates dans les villes." Rien de comparable à l'exode à pied des Croates de Vukovar en 1991, détroussés et expulsés par les militaires serbes de villes croates entièrement dévastées, jonchées de gravats et de cadavres.

Dilemme

L'ambassadeur Galbraith a également rappelé qu'au moment du déclenchement de l'opération Tempête, l'enclave de Bihac (en Bosnie, à la frontière croate) était sur le point de tomber, et que l'on s'est trouvé face à un "dilemme contraint de choisir entre, d'une part, la chute très vraisemblable de Bihac et le massacre vraisemblable de 40 000 hommes et jeunes gens partant de l'hypothèse que les Serbes de Bosnie feraient exactement la même chose que ce qui avait été fait une semaine avant ou dix jours avant à Srebrenica [et, d'autre part,] l'opération militaire croate que nous estimions très vraisemblable et qui créerait de très nombreux réfugiés".

Cependant, c'est au cours des trois mois qui ont suivi la libération de ces territoires occupés que des dizaines d'exactions, perpétrées loin derrière le front, déplacé en Bosnie, sont venues entacher cette victoire militaire remportée tout en parvenant à limiter les destructions. Ces exactions ont le plus souvent été commises à l'encontre des rares Serbes, souvent âgés et disséminés sur l'ensemble du territoire libéré, qui avaient pourtant choisi de rester sur place. A ce moment-là, les troupes d'assaut de l'armée croate, commandées par le général Gotovina, participaient déjà à la libération de la Bosnie occidentale aux côtés de l'armée bosniaque.

Crimes crapuleux

La plupart des crimes commis furent le fait de groupes ou d'individus incontrôlés, de profiteurs de guerre, souvent sans liens avec l'armée croate, essentiellement engagée en Bosnie. Dans un territoire quasiment déserté de quelque 10 000 km², soit presque aussi vaste que l'Irlande du Nord, et en l'absence d'un dispositif policier suffisant ni omniprésent, des crimes crapuleux, suivis de pillages, ainsi que des actes de représailles aveugles, ont été commis. Pour la vingtaine de crimes élucidés, la justice croate a, dès la fin de la guerre, condamné les auteurs de ces crimes à des peines allant de 4 à 20 ans de prison.

Trois mois avant l'opération "Tempête", lors de l'opération "Éclair" également menée par l'armée croate pour libérer la Slavonie occidentale, un territoire bien moins vaste, les observateurs indépendants avaient conclu à son caractère militairement exemplaire et au strict respect des conventions de Genève.

L'accusation contre Gotovina. Selon l'acte d'accusation du TPIY, modifié le 24 février 2004, Ante Gotovina aurait "participé avec d'autres personnes, dont [...] le président Franjo Tudjman, à une entreprise criminelle commune dont l'objectif assigné était de chasser définitivement par la force la population serbe de Krajina. [...] L'accusé agissant seul et/ou de concert avec d'autres personnes dont [...] le président Franjo Tudjman, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ces expulsions et déplacements forcés de la population serbe de Krajina". Selon l'accusation encore, "entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, les forces croates ont tué au moins 150 Serbes de Krajina". L'acte d'accusation fait néanmoins spécifiquement référence au meurtre de 32 personnes, dont 8 demeurent non identifiées.

Distinguo judiciaire

La classe politique croate a à maintes reprises protesté contre cette lecture des événements, contestant l'existence d'un plan délibéré d'expulsion de la population civile serbe - celle-ci ayant été évacuée par les milices serbes - voire d'ordres cautionnant les crimes commis, que nul néanmoins ne nie. Pour l'opinion publique croate, l'ouverture de ce procès est d'autant plus importante que ce n'est qu'à la barre du Tribunal que pourront être contestées les formulations les plus graves de l'accusation (expulsion délibérée des Serbes), celles qui tendent à remettre en question la légitimité de la libération du territoire croate en l'assimilant à "une entreprise criminelle commune", formulation particulièrement choquante pour l'opinion croate.

Aussi nombreux sont-ils ceux qui en Croatie attendent du procès qu'il établisse une distinction claire entre les objectifs politiques légitimes de l'opération militaire croate (restauration de l'intégrité territoriale et de la souveraineté croate sur les territoires occupés par la force et le nettoyage ethnique en 1991) et les exactions commises par certains. De même l'établissement du caractère planifié ou, au contraire, incontrôlé des crimes commis sera l'un des enjeux du procès d'Ante Gotovina, qui s'est déclaré innocent des crimes qui lui sont reprochés. C'est désormais à la barre qu'il faudra en apporter la preuve.

Responsabilité de commandement

A l'annonce du transfert à La Haye de l'ancien général Gotovina, les officiers qui étaient en 1995 sous ses ordres dans la Zone opérationnelle de Split ont rendu public un communiqué dans lequel ils déclarent que tous les ordres reçus de lui réclamaient un respect scrupuleux des conventions de guerre. "Nous sommes prêts à endosser la responsabilité pour tous les ordres que nous avons reçus et délivrés, et ne saurions admettre que soit engagée la responsabilité du commandant de l'armée pour les actes déshonorants qui ont été commis [sur le terrain]", ajoutent-ils dans leur déclaration.

Puis, coup de théâtre au début octobre à Luxembourg. Estimant finalement que la Croatie «coopère pleinement» avec le Tribunal dans l'affaire Gotovina, Del Ponte donna son feu vert à l'ouverture des négociations avec l'UE.

La volte-face du procureur, qui intervint au milieu des difficiles négociations d'adhésion avec Ankara, et alors que l'Autriche tentait de monnayer ses concessions sur la Turquie en échange d'une plus grande clémence de l'Union européenne vis-à-vis de la Croatie, avait jeté un doute sur l'indépendance de Carla Del Ponte. «L'avis positif rendu à Luxembourg n'était pas le résultat d'un marchandage ni de pressions exercées par l'UE, explique aujourd'hui Florence Hartmann, la porte parole du procureur du TPI. Il était le résultat d'une information du gouvernement croate, qui nous annonçait avoir localisé Gotovina en Espagne. Nous avions posé la condition suivante à la Croatie : soit vous l'arrêtez, soit vous le localisez. Mais nous ne pouvions rien dire, nous aurions fait capoter l'arrestation.»

En facilitant l'arrestation de Gotovina, la Croatie a levé le dernier obstacle à sa marche vers l'Union européenne, qui constitue sa priorité politique depuis la fin de la guerre. Le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn a salué hier le travail effectué par Zagreb. L'arrestation du général Gotovina est aussi un signal envoyé à la Serbie. «Bien entendu, j'attends maintenant Mladic et Karadzic», a déclaré hier Carla Del Ponte. Mladic et Karadzic constituent aujourd'hui le principal obstacle pour l'intégration de la Serbie aux institutions euro-atlantiques.

10/12/2005

LE NOUVEL OBS
Gotovina a été transféré au TPIY à La Haye
Le général croate Ante Gotovina, arrêté mercredi, a été extradé vers les Pays-Bas où il a été remis au TPIY à La Haye.

L'ex-général croate Ante Gotovina, l'un des principaux suspects recherchés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye, a été extradé samedi 10 décembre par l'Espagne vers les Pays-Bas, où il a été transféré au centre de détention de l'instance onusienne.

Jim Landale, porte-parole du TPIY, a confirmé l'arrivée de Gotovina à la prison de Scheveningen, station balnéaire en banlieue de La Haye, où il attendra d'être jugé pour le massacre de 150 Serbes de Krajina et l'expulsion de 150 000 autres en 1995, à la fin de la guerre de Croatie.

Un convoi de trois Mercedes aux vitres teintées a passé le portail de l'établissement pénitentiaire toutes sirènes hurlantes. Les rues des environs avaient été bloquées par la police néerlandaise.

Arrêté mercredi

Agissant sur des renseignements fournis par Interpol, la police espagnole avait arrêté Gotovina mercredi soir alors qu'il dînait dans un hôtel de Tenerife, dans l'archipel des Canaries. Le ministre espagnol de l'Intérieur a précisé que les policiers avaient découvert dans sa chambre 12.000 euros en liquide, un ordinateur portable et deux faux passeports.

Samedi vers 8h du matin, Ante Gotovina a été extrait de la prison de la banlieue madrilène où il était détenu provisoirement et a été conduit vers une base militaire proche de la capitale espagnole. L'ancien général a embarqué dans un avion militaire à destination de l'aéroport de Rotterdam, d'où il a rejoint La Haye. Il devrait être présenté lundi midi à un juge du TPIY.

Pression sur Belgrade

Recherché depuis quatre ans, l'homme qui bloquait à lui seul les négociations d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne était le seul suspect croate à échapper encore à la justice de La Haye. Le général Rahim Ademi s'est en effet rendu au tribunal il y a quatre ans, et le général Janko Bobetko est mort la même année.

L'arrestation de Gotovina va sans doute accentuer la pression sur Belgrade pour la capture des deux principaux suspects inculpés toujours en fuite, le chef des Serbes de Bosnie durant la guerre Radovan Karadzic et son chef de guerre, le général Ratko Mladic.

Alors que l'ex-général croate était transféré aux Pays-Bas, une manifestation de soutien a rassemblé plusieurs milliers de personnes à Zagreb pour réclamer au gouvernement croate de préparer sa défense.

Bon nombre de Croates le considèrent en effet comme un héros de guerre et sont convaincus de son innocence.

06/12/2005

LE FIGARO
Une figure de la guerre d'indépendance et un criminel

Isabelle Lasserre

ON A TOUT DIT de lui. Qu'il est un criminel, un héros de la guerre d'indépendance, un voyou, un brillant général, un coureur de jupons au charme slave, un gangster sans scrupules, un combattant courageux. Le général croate Ante Gotovina, 50 ans, un homme au physique robuste et au regard vert, qui possède aussi la nationalité française depuis son passage à la Légion étrangère, est tout cela à la fois.

Né en 1955 sur l'île de Pasman, près de Zadar, sur la côte croate, il quitte son pays à 16 ans pour s'engager comme marin dans une compagnie de transport international. Puis il sert dans la Légion étrangère, au sein du 2e REP, le régiment étranger parachutiste de Calvi, d'où il sort avec le grade de caporal chef. Il travaille ensuite pour une compagnie de sécurité et effectue des séjours en Amérique du Sud, où il entraîne des paramilitaires locaux. Il est aussi accusé d'extorsion de fonds et de cambriolages, notamment pendant sa période française.

Intelligent et sans scrupule

En 1991, lorsque la Croatie déclare son indépendance et que la guerre serbo-croate éclate, il rejoint son pays, à l'instar de nombreux Croates expatriés. Solide, ambitieux, efficace, intelligent et sans scrupule, il grimpe très rapidement les échelons de l'armée croate et devient général un an seulement après le début de la guerre. Il est alors le protégé du puissant ministre de la Défense, Gojko Susak.

En 1995, il commande l'opération «Tempête», une offensive éclair préparée de longue date qui permet à Zagreb de reprendre le contrôle de la Krajina, une région de Croatie peuplée de Serbes, occupée depuis le début de la guerre par les sécessionnistes serbes soutenus par Belgrade. La mission est achevée en deux jours. Gotovina est salué comme un héros par les milieux nationalistes croates, qui le remercient d'avoir aidé le pays à recouvrer son intégrité territoriale. Les exactions commises lors de cette opération, au cours de laquelle 150 Serbes environ ont péri, lui vaudront d'être inculpé par la justice internationale en 2001. Prévenu avant que l'acte d'inculpation soit rendu public, probablement par les réseaux nationalistes, Gotovina prend la poudre d'escampette. Paris lui aurait renouvelé son passeport français quelques mois seulement avant sa fuite. En 2003, dans une interview accordée à un hebdomadaire croate, Gotovina offre sa reddition en échange de l'annulation de son acte d'inculpation. Mais le procureur du TPI refuse le marchandage.

Depuis, le cas Gotovina, sur lequel reposait l'avenir européen de la Croatie, divisait le pays. Les partisans d'un rapprochement rapide avec Bruxelles militaient, sans états d'âme, pour son arrestation et son transfert à La Haye. Les milieux nationalistes préféraient au contraire retarder l'intégration de la Croatie à l'Europe plutôt que de voir leur honneur bafoué par son arrestation.

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  UE: la Croatie candidate à l'adhésion  
  Mesic : "La Croatie entrera dans l'UE en 2007"  
  "Croatie: objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  UE: la Croatie candidate
  Présentation multimédia
 
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  LE MOT DE L'AMBASSADEUR
  Nouvelle alternance réussie  
  La Croatie vote  
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  ÉCONOMIE & TOURISME
  Guide touristique  
  M. Cobankovic inaugure le forum de Ploudaniel  
  UBIFRANCE: séminaire Croatie  
  Instantanés de Croatie: campagne 2005  
  Aif France: nouveau vol quotidien Paris-Zagreb  
  MIDEST 2004: entreprises croates cherchent partenaires  
  Thalassa, 7 semaines à Korcula  
  Les Français à l'assaut de la côte dalmate  
  La Méditerranée retrouvée  
  Rendez-vous sportifs : Rijeka et Split, villes candidates  
  S. Mesic: renforcer le partenariat commercial avec la France  
  Journée découverte à Dubrovnik  
  Florilège de nouveaux guides touristiques  
  CFCE - Croatie: croissance et ouverture, un marché qui s'affirme  
  Création d'une Chambre de commerce franco-croate  
  Supplément "Croatie" dans Le Monde  
  Tourisme: "La Méditerranée s'agrandit"  
  AvenirExport 2002 : Investir en Croatie (diaporama)  
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  SOCIÉTÉ - SPORTS
  La Croatie remporte la Coupe Davis avec Ljubicic, Ancic, Karlovic et Ivanisevic  
  Les stars croates du Mondial 98 font leur cinéma à Paris  
  Cilic vainqueur de Roland Garros Juniors 2005  
  Mondiaux de Ski: 3 médailles d'or pour Janica Kostelic  
  EURO 2004 : France-Croatie 2-2  
  EURO 2004 : décevant Croatie-Suisse  
  Coupe Davis: La Croatie s'incline à Metz  
  Coupe Davis: France-Croatie  
  Euro 2004 : la Croatie rencontrera la France  
  Nikola Tesla, physicien visionnaire  
  Robert Badinter, fait docteur honoris causa à Zagreb  
  Ancic donne des frayeurs à Agassi  
  Janica et Ivica Kostelic remportent trois médailles d'or  
  Handball: la Croatie championne du monde  
  18 novembre 1991, la chute de Vukovar  
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  DANS LES MÉDIAS
  Libération : Plitvice, balade en lacs majeur  
  Libération : Kornati - Prendre le maquis en Croatie  
  Le Figaro : S. Mesic "Un pas de plus vers l'adhésion"  
  Le Figaro : S. Mesic "La Croatie rejoindra l'UE en 2007"  
  Le Monde : "Croatie, objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  Le Figaro : Zagreb candidat à l'UE dès 2003  
  La Croix : Prevlaka revient dans le giron croate  
  Dubrovnik, la belle de Dalmatie  
  Escales en Dalmatie  
  Thalassa, 8 semaines à Hvar  
  Heureux comme Robinson aux Kornati  
  Croatie, Riviera Paradiso  
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