Le
Monde,
13/08/1995
L'exode
des Serbes de Krajina n'est pas comparable à
la « purification ethnique » en Bosnie
Les
derniers Serbes, piégés en Krajina
par l'offensive victorieuse de l'armée croate,
quittent le pays. Le voyage est périlleux car
ils traversent des régions où les populations
croates ont conservé de mauvais souvenirs de
la guerre de 1991. Les tracteurs sont fréquemment
la cible des lanceurs de cailloux tandis que, selon
l'ONU, plusieurs incidents mortels ont été
signalés.
La
majorité des 150 000 Serbes de Krajina avait,
toutefois, quitté le pays dès le déclenchement
de l'offensive croate. Certains étaient même
partis avant. |
Des soldats croates ont été
aperçus emmenant des fuyards serbes hors de
la route et des cadavres ont été découverts
ensuite. La police civile de l'ONU a assisté
à une scène durant laquelle des policiers
croates battaient un groupe de dix-sept réfugiés
(treize hommes et quatre femmes). Vendredi 11 août,
des policiers croates ont été vus en
train de photographier un homme âgé, retrouvé
ultérieurement mort d'une balle dans la nuque
et de plusieurs balles dans le dos. L'ONU a également
signalé des cas de pillages et de destructions
de maisons. Dans la région de Knin, une soixantaine
de maisons serbes auraient été incendiées.
Ces faits ont été confirmés par
plusieurs journalistes dont certains ont été
menacés de mort pour avoir tenté de photographier
les brasiers.
En
1991, l'armée serbe avait chassé entre 200 000
et 300 000 Croates de Krajina et de Slavonie
où 10 000 étaient morts sous les bombes.
Les oficiers serbes avaient ensuite étendu leur
politique celle définie par Slobodan Milosevic
à la Bosnie-Herzégovine. |
La majorité des 150 000 Serbes
de Krajina avait, toutefois, quitté le pays
dès le déclenchement de l'offensive croate.
Certains étaient même partis avant. Les
réfugiés de Krajina tentent souvent de
gagner la Serbie, où ils espèrent trouver
une vie meilleure et échapper à la mobilisation
dans les rangs de l'armée serbe bosniaque. 80 000
d'entre eux, selon Belgrade 40 000 selon l'ONU
auraient déjà franchi la frontière.
Ces réfugiés serbes ne
reviendront sans doute jamais en Krajina. La Croatie,
qui lance quotidiennement des appels solennels leur
demandant de rester dans leurs foyers, semble vouloir
organiser efficacement ce transfert de population.
D'un côté, les Croates se montrent civilisés
en protégeant malgré des incidents isolés
les convois qui quittent le pays. De l'autre, les menaces,
les incidents et les incendies de maisons, n'inciteront
évidemment pas les Serbes à revenir.
LES ORDRES DE L'ÉTAT-MAJOR
Aucune
exécution massive n'a été signalée et des corridors
ont été ouverts pour que les Serbes puissent
partir immédiatement. « Ils sont partis avec
leurs malles et leurs mâles », note un observateur.
Les gens de Srebrenica avaient, eux, dû fuir
à travers la forêt, seuls et démunis, pourchassés.
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Les Serbes partis sur les routes de
l'exil vivent individuellement un drame que ni l'ONU
par la voix de Yasushi Akashi, ni l'état-major
du général Janvier à Zagreb, ni
les organisations humanitaires ne manquent de rappeler
à la moindre occasion. En revanche, peu de porte-parole
expliquent que cet exode s'inscrit dans le cadre plus
large du conflit de l'ex-Yougoslavie.
En 1991, l'armée serbe avait
chassé entre 200 000 et 300 000 Croates de Krajina
et de Slavonie où 10 000 étaient morts
sous les bombes. Les oficiers serbes avaient ensuite
étendu leur politique celle définie par
Slobodan Milosevic à la Bosnie-Herzégovine.
Une guerre dans laquelle 2 millions d'individus
ont perdu leurs foyers et 200 000 ont trouvé
la mort. Plusieurs dizaines de milliers de non-Serbes,
à Vukovar, Foca, Visegrad, Bjielinja, Prijedor,
Banja Luka, Jajce et Srebrenica ont tout simplement
disparu.
Civils
et militaires serbes ont été traités de façon
égale. Ils quittent le pays avec leurs voitures,
leurs tracteurs, leurs vêtements, et parfois
leurs meubles. En outre, les Serbes sont partis
avec leurs armes. L'armée croate n'a donc pas
pratiqué de meurtres à grande échelle et elle
a, volontairement, manqué de multiples occasions
de capturer des soldats ennemis et des équipements
militaires. Tels étaient les ordres de l'état-major
de Zagreb. |
Les soldats croates qui ont repris
la Krajina aux Serbes n'ont pas employé la même
méthode. Aucune exécution massive n'a
été signalée et des corridors
ont été ouverts pour que les Serbes puissent
partir immédiatement. « Ils sont partis
avec leurs malles et leurs mâles », note
un observateur occidental. Les gens de Srebrenica,
lors de la chute de l'enclave en juillet, avaient,
eux, dû fuir à travers la forêt,
seuls et démunis, pourchassés. Les hommes
étaient restés prisonniers de l'armée
serbe. Quelques milliers de combattants semblent avoir
été abattus.
En Krajina, civils et militaires serbes
ont été traités de façon
égale. Ils quittent le pays avec leurs voitures,
leurs tracteurs, leurs vêtements, et parfois
leurs meubles. En outre, les Serbes sont partis avec
leurs armes. L'armée croate n'a donc pas pratiqué
de meurtres à grande échelle et elle
a, volontairement, manqué de multiples occasions
de capturer des soldats ennemis et des équipements
militaires. Tels étaient les ordres de l'état-major
de Zagreb. Les incendies de maisons dans la région
de Knin paraissent nombreux, mais auraient pu s'effectuer
sans le consentement des officiers. Tous les autres
incidents signalés par l'ONU pourraient avoir
été le résultat de dérives
individuelles.
Les
incendies de maisons dans la région de Knin paraissent
nombreux, mais auraient pu s'effectuer sans le
consentement des officiers. Tous les autres incidents
signalés par l'ONU pourraient avoir été le résultat
de dérives individuelles. |
Pour sa propre commodité, l'ONU
tente une nouvelle fois de renvoyer les belligérants
dos à dos. La frontière de l'indécence
a encore été franchie, il y a quelques
jours, par M. Akashi qui refusant le départ
des Serbes de Krajina a affirmé, que «
l'ONU ne participerait pas à des opérations
de nettoyage ethnique ». Il avait oublié,
par exemple, que des « casques bleus »
néerlandais avaient trinqué avec le général
Mladic à Srebrenica...
L'objectif croate est probablement
que les Serbes ne reviennent jamais sur les territoires
reconquis. Mais les méthodes choisies pour y
parvenir ne sont en rien comparables à celles
utilisées, depuis près de cinq ans, par
les soldats de M. Milosevic dans toutes les régions
qu'ils ont allègrement « purifiées
».
Rémy
Ourdan
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Le Monde
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