Le
Monde, 08/10/2000
Plus de 200 000 morts
dans l'ex-Yougoslavie
Il
n'existe pas de bilan chiffré des victimes des conflits qui ont
ravagé l'ancienne fédération éclatée. De 1991 à 1999, des sources
différentes ont témoigné de l'ampleur du désastre
Combien
les guerres dans l'ex-Yougoslavie ont-elles fait de morts ?
Il n'existe pas de bilan chiffré et incontesté. En Croatie, la
guerre se solde par un bilan officiel croate de 13 000 morts
et près de 40 000 blessés. La guerre en Bosnie, la plus
sanglante, aurait fait plus de 200 000 morts. Selon
une étude du réputé démographe (croate) Vladimir Zerjavic, ce
conflit aurait provoqué la mort de près de 220 000 personnes :
160 000 Bosniaques, 30 000 Croates et 25 000 Serbes.
L'ÉTUDE
DE VLADIMIR ZERJAVIC |
Confirmant
ce que l'on soupçonnait déjà sans en
avoir un bilan chiffré très précis,
l'étude de Vladimir Zerjavic révèle
que sur un bilan total de quelque 220 000 victimes
de la guerre en Bosnie-Herzégovine, l'écrasante
majorité est imputable aux forces serbes. Entre mars
1992 et octobre 1995, elles s'étaient rendues maîtres
de plus de 70 % du territoire bosnien, et dont les
conquêtes étaient destinées à
intégrer une Grande
Serbie. Toutefois, plus des deux tiers de ces victimes
ont été tuées au cours des six premiers
mois de l'attaque serbe. D'autre part, environ 4 000
morts - 2 000 Croates et 2 000 Bosniaques - ont
été quant à eux victimes du conflit
croato-bosniaque, qui déchira la Bosnie centrale
pendant près d'un an, d'avril à décembre
1993. Le rétablissement de l'alliance stratégique
entre Croates et Bosniaques scellée par les accords
de Washington (mars 1994) a mis un terme à cette
"guerre dans la guerre", dont le bilan demeure
néanmoins sans commune mesure avec celui de l'agression
serbe, que ce soit en terme de conséquences humaines,
de durée ou enfin du périmètre touché. |
En
1999, en 80 jours de guerre, le conflit du Kosovo aurait
fait près de 10 000 morts du côté des Albanais. Les
bombardements de l'OTANauraient tué près de 500 civils dans
le camp serbe, selon l'organisation non gouvernementale Human
Rights Watch (et entre 1 200 et 5 000 civils,
selon les autorités serbes), ainsi qu'un nombre inconnu de soldats
dans l'armée fédérale. Quelques épisodes, particulièrement sanglants,
ont marqué ces guerres.
Vukovar
Après
trois mois de siège et de bombardements, la ville devenue le symbole
de la résistance croate tombe le 18 novembre 1991
aux mains de l'armée fédérale yougoslave appuyée par des milices
serbes. Bilan du siège pour le côté croate : 2 000 morts,
2 500 invalides et 2 700 disparus, 50 000 déplacés
et une ville en ruine. Le 19 novembre, 260 personnes
sont évacuées de l'hôpital municipal par les Serbes. Deux cents
d'entre elles vont être exécutées non loin de Vukovar et ensevelies
dans le charnier d'Ovcara.
Prijedor, Keraterm, Omarska
C'est
dans cette région nord que commence, au printemps 1992, la première
grande vague de nettoyage ethnique en Bosnie. Au lendemain de
la prise de Prijedor par les forces serbes, le 30 avril,
les femmes, enfants et vieillards non serbes sont séparés des
hommes puis déportés vers les régions sous contrôle du gouvernement
bosniaque. Les hommes sont emmenés dans deux camps de prisonniers,
celui de Keraterm et celui d'Omarska. Les témoignages des rescapés
de ces camps (privation d'eau, tortures, mutilations, viols, exécutions
sommaires) nourrissent plusieurs dossiers d'instruction du Tribunal
pénal international (TPI).
Sarajevo
Le
siège de la ville commence le 2 mai 1992. Il va durer trois
ans et demi, pendant lesquels les Sarajéviens devront affronter
les obus et les tirs de snipers et survivent, sans électricité
et sans chauffage, grâce au pont aérien humanitaire. Trois ans
et demi ponctués des massacres perpétrés par les forces serbes
massées sur les collines alentour : 29 mai 1992, un
obus de mortier s'abat devant une boulangerie (seize morts) ;
juin 1993, des obus tuent quinze personnes dans une foule assistant
à un match de football ; puis huit personnes lors d'un enterrement ;
puis sept enfants qui jouent dans une cour d'immeuble. Des enfants
qui jouent sont à nouveau visés le 22 janvier 1994 (six morts).
Le 5 février, un obus s'abat sur le marché de Markale,
tuant soixante-huit personnes et en blessant deux cents. Le 27 août
1995, le marché est à nouveau le théâtre d'un massacre :
trente-sept morts et quatre-vingts blessés.
Foca
En
avril 1992, la ville, dont la population est pour moitié musulmane,
tombe aux mains des forces serbes de Bosnie. Une campagne de terreur
est lancée dans toute la région, pour faire fuir les non-Serbes.
La prison de la ville est transformée en camp pour musulmans.
Chaque jour, des prisonniers sont torturés, la plupart ne reviennent
pas. Dans l'ensemble sportif de la ville sont rassemblés des femmes
et des enfants, en vue de leur déportation. Ce local, de même
qu'un établissement scolaire de la ville, va devenir l'un des
plus grands centres de viol et de torture de la Bosnie.
Srebrenica
L'enclave
musulmane de Bosnie orientale tombe aux mains des forces serbes
le 10 juillet 1995. Elle va être le théâtre, quelques semaines
avant la fin de la guerre en Bosnie, de l'un de ses épisodes les
plus barbares. Le 10 juillet, une partie de la population
de la ville tente de s'enfuir à travers la zone serbe afin de
gagner Tuzla, tandis que l'autre partie décide de s'en remettre
à la protection des casques bleus. Une marche commence pour les
fuyards : traversée de champs de mines, attaques des forces
serbes, sévices sur les femmes et les enfants, exécution systématique
des hommes faits prisonniers. Ceux qui s'en sont remis à la protection
de l'ONU sont séparés : les femmes et les enfants sont déportés
en zone bosniaque. Les hommes sont exécutés par groupes et jetés
dans des fosses communes. Le nombre des disparus de Srebrenica
est évalué entre 8 000 et 10 000 personnes.
Kosovo
Avec
l'intervention de l'OTAN au printemps 1999 pour contrer la
répression serbe, une entreprise de déportation massive des Albanais
du Kosovo est lancée par les forces de Belgrade. Lors de l'intervention
de l'Alliance atlantique, dans l'ensemble du Kosovo, les forces
yougoslaves expulsent, systématiquement et par la force, des centaines
de milliers d'Albanais. Partout elles saccagent et pillent les
biens des Kosovars d'origine albanaise, elles bombardent villes
et villages, incendient les habitations, commettent des meurtres
à grande échelle, confisquent systématiquement les pièces d'identité
pour supprimer toute trace de la présence des Kosovars d'origine
albanaise, leur dénier le droit au retour.
Jean-Baptiste
Naudet
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