Le
Monde,
28/06/2003
REVUE
DE PRESSE
TPIY
- LE PROCÈS DE SLOBODAN MILOSEVIC
Un
diplomate américain accuse Slobodan Milosevic d'avoir empêché
un plan de paix en Croatie
Au Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie, Peter Galbraith assure que, par son silence,
l'ancien président de la République de Serbie a
poussé à la guerre les responsables de la Krajina.
«
On aurait pu éviter la guerre en Croatie »,
regrette Peter W. Galbraith, ancien ambassadeur des Etats-Unis en
Croatie, venu témoigner à la barre du Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie, les 25 et 26 juin, à
La Haye. Le diplomate a clairement mis à nu le pouvoir qu'exerçait
Slobodan Milosevic sur les sécessionnistes serbes de Croatie,
un pouvoir que l'accusé réfute sans relâche
depuis le début du procès. « La «République
serbe de Croatie» était totalement dépendante
de la Serbie », a insisté l'ambassadeur, en rappelant
que Belgrade payait les salaires des combattants serbes de Croatie
et les fournissait en carburant.
Aux
trois juges, l'ambassadeur américain raconte qu'il a tenté
de négocier, en 1994 et 1995, un accord de paix entre les
sécessionnistes serbes de la région de la Krajina
et le gouvernement croate mais que ces tentatives ont achoppé
sur le refus du chef d'Etat serbe. Slobadan Milosevic n'était
à l'époque président que de la seule république
de Serbie mais « une seule phrase de lui » suffisait
à convaincre les responsables politiques serbes de Croatie,
affirme le témoin. En refusant de négocier, il les
a condamnés à la guerre.
Mises
en garde répétées
Pourtant,
le plan de paix proposé était « très
généreux », assure Peter Galbraith ; il offrait
aux Serbes de la Krajina une large autonomie au sein de la république
de Croatie. Mais par ses silences répétés,
Slobodan Milosevic a empêché toute négociation.
Les représentants américains à Belgrade ont
tenté de rencontrer l'accusé à plusieurs
reprises. Sans succès.
Lors
de l'audience, Peter Galbraith a attaqué de front l'accusé
: « Si vous aviez véritablement souhaité la
survie des Serbes de la Krajina, vous auriez accepté ce
plan de paix. Pourquoi avoir refusé de nous rencontrer
en 1995 ? » L'accusé répond qu'il était
absent de Belgrade et n'avait pas été informé
de la situation. « Le téléphone existe »,
rétorque sèchement l'ambassadeur. Slobodan Milosevic
s'enferre en disant qu'il était... en vacances. «
Monsieur Milosevic était sans doute isolé, du haut
de sa montagne, ironise le témoin, mais tout le monde en
Europe était au courant de ce qui se passait ». Les
médias, les préparatifs militaires en cours à
Zagreb, les mises en garde répétées des autorités
américaines et des responsables des Nations unies étaient
autant de signes avant-coureurs, rappelle le diplomate américain
: « comment se peut-il qu'un dirigeant soit en vacances
alors que la guerre se prépare ? ». Mais Slobodan
Milosevic n'en démord pas : personne ne l'a informé
de l'imminence de la guerre, prétend-t-il.
En
1995, le président croate, Franjo Tudjman, envisage de
reprendre par les armes cette région de Krajina sur laquelle
les forces serbes ont établi leur contrôle depuis
1991. Entretemps, l'armée de Croatie s'est organisée.
L'opération « Tempête
» est déclenchée. En trois jours, du 4 au
7 août 1995, la région repasse dans le giron croate.
Mais l'opération se soldera par l'assassinat de quelques
150 civils serbes et l'exode
de près de 200 000 d'entre eux. L'ambassadeur explique
avoir plusieurs fois évoqué avec le président
Tudjman les violations des droits de l'homme commises contre les
Serbes de la Krajina.
L'administration
Clinton fait encore aujourd'hui l'objet d'accusations sur la participation
présumée des Etats-Unis à l'opération
militaire croate. « Nous avons indiqué aux Croates
qu'une opération militaire était toujours risquée
et que si la Croatie se lançait dans une telle opération,
elle n'aurait pas le soutien des Etats-Unis », affirme l'ambassadeur.
Mais Slobodan Milosevic s'inscrit en faux : « la Croatie
a eu le front d'attaquer la Krajina avec l'autorisation américaine,
lance-t-il ; des instructeurs militaires lui ont apporté
leur soutien ».
Pour
preuve, l'accusé évoque un accord destiné
selon lui « à planifier l'opération «Tempête»
», signé à Washington entre l'entreprise privée,
Military Professional Resources Incorporated (MPRI) et le ministre
de la défense croate.
Le
représentant américain entoure ses explications
de précautions oratoires. « Pour autant que je sache,
nuance-t-il, si cette entreprise a fait ce que vous dites, c'est
sans le soutien du gouvernement américain. » Informé
de l'accord passé entre la Croatie et l'entreprise - qui
regroupe plusieurs centaines de vétérans de l'armée
américaine - Peter Galbraith affirme que « MPRI a
assuré une formation aux droits de l'homme ». Slobodan
Milosevic cite ensuite devant la Cour un article d'un journal
croate faisant état de « la participation du Pentagone
et de la CIA » à l'opération « Tempête
». « Je ne vois pas de quoi vous parlez », rétorque
simplement l'ambassadeur.
Stéphanie
Maupas
|