La Croix, 19/07/1997

VILLES D'ADRIATIQUE (4)
Split, aux marches d'un palais dalmate
Construite autour du palais de Dioclétien, empereur de Rome et persécuteur de chrétiens, Split a transformé son mausolée en cathédrale. Slave de coeur mais latin de moeurs, le port croate reste surtout dalmate et fier de l'être.

Par François d'Alançon.
SPLIT, de notre envoyé spécial

Split. Après Spalato, et après Palatum, qui veut dire « le palais ». Celui de Dioclétien. Le Versailles ou le Sans-Souci d'un Louis XIV ou d'un Frédéric en retraite. Un Bonaparte d'Illyrie, homme du peuple arrivé au faîte de la puissance, soldat de fortune né à Salona, capitale romaine de la Dalmatie, à qui une druidesse avait prédit un jour son destin. Ce fils d'esclave affranchi, putschiste avant l'heure que les armées « proclament » en l'an 284, se fait bâtir pour ses vieux jours une villa à la mesure de son standing et de sa renommée : un palais de 150 mètres de côté, fermé par des murailles d'une hauteur de 25 mètres et capable d'abriter 2 000 personnes. On pourra bien le transformer en ville.

Lorsque Salona tombe, en 614, sous les coups des barbares _ Avars et Slaves _, le palais offre un refuge aux vaincus. Les couloirs se transforment en ruelles, les salles en appartements. Une ville est née, tour à tour franque, byzantine, croate, hongroise, vénitienne, française, autrichienne, yougoslave, italienne et de nouveau croate.

Tout avait commencé il y a juste dix-sept siècles, sous Dioclétien, l'un des six empereurs dalmates donnés à Rome. Dernier empereur païen, dernier persécuteur : la fin de son règne sera cruelle aux chrétiens, assimilés aux magiciens, envoyés aux mines et au bûcher. En cette « ère des martyrs », l'empereur déclinant cède aux ultras du paganisme. A Salona, huit kilomètres au nord, les arènes assistent au supplice d'Anastase et de Dominius qui deviendra le saint patron de Split. Au VIIe siècle, le mausolée de Dioclétien devient cathédrale. Chaque 6 mai, les processions chantent à sa mémoire des psaumes venus du fond des âges. Un rite renaissant, délaissé durant les quarante ans de socialisme yougoslave.

Aujourd'hui troisième ville de Croatie avec 200 000 habitants, Split est slave de coeur mais latine de moeurs. Une ville jeune, universitaire _ un citadin sur cinq est étudiant _ où l'on bavarde longtemps dans les ruelles de pierre et aux terrasses des cafés du péristyle, devant la cathédrale. Les convois de la Sfor, la force d'intervention dans la Bosnie voisine, les soldats étrangers qui musardent à l'ombre des palmiers, remémorent à chacun le naufrage de la Yougoslavie.

Même si Split n'a vraiment vécu la guerre, la « dernière guerre » comme on dit ici, que le temps d'une matinée _ en novembre 1991 _, quand un bâtiment de la marine fédérale bombarda la ville. Un navire nommé... Split. Presque tous les 50 000 réfugiés, la plupart venus de Krajina, sont repartis ou ont trouvé un toit. Les autres végètent encore dans quelques hôtels. Sous le haut patronage de Franjo Tudjman, président de la République de Croatie, Split coulerait donc des jours tranquilles.

Normalisation trompeuse ? Le 10 avril dernier, des militants d'extrême droite défilaient dans les rues du centre ville pour fêter le 56e anniversaire de la proclamation de l'« Etat indépendant de Croatie » par Ante Pavelic, l'allié fasciste de l'Allemagne nazie. Split abrite la rédaction du Feral Tribune, le seul hebdomadaire indépendant croate, ancien supplément satirique du quotidien Slobodna Dalmacija (Dalmatie libre). Le 5 janvier 1994, Viktor Ivancic, son rédacteur en chef, se faisait interpeller par deux policiers et emmener à la caserne Dracevac. Selon le ministre de la défense, il avait été « mobilisé en accord avec les règlements croates ». Feral Tribune venait de mettre en cause la violence des méthodes des forces armées locales ainsi que leur corruption. Il avait également publié en couverture sous le titre « Est-ce pour cela que nous nous sommes battus ? » un photo-montage montrant les présidents Milosevic et Tudjman enlacés dans le même lit et dénonçant le rapprochement serbo-croate qui s'amorçait à l'époque. Après vingt-deux jours d'entraînement militaire, le journaliste s'était vu accorder une permission et décidait de ne pas retourner sous l'uniforme. Depuis, Vikor Ivancic, 37 ans, n'a plus été inquiété mais sa publication fait face à une avalanche de procès. Et la police locale maintient la pression à coup de convocations et de perquisitions.

MARKO MARULIC
« Solus Deus potest nos liberare de tribulatione inimicorum nostrorum Turcorum sua potentia infinita ». Dans La Prière contre les Turcs, l'écrivain Marko Marulic introduisait sa vision des destructions dues à la guerre, sa propre désillusion, le sentiment de sa propre impuissance. Trois vers de ce poème ont été cités par Jean-Paul II dans son discours d'adieu, à l'occasion de sa visite en Croatie le 11 septembre 1994. Marko Marulic a écrit en latin, en croate et en italien, avec ce pouvoir de synthèse de la culture littéraire latine, italienne et croate. Versificateur, dramaturge et auteur de textes d'instruction catholique, il sera considéré plus tard comme le père de la littérature croate. Cet humaniste chrétien s'est intéressé à tout : à la littérature, à la peinture, à la sculpture, à l'archéologie, à l'histoire et à la géographie. Né et mort à Split (1450-1524), il a passé toute sa vie dans cette ville, alors sous l'administration de Venise et encerclée par les Turcs.

Entre les deux guerres, Split s'était taillé une réputation de « ville rouge ». Avec l'industrialisation et le développement des chantiers navals, les idées communistes avaient gagné la population ouvrière qui manifestait contre la monarchie yougoslave. A l'époque, la ville était sous l'influence du clergé catholique, élevé par la suite au rang d'« ennemi de classe », soumis à la répression et aux persécutions du régime de Tito. « Aujourd'hui, les gens au pouvoir ont l'impression de prendre leur revanche, affirme Pedrag Lucic, 33 ans, journaliste au Feral Tribune. C'est le règne de l'intolérance, du chauvinisme et de l'étroitesse d'esprit. Ils accusent notre journal d'être yougo-nostalgique ».

Insensiblement, Split change de peau. A l'heure de l'indépendance croate, la vieille élite se tait. Désormais, les Herzégoviniens de l'arrière-pays tiennent le haut du pavé. L'homme fort de la ville n'est autre que Miroslav Kutle, originaire de Siroki Brijeg en Herzégovine. « Il possède tout : chaîne de télé, radio, le journal Slobodna Dalmacija, hôtels, magasins et entrepôts, explique Pedrag Lucic. Il a même une participation majoritaire dans le club de football. »

« Nous ne vivons pas seulement les conséquences de la guerre mais aussi celles du passage à l'économie de marché », souligne Gérard Denegri, président de l'Alliance française. « D'un seul coup, la ville a perdu ses bases : le tourisme, l'industrie socialiste, les chantiers navals et les cimenteries. La priorité aujourd'hui, c'est de faire redémarrer l'économie. » « Avant les gens venaient ici pour chercher un travail. Nous avions une bonne équipe de football, un théâtre et des journaux de qualité. Aujourd'hui, tout est centralisé, Split n'est plus qu'un gros village. Il n'y en a plus que pour Zagreb. Même notre hedomadaire est imprimé là-bas. »

Loin des tribulations politiques, Split n'en cultive pas moins son héritage dalmate. Le cercle littéraire de Split et l'association des écrivains croates. « La Dalmatie, c'est un temps et un espace particuliers qui influencent toute la littérature croate », explique Nenad Cambi, président du Cercle littéraire de Split. « Toutes les générations sont conscientes de cette spécificité. « Le dialecte dalmatien, mélange de vénitien, de grec et d'ancien dalmate, n'est pratiqué aujourd'hui que dans les îles mais la lumière dalmate continue d'imprégner notre relief géologique et spirituel. »

 

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