17/09/2006
RÉVOLTE
DES CROATES
Inauguration
du parc-mémorial
de Villefranche-de-Rouergue
Allocutions prononcées
à l'occasion de la cérémonie commémorative
le 17 septembre 2006
Villefranche-de-Rouergue (Aveyron)
Intervention
de Monsieur Serge ROQUES
Député-Maire de Villefranche-de-Rouergue
Monsieur
le Premier Ministre de la République de Croatie,
Monsieur
le Ministre des Affaires étrangères de
la République française,
Madame
l’Ambassadrice représentant le Gouvernement
de Bosnie- Herzégovine,
Madame le Vice-Premier Ministre de Croatie et Monsieur
le Ministre de la Culture de Croatie,
Monsieur l’Ambassadeur de Croatie en France,
Monsieur l’Ambassadeur de France en Croatie,
Monsieur le Préfet d’Istrie,
Madame la Préfète et Monsieur le Sous-Préfet
d’Aveyron,
Monsieur le Ministre, Sénateur, Président
du Conseil Général de l’Aveyron,
Mesdames les Conseillères Régionales,
représentant de Président du Conseil
Régional Midi-Pyrénées,
Messieurs les Présidents des Groupes d’Amitié
Croatie-France au Sabor, croate et à
l’Assemblée Nationale,
Messieurs les Anciens Combattants de Croatie et de
France,
Madame le Colonel, Déléguée Militaire
en Aveyron,
Monsieur le Maire de Pula et ses collaborateurs,
Mesdames et Messieurs les élus régionaux,
départementaux, municipaux,
Messieurs les Capitaines de Gendarmerie,
Monsieur le Capitaine des Sapeurs-Pompiers,
Monsieur l’Architecte du site,
Mesdames et Messieurs les chefs de service et dirigeants
d’entreprises, Mesdames et Messieurs,
Il y a 63 ans, jour pour jour, le 17 septembre 1943,
se déroulait, ici-même, un événement
horrible et insupportable qui nous rassemble tous aujourd’hui :
le massacre barbare, par des troupes nazies, fanatiques
et sans pitié, et l’ensevelissement sommaire
de près d’une centaine de jeunes gens,
à peine sortis, de l’enfance, venus de
l’autre extrémité du continent
européen.
La
veille, avait eu lieu un fait incroyable qui restera
unique dans les annales de la deuxième guerre
mondiale : la mutinerie dans un bataillon Waffen-SS
de jeunes gens enrôlés de force, venus
de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.
L’exécution de cinq officiers allemands
rendait les mutins maîtres de la situation, pendant
quelques heures, ce qui a fait écrire aux historiens
que Villefranche de Rouergue, fut symboliquement la
première ville libérée de la métropole.
Ils affirmaient ainsi, au péril immédiat
de leurs jeunes et fragiles vies, la dignité
éminente et inaliénable de tout être
humain qui refuse l’asservissement des corps
et des esprits.
Mais, le retournement devait être, hélas,
sanglant et brutal.
Les nazis, dès qu’ils le purent, à
l’aide de renforts extérieurs, anéantissent
tous ces jeunes gens téméraires qui leur
avaient fait si peur.
Ces héros sont toujours enterrés ici,
après avoir été suppliciés
et abattus, soit sur place, soit en ville, soit dans
les locaux où ils étaient prisonniers.
De nombreux autres mourraient ensuite en particulier
en déportation. Ces évènements
sont de portée nationale en Croatie et en Bosnie-Herzégovine.
Ici, ils ont marqué au fer rouge la mémoire
de la cité.
Dès l’arrivée des troupes allemandes,
le 12 août, de nombreux Villefranchois sont choqués
par le traitement brutal et humiliant, voire bestial,
qu’infligeaient les nazis à ces jeunes
hommes.
Le 17 septembre, nos compatriotes firent ce qu’ils
purent en cette année 1943, qui fut sans doute
la plus noire de l’occupation, pour protéger
et cacher dans la bastide, les révoltés
qui avaient pu échapper aux griffes mortifères
de leur bourreau.
Certains, trop rares, hélas, purent ainsi gagner
quelques jours après la campagne avoisinante
et les maquis de la Résistance.
Cette révolte faisait reposer aussi immédiatement
sur le Maire Louis
FONTANGES, une responsabilité écrasante
et redoutable.
Dans un pays occupé où l’administration
était neutralisée, il était de
fait et en fait, la seule personnalité susceptible
de protéger la population. Il avait comme seule
arme, son autorité morale acquise sur les champs
de bataille de la grande guerre.
La ville a sans doute risqué son existence même,
car il n’y a pas d’autre exemple semble
t-il en France, qu’un événement
aussi meurtrier pour l’occupant, n’ait
pas entraîné, aussitôt, de terribles
représailles sur la population civile toujours
soupçonnée de complicité.
L’ombre d’Oradour sur Glane a réellement
plané sur Villefranche de Rouergue, et elle
doit en grande partie au courage de Louis Fontanges,
qui n’a pas hésité à se
constituer prisonnier en sa mairie et à se porter
garant de la population, d’avoir évité
cette terrible perspective ou du moins la déportation
de centaines de personnes, comme ce fut le cas près
d’ici, à Figeac par exemple.
Les Villefranchois sortirent bouleversés de
ces journées dramatiques, beaucoup avaient entendu
les fusillades et vu la dizaine de cadavres qui jonchaient
les rues de la ville, certains enfants même,
ont assisté, pétrifiés dissimulés
derrière des buissons aux sommaires et sinistres
exécutions.
Et, jusqu’à la Toussaint qui a suivi,
des mains anonymes et déjà maternelles,
sont venues à plusieurs reprises, malgré
l’interdiction du Maire, qui craignait toujours
de lourdes représailles, déposer des
fleurs sur la fosse toute fraîche du massacre.
C’est pour rappeler ce geste, que la mère
de bronze qui veille désormais sur ces enfants,
est entourée d’une pelouse fleurie.
Après la guerre, une stèle, présentée
comme provisoire et très simple, venait rappeler
le sacrifice.
Chaque 17 septembre, des cérémonies dépouillées
se déroulaient, en présence des élus
municipaux, des représentants des pays concernés
et des anciens combattants croates et français.
Cependant, les statues promises et exécutées
pour Villefranche de Rouergue, en 1952, par le sculpteur
croate de grand talent Vanja RADAUS ne peuvent rejoindre
la France sous l’ancienne Yougoslavie.
Pendant ces longues années, la ville entretient
le lieu et le « sanctuarise » en quelque
sorte.
Nous sommes donc très satisfaits lorsque son
Excellence l’Ambassadeur de Croatie en France,
Monsieur Bozidar GAGRO, se saisit du problème
et le soumet à son Gouvernement, il y a deux
ans environ.
Dès lors, sous sa puissante impulsion, tout
va très vite et je remercie infiniment le Gouvernement
Croate d’avoir voulu et permis ce monument, après
avoir obtenu l’accord du Gouvernement Français.
Le Gouvernement Croate a fait le don à la ville,
de la réplique de ces magnifiques et très
émouvantes statues, ainsi que les dalles blanches
qui rappellent dans les deux langues, le drame.
Le projet nous avait été présenté,
à Jean PUECH et à moi-même au Ministère
de la Culture à ZAGREB en présence de
Monsieur Bozo BISKUPIC Ministre de la Culture par l’architecte
croate de grand renom Ivan PRTENJAK. Il nous a d’emblée
séduits.
Nous gardons tous les deux un souvenir extraordinaire
de ce séjour où nous avons eu le grand
honneur d’être reçus en audience
successivement par Monsieur le Premier Ministre, Monsieur
Ivo SANADER puis par le Président de la République
de Croatie lui-même, Monsieur Stjepan MESIC.
Ce sont des grands moments pour nous et je veux encore
une fois remercier le Gouvernement Croate et des plus
hautes autorités, de la qualité exceptionnelle
de leur accueil dans leurs pays qui a attiré
et enchanté plus de 600 000 français
cette année.
Je suis naturellement très heureux et très
fier d’accueillir ici notre Ministre des Affaires
Etrangères Monsieur Philippe DOUSTE-BLAZY. Je
le remercie beaucoup, malgré le contexte international
très chargé, dans lequel la diplomatie
française et son chef jouent un rôle capital,
très recherché, d’avoir bien voulu
nous consacrer ces moments. Le Gouvernement Français
a appuyé dès la départ ce projet
et c’est le Ministère des Affaires Etrangères
qui nous a accordé une subvention pour le mener
à bien. Sans son accord et son appui, bien entendu,
rien n’aurait pu se faire et nous lui en savons
gré.
Notre reconnaissance va aussi au Gouvernement Bosniaque,
directement concerné par l’origine de
nombreuses victimes et qui a bien voulu s’associer
à cette démarche avec la venue en particulier
de sa très charmante Ambassadrice Son Excellence
Zeljana ZOVKO à Villefranche de Rouergue, aux
côtés de Monsieur GAGRO, dès septembre
2005.
Sa présence donne toute la mesure et tout son
sens à l’évènement qui concerne
finalement trois pays européens qui ont eu à
affronter le même ennemi lors du dernier conflit
mondial.
Message du Président Bosniaque (Sulejman
TIHIC)
« Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Député-Maire,
Je vous remercie très chaleureusement de votre
invitation à assister à l’inauguration
officielle du Mémorial dédié
aux soldats Bosniens et Croates ayant participé
au grand soulèvement de la division Handzar
de l’Armée Allemande contre les troupes
nazies occupant Villefranche-de-Rouergue.
Etant empêché par les autres obligations
en Bosnie-Herzégovine, je ne pourrais malheureusement
pas être à vos côtés à
cette importante occasion.
Je tiens à souligner à quel point nous
apprécions votre geste qui permettra à
préserver la mémoire de ces hommes
courageux qui n’ont pas hésité
à sacrifier leurs vies pour l’idée
de liberté.
Nous sommes d’autant plus fiers de ces hommes
courageux, que ce soulèvement a permis à
Villefranche de Rouergue d’être, fût-ce
pour quelques heures, l’une des premières
villes françaises libérée pendant
la deuxième guerre mondiale.
Je me réjouis des liens d’amitié
sincères et profonds qui existent entre nos
deux pays et je suis persuadé que le Mémorial
que vous inaugurez aujourd’hui, pourra contribuer
davantage au rapprochement de nos citoyens qu’à
de très bonnes relations entre la Bosnie-Herzégovine
et le France.
Je vous prie de croire, Monsieur le Sénateur
et Monsieur le Maire, à l’assurance
de ma très haute considération.
»
Localement,
depuis longtemps, nous voulions aménager dignement
le site mais nous n’aurions pu le faire si nous
n’avions pas disposé d’un appui
départemental. Toujours très attentif
à l’histoire de l’Aveyron et à
son ouverture sur l’extérieur, Jean PUECH
a saisi, à la première minute, tout l’enjeu.
Et, tout de suite, il a décidé, avec
toute la collectivité départementale,
de s’associer avec efficacité et générosité
à la construction de ce mémorial. Sur
le plan budgétaire, le Département de
l’Aveyron a participé à parité
avec la Commune. Il nous a également aidé
sur le plan conceptuel. Je l’en remercie infiniment.
La Région Midi-Pyrénées a bien
voulu également s’associer à cet
acte de mémoire. Le Président MALVY a
tenu à se faire représenter et à
nous aider significativement sur le plan budgétaire.
Je le remercie très sincèrement.
Villefranche de Rouergue, une des dix-huit villes de
plus de 10 000 habitants de la Région se
sent pleinement Midi-Pyrénéenne et est
toujours très sensible à la présence
régionale effective sur ses grands dossiers.
Je voudrais remercier également la ville de
PULA et son Maire d’avoir permis la réplique
de ces statues qui ornent son superbe front de mer.
C’est une ville magnifique et nous sommes très
heureux de pouvoir envisager la possibilité
d’un jumelage entre nos deux cités.
Ma reconnaissance va enfin à Madame RADAUS,
veuve du sculpteur qui a autorisé la transfert
de l’œuvre sublime de son mari, ici.
Le parc mémorial a pu ensuite voir le jour dans
un calendrier extrêmement serré puisque
tout à débuté en mai dernier,
grâce à la collaboration fructueuse et
l’entente parfaite qui a régné
entre :
- l’Architecte Croate Ivan PRTENJAK qui a conçu
l’aménagement de l’ensemble du site,
de façon magistrale. Il a été
mis à notre disposition par le Gouvernement
Croate;
- Monsieur Patrice CAUSSE, Paysagiste, diligenté
par le Département de l’Aveyron a mis
tout son savoir et son art au service du parc;
- Nos propres services municipaux : Frédéric
RONCERAY Directeur Général des Services,
Jean Pierre OLIVIER Directeur Technique, les Services
: des Espaces Verts, de la Voirie, des Eaux, des Maçons
et du Nettoiement, sans oublier Patrick BRUGEL et les
Services Culturels qui ont fait preuve, une nouvelle
fois, d’un grand professionnalisme et d’une
grande adaptabilité pour faire face aux difficultés
d’un chantier qui était nouveau pour eux.
Il est vrai qu’ils ont eu à faire à
des entreprises très performantes et dynamiques,
locales pour la plupart :
- Entreprise LAGARRIGUE (travaux publics)
- Société EUROVIA (voirie)
- Société SOTRAMECA (travaux publics)
- ATELIER ESPACE (coordonnateur Sécurité)
- Société ITC (étude béton
armé)
- Société ARNAL (électricité)
Je crois que tous ensemble, ils ont été
portés et conquis par l’objet « sacré »
en quelque sorte de leur travail, qui les a menés
à donner collectivement ce qu’ils avaient
en eux, de meilleur et de plus profond.
Ils nous livrent en tous les cas une œuvre magistrale
et saisissante et je veux les en féliciter très
chaleureusement. C’est à ce jour le seul
monument en France dédié à la
mémoire des enfants de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.
Napoléon Bonaparte, qui a laissé me semble-t-il
un souvenir positif en Croatie, disait :
«Il n’y a que deux puissances au
monde : le sabre et l’esprit…
A la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit
»
A
la longue en effet, puisqu’il a fallu deux cents
ans de luttes fratricides, depuis cette prophétie
impériale pour que l’Esprit de Paix gagne
enfin aussi bien en Europe de l’Ouest que chez
vous en Europe du Sud-Est.
Mais nous ne devons pas oublier à qui nous le
devons. Le sacrifice des révoltés Croates
et Bosniaques de Villefranche de Rouergue, comme celui
de tous ceux qui sont tombés n’auront
pas été vains.
Il habite nos cœurs et pousse avec force nos esprits
à toujours rechercher entre nous l’entente,
la coopération et la paix, suivant le triptyque
célèbre du Général de Gaulle,
pour les partager avec tous les peuples qui habitent
notre bien et notre territoire communs : l’EUROPE.

Intervention de Monsieur Jean PUECH
Ancien ministre, Sénateur,
Président du Conseil général de l'Aveyron
Ce devoir de mémoire
qui nous rassemble va plus loin que la simple cérémonie
du souvenir.
Il
exprime à mes yeux l'union des peuples dans
un espace européen où se construit inlassablement
la paix depuis 60 ans. Aussi, à tous nos invités,
j'adresse ma très cordiale et fraternelle bienvenue
en Aveyron.
Le
17 septembre 1943 à VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE,
ils se sont soulevés, en défiant le pouvoir
nazi par une mutinerie au sein même de ce bataillon
SS à la triste réputation dans lequel
ils avaient été enrôlés
de force.
Ils
se sont soulevés pour ne pas accepter l’inacceptable,
pour ne pas subir.
Ne
pas subir ou simplement tolérer une idéologie
destructrice. Ne pas subir l’asservissement de
l’Homme par l’Homme. Ne pas subir l’horreur.
Beaucoup
en sont morts car la répression fut immédiate.
Ils
sont morts dans les rues de VILLEFRANCHE. Ils sont
morts dans les camps de concentration.
Ils
n’avaient même pas 20 ans. Face à
un ordre aussi rigide qu'inhumain, la révolte
à mains nues de ces jeunes exprimait le goût
de la liberté. Et le goût de la liberté,
c'est le goût de la vie.
La
révolte de ces jeunes Croates et Bosniaques
et tant d’autres actes de résistance ouvraient
en effet sur cette terre d’Aveyron la porte de
la liberté qui allait déferler sur la
France après tant d’années noires.
Ils
se sont levés comme d’autres hommes et
d'autres femmes l’ont fait de tous temps, à
travers le monde, au-delà des appareils et des
calculs.
C’est
à l’Histoire ensuite d’analyser,
d’expliquer.
Pour
nous, ici et aujourd’hui, il nous revient de
saluer l’attitude de ces hommes.
Ils
se sont levés pour dire non au poids de la dictature,
non à la haine raciale et religieuse, non à
la négation de l’identité des peuples.
La
reconnaissance officielle de cet acte héroïque
est désormais scellée dans le bronze
et la pierre de ce mémorial. Ce Mémorial
est le témoin d’une attitude qui résonne
comme une référence : "savoir dire
non".
Ce
Mémorial porte le message bien au-delà
de ce champ des martyrs. C’est
un message universel de respect de la condition humaine,
de la justice, de la fraternité entre les peuples.
C’est
un message de paix.
Mais
pas la paix à n’importe quel prix. En
tout cas pas la paix au prix du renoncement à
des valeurs.
La
construction de l’Europe, une Europe ouverte
à tout son territoire historique, a donné
à la paix des fondations solides sur le continent.
Ces
cinquante dernières années, les liens
entre les peuples se sont renforcés. Enrichie
de ses différences, l’Europe va de l’avant,
et doit aller encore plus vite de l'avant, car rien
n’est jamais acquis définitivement.
En
effet, d’autres menaces sur la paix, d’autres
menaces sur la liberté sont apparues. Les actes
terroristes aujourd'hui sont là pour nous le
rappeler hélas trop régulièrement.
Pour
ces raisons, le devoir de mémoire que nous accomplissons
ce jour est d’une actualité lucide.
La
paix et la liberté ne vont pas d’elles-mêmes.
La
paix et la liberté ont besoin, à chaque
instant, de combattants. De ceux qui savent dire non
*
* *
Le
17 septembre 1943, c’était ici, à
VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE.
Je
souhaite aussi saluer l’attitude de la population
de VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE.
Avec
son maire de l’époque, Louis FONTANGES,
elle a su, en ces heures douloureuses, être solidaire
des insurgés au risque de terribles représailles
allemandes.
*
* *
Je
tiens à exprimer la reconnaissance de tout le
département envers ceux qui ont donné
ce magnifique exemple de courage.
Venus
d'autres Pays, ils ont rencontré ici, sur la
terre d’Aveyron, une culture de résistance
qui a su, en de nombreuses occasions, refuser l’oppression.
* * *
Cet
évènement douloureux nous a rapprochés.
Il
nous rassemble aujourd’hui dans un hommage fidèle
et respectueux.

Intervention
de Madame Zeljana ZOVKO
Ambassadeur de Bosnie-Herzégovine en France
Monsieur
le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil Général
Monsieur le Député-Maire
Mesdames, Messieurs,
Tout
d’abord je tiens à remercier le Maire
de Villefranche-de-Rouergue et le Président
du Conseil Général, tout comme les citoyens
de cette ville historique pour leur accueil chaleureux
à Villefranche-de-Rouergue, ville
qui rassemble nos pays.
C’est
un grand honneur de m’adresser devant une telle
assemblée en ce jour symbolique.
Aujourd’hui,
Villefranche-de-Rouergue, ses citoyens et les jeunes
révoltés obtiennent finalement le monument
que cet événement et ce lieu mérite.
La
Bosnie-Herzégovine est un pays qui, malheureusement,
a connu de nombreux combats, guerres et conquêtes
sur son sol. Souvent aussi son histoire a été
écrite d’une manière unilatérale.
Le
fait de nier pendant cinquante ans l’histoire
et la culture des petits peuples, en ex-Yougoslavie,
a engendré des mythes et des préjugés
établis dans une histoire sélective enseignée
dans les écoles. C’est pourquoi des peurs
primaires ont pris la place du dialogue et de la tolérance.
Une histoire écrite depuis des lieux souvent
éloignés de nos foyers ainsi qu'une utilisation
sélective de l'information ont été
cause de frustrations durant des nombreuses années.
Mais la vérité reste préservée
dans les témoignages des gens qui demeurent
les vrais témoins de leur époque.
Les
événements historiques qui se sont déroulés
à Villefranche-de-Rouergue, première
ville brièvement libérée dans
la France occupée, marquèrent aussi l’unité
des citoyens de cette ville et des révoltés.
C’était la lumière face aux forces
macabres du nazisme. L’exemple montré
par ces courageux révoltés, la révolte
contre l’injustice, témoigne aujourd’hui
qu’un homme, même dans les plus obscurs
moments de l’histoire peut changer le cours des
choses. S’il refuse l’injustice et s’il
se révolte.
La
révolte conduite par ces jeunes gens à
Villefranche-de-Rouergue, l’aide apportée
par les citoyens de cette ville, son destin tragique
dans un pays étranger loin de leurs foyers pouvait
être guère plus qu'un épisode historique,
peu connu dans leurs pays natals. Or les citoyens de
cette ville ont veillé à préserver
la mémoire en commémorant cet événement.
D'autre part, on ne saurait cependant oublier que plus
de quatre-vingt soldats français ont donné
la vie pour la paix au cours de la guerre récente
en Bosnie-Herzégovine. Le
monument en souvenir de leur sacrifice se trouve aujourd’hui
à Sarajevo.
Grâce à la France et aux Etats-Unis, les
accords de paix de Bosnie-Herzégovine ont été
paraphés à Dayton et signés à
Paris. Le 10e anniversaire des accords de paix
Dayton-Paris a été célébré
le 14 décembre 2005 à Paris, où
le Président Chirac a reçu la Présidence
de Bosnie-Herzégovine. Ce fut pour elle l'occasion
de lui
a renouveler ses remerciements pour le rôle personnel
qu'il a joué dans l’établissement
de la paix.
En
outre, je voudrais rappeler que c'est encore le Président
Chirac qui a ouvert la voie à l’intégration
européenne de la Bosnie-Herzégovine au
cours la conférence du Pacte de stabilité
qui s'est tenue en 1999 à Sarajevo. Il a exprimé
sa confiance quant à la perspective ouverte
à la Bosnie-Herzégovine et à la
région de rejoindre l’Union européenne.
Au cours du sommet de Zagreb 2000, durant la présidence
française de l’Union européenne,
il a encore conforté cet espoir et cette motivation
en Bosnie-Herzégovine. Et cette vision a accéléré
la dynamique de développement du pays, en y
approfondissant le dialogue et en y accélérant
le processus de réconciliation.
Aujourd’hui,
au moment où le rôle de la communauté
internationale en Bosnie-Herzégovine se réduit,
et où nous sommes sur le point de signer un
accord de stabilisation, les liaisons entre nos deux
pays sont plus fortes que jamais.
La volonté avec laquelle le gouvernement français,
et le président Chirac en personne, se sont
investi à la fois dans la consolidation de la
paix par l'intermédiaire des contingents déployés,
que dans la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine,
a véritablement porté ses fruits.
C’est
pourquoi, encore une fois, je remercie la ville de
Villefranche-de-Rouergue, ses citoyens et les autorités
françaises pour la conservation du souvenir
d’un moment lumineux dans l’histoire de
notre peuple.
Je
suis convaincue que ce jour-ci, que notre unité
en ce moment, seront aussi une contribution à
la construction d’une Europe forte avec une Bosnie-Herzégovine
stable, une Europe fondée sur la confiance et
le respect mutuel.
La
Bosnie-Herzégovine s'attachera pour sa part
à montrer que la vérité et seule
la vérité doit être le fondement
de l’histoire, en veillant à tenir compte
de tous les faits historiques, en honorant l'engagement
individuel, la justice et la dignité de l’homme,
en condamnant les crimes individuels sans pour autant
tomber dans le piège de la culpabilité
et la responsabilité collective des peuples.
Je
vous remercie.

Intervention
de Monsieur Philippe DOUSTE-BLAZY
Ministre français des Affaires
étrangères
Monsieur
le Premier Ministre de Croatie,
Madame
l'Ambassadeur de Bosnie-Herzégovine,
Monsieur
le Député-Maire,
Monsieur
le Sénateur et Président du Conseil général,
Madame
la Conseillère régionale, Madame le Préfet,
Mesdames
et Messieurs,
Nous
sommes réunis aujourd'hui pour commémorer
un épisode singulier de la lutte contre l'occupation
nazie, dans cette région qui fut un haut lieu
de la résistance nationale et qui a écrit
des pages glorieuses de la Libération de la
France. Les événements du 17 septembre
1943 constituent, en effet, un exemple inédit
de révolte contre l'occupant nazi.
Inédit
parce que la mutinerie de Villefranche-de-Rouergue
fut la première rébellion armée
de cette ampleur au sein même d'une unité
de la Waffen SS. Inédit aussi, et surtout, parce
que cette révolte fut conduite par de jeunes
Croates et Bosniaques, enrôlés de force
à l'été 1943, éloignés
de leur pays, trompés et brutalisés par
l'occupant nazi au profit d'une cause qui n'était
pas la leur. Inédit enfin car pendant quelques
heures, grâce à l'action courageuse de
ces mutins, Villefranche-de-Rouergue fut, en quelque
sorte, une ville libérée dans une France
alors occupée.
Les
habitants de Villefranche-de-Rouergue ont été
les témoins de ce drame. Ils ont aussi aidé,
au péril de leur vie, les autorités municipales
en tête, plusieurs de ces révoltés
à se cacher, à s'enfuir, et, pour certains
d'entre eux, à rejoindre les rangs de la Résistance.
Ils ont découvert avec émotion que ces
hommes, issus de cultures et de religions différentes,
venus sous un uniforme ennemi, dans un pays dont ils
ignoraient tout, partageaient avec eux un même
combat. Le refus de la tyrannie, le rejet de l'oppression,
l'appel de la liberté furent au cœur de
leur révolte : ce sont bien là les valeurs
qui ont fondé la Résistance, ce sont
bien là les valeurs qui ont permis de rassembler
l'Europe autour d'un projet commun. La ville de Villefranche-de-Rouergue,
pour sa part, n'a jamais oublié ce sacrifice.
Au-delà
de l'événement historique qui nous réunit
ici, je tiens à souligner combien l'hommage
rendu à ces jeunes combattants croates et bosniaques
est un hommage à tous les adversaires du totalitarisme,
aux individus qui ont eu le courage et la volonté
de s'opposer. Il s'inscrit également dans le
souci d'œuvrer en faveur d'un continent européen
pacifié et réunifié autour des
valeurs de la démocratie, de l'humanisme et
des Droits de l'Homme.
Il
y a à peine plus de 10 ans, la guerre faisait
encore rage en ex-Yougoslavie. Nous avons tous en mémoire
les scènes de barbarie, les villes assiégées,
les populations déplacées, les territoires
ethniquement "purifiés". Ce destin
tragique dans lequel semblaient enfermées toutes
les nations de l'ex-Yougoslavie est, aujourd'hui, en
train de s'ouvrir à une autre perspective, celle
de l'Union européenne. C'est une perspective
de paix, de démocratie, de prospérité.
C'est une perspective qui doit s'appuyer en premier
lieu sur la réconciliation des peuples, sur
une histoire écrite par les historiens et sur
une mémoire partagée.
C'est
ce message que nous devons tous porter. Vous avez tenu,
Monsieur le Premier Ministre, en plein accord avec
Monsieur le Député-Maire et Monsieur
le Sénateur, à donner un relief particulier
à la commémoration d'aujourd'hui. J'y
vois pour ma part le souci d'un esprit de réconciliation
et le souhait de construire l'avenir en se confrontant
avec exigence à l'Histoire.
Monsieur
le Premier Ministre, Madame l'Ambassadeur, dans votre
région d'Europe encore traumatisée par
les récents conflits, le souvenir est une épreuve
encore souvent douloureuse. Puisse celui des sacrifiés
de Villefranche contribuer, soixante-trois ans après,
à rejeter à jamais le "mal radical"
de l'idéologie nazie. Cette destruction de l'homme
par lui-même a ébranlé en profondeur
la conscience européenne, comme nous le rappelle
Primo Levi. La mémoire de la Shoah et de toutes
les victimes du nazisme rassemble les peuples de l'Union
européenne. Elle ne se discute pas, elle est
un horizon indépassable et imprescriptible.
Face
au négationnisme et aux falsificateurs de la
mémoire, nos peuples doivent aujourd'hui réinventer
les chemins de l'intelligence et de l'éducation.
Des lieux de mémoire partagés comme le
Monument inauguré aujourd'hui y participent
grandement. Notre avenir doit se nourrir des leçons
de ces épreuves passées en retrouvant
la voie de la paix et de l'amitié.
Je
vous remercie./.

Intervention
de Monsieur Ivo SANADER
Premier ministre de la République
de Croatie
Monsieur
le Ministre,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Député-Maire de Villefranche,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis villefranchois,
Ici
même, il y a 63 ans aujourd’hui, sur ce
champ des martyrs, dans les rues de cette ville ou
encore durant leur déportation vers les camps
de la mort, plus de 150 jeunes gens sont tombés
loin de leur patrie. Tous tombèrent pour la
liberté. Révoltés contre la tyrannie,
ils étaient portés par la force de leur
irrépressible jeunesse, mais guidés également
par la conviction qu'ils n'étaient pas seuls,
et sur le point de rejoindre la Résistance retranchée
dans les montagnes environnantes et les forces alliées
engagées alors contre le nazisme.
Tout illustre l’héroïsme de leur
mort tragique : à la fois le moment et les circonstances,
qui font de la révolte un indéniable
acte de résistance, le risque assumé
de défier la sanguinaire machinerie nazie et,
enfin, le destin, qui souvent décide du succès
ou de l'échec, de la vie ou de la mort.
La résistance au nazisme est faite de nombreux
actes héroïques tel celui de Villefranche-de-Rouergue.
Celui-ci est cependant unique en son genre : en effet,
l'histoire en a retenu qu'il s'agit de la première
révolte fomentée au sein de l'armée
allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Quelques
jours plus tard, Radio Londres s’en fit même
l'écho. Et de nombreux historiens ont établi
son caractère spécifique. Deux points
cependant méritent d’être rappelés.
En premier lieu, c’est la solidarité manifestée
par les Villefranchoises et les Villefranchois à
l’égard des révoltés. Bravant
le risque de représailles impitoyables, ils
leur ont souvent donné refuge et aidé
les rares survivants à rejoindre le maquis.
Qui plus est, faisant preuve de noblesse et d’unité,
la population de Villefranche a continué à
cultiver le souvenir de ces événements,
passés à la postérité dans
l’histoire locale sous le nom de Révolte
des Croates. Des premières gerbes de fleurs
qu'ils déposèrent en ce lieu même
sur leur sépulture,
alors anonyme, et ce jusqu’aux honneurs rendus
des décennies durant, comme aujourd'hui, au
son du Chant des partisans, l'hymne de la Résistance.
En second lieu, c’est l'écho que la révolte
de Villefranche a rencontré en Croatie, comme
en Bosnie-Herzégovine. Celui-ci contrasta jadis
sensiblement avec la manière dont elle fut perçue
dans la capitale de l'ex-Yougoslavie. Car d’aucuns
tenaient le simple fait d'avoir revêtu l’uniforme
ennemi, fût-ce sous la contrainte, pour une faute
qu’aucun acte de bravoure, aucune conviction,
aucun sacrifice ne saurait laver. Et s'ils furent finalement
inclus dans la catégorie générale
des « combattants yougoslaves », c’est
pour n’avoir finalement droit ni à la
reconnaissance de leur identité nationale ni
à un monument durable, digne de leur héroïsme.
En Croatie, en revanche, la révolte de Villefranche
est devenue partie intégrante de la mémoire
collective. Du fait de l’éloignement géographique
du théâtre de ces événements
et de leur dénouement tragique, ils suscitèrent
une grande attention, tant par ce que l’on en
savait que par ce que l’on en ignorait encore.
Ainsi, journalistes et historiens commencèrent
à se rendre à Villefranche, rassemblant
documents et témoignages de la population. Ils
furent bientôt suivis d’artistes, qui traduisirent
la conscience qu’en avaient conservé les
Villefranchois en d’expressives métaphores.
A tel point qu'aujourd'hui, les tabous étant
levés, chacun reconnaît à ces événements
une haute portée symbolique, associant dans
un héritage commun nos trois pays ici réunis.
Ainsi rayonnera-t-il davantage encore dans la nouvelle
Europe.
Ceux qui, morceau par morceau, ont assemblé
cette mosaïque, qui ont étudié les
identités nationales et religieuses des Révoltés,
ont établi un fait qui mérite d’être
souligné : la fraternité des insurgés,
qu'ils fussent de confession musulmane ou catholique
– ces premiers étant d’ailleurs
majoritaires – n'a à aucun moment été
remise en cause. Jamais non plus la moindre division
n’est apparue entre eux. Aussi nous incombe-t-il
de préserver cette unité.
Cette conviction est à l’origine de notre
démarche. En dépit des apparences, l'édification
de ce monument, associant nos trois pays, n’est
pas un retour vers le passé. Certes, nous nous
trouvons ici à l'endroit même où
ces événements se sont déroulés
il y a plus d'un demi-siècle. Néanmoins,
nous en tirons des leçons intemporelles, universelles
et indéniables, qui restent valables aujourd'hui
et gardent toute leur pertinence pour l'avenir. L’amour
de la liberté, la lutte contre l’oppression,
l’esprit de sacrifice et, avant tout, l’unité
fraternelle dans la résistance à la force
brutale et à la menace sous toutes ses formes.
Par
un concours de circonstance auquel j’ai brièvement
fait allusion, ce monument, imaginé en 1952
par l'artiste croate Vanja Radauš – qui
est aussi l’auteur de ces sculptures –,
a certes manqué le rendez-vous fixé avec
toute une génération. Mais finalement,
il aura été accueilli et reconnu par
une autre génération, je veux parler
de la nôtre. Pour autant, sa véritable
et déterminante rencontre avec la présence
spirituelle de tous ces jeunes hommes reposant sous
ses blocs de pierre et ses sculptures de bronze a lieu
aujourd’hui même. Par cette rencontre-là,
le monument ouvre enfin avec les morts un dialogue
qui transcende la vulnérabilité des corps
et conjure la menace de l'oubli. En les délivrant
de leur époque et de toute temporalité,
il les assimile, à travers les figures héroïques
des Fusillés, à tous les fusillés
de l’histoire. De même, la douleur contenue
de la Mère Patrie, portant des pommes sur la
tombe de ses fils selon la tradition de la région
d'origine du sculpteur, symbolise la douleur de toutes
les mères du monde.
Puisse ce lieu de mémoire éternelle,
dédié à ceux qui reposent ici,
nous rappeler aussi tous les martyrs où qu’ils
reposent ! Puisse-t-il être un lieu de rencontre
et de rassemblement, source de nouvelles amitiés
et de fraternités nouvelles entre les jeunes
générations appelées à
consolider les fondements de l'Europe, de notre grande
Europe naissante !
Pour conclure, Mesdames et Messieurs, permettez-moi
au nom du gouvernement croate de remercier très
sincèrement le gouvernement français
pour son soutien et sa collaboration; le gouvernement
de Bosnie-Herzégovine pour son soutien à
la concrétisation de cette initiative et, tout
particulièrement, la municipalité de
Villefranche-de-Rouergue, sous la houlette de M. Serge
Roques, ainsi que le Conseil général
de l'Aveyron, présidé par M. Jean Puech,
pour l'ensemble de leur engagement et leur contribution
financière, décisifs pour l’édification
de ce monument.
Je félicite l'architecte Ivan Prtenjak et ses
collaborateurs français pour le talent dont
il a fait preuve dans la conception, la réalisation
et l'esthétique de ce parc mémorial.
Mes félicitations vont également aux
villes de Villefranche et de Pula dont je salue le
prochain jumelage, en leur souhaitant beaucoup de succès
dans leur future coopération.
Enfin, à vous tous qui avez répondu à
l'invitation de nos hôtes, et dont la présence
contribue à rendre ce jour solennel et historique,
j’adresse mes profonds remerciements!
Je vous remercie.
|