Dimanche 22 juin
Jean-Paul II béatifie, en Bosnie, Ivan Merz
(1896-1928), un jeune laïc croate, ami de la France
et de « La Croix »
Le chroniqueur de La Croix
avait vu juste ! Moins de deux semaines après
la mort d’Ivan
Merz survenue le 10 mai 1928, le quotidien publiait
un portrait fort élogieux du jeune professeur
croate. L’auteur concluait l’article de
manière prémonitoire. «Cette mort
prématurée, écrivait-il, a brisé
de grands espoirs, mais il reste aux catholiques yougoslaves
une consolation : c’est que M. Merz est mort
comme un saint après avoir vécu comme
un saint.» (1)
Ivan Merz que Jean-Paul II béatifie
dimanche 22 juin à Banja Luka (République
serbe de Bosnie) n’avait que 31 ans. Il était
né le 16 décembre 1896 à Banja
Luka, ville multiethnique et multireligieuse de l’ancienne
Yougoslavie. Son père, allemand, était
officier de la monarchie austro-hongroise, reconverti
dans les chemins de fer. Sa mère, d’origine
juive, était hongroise. Famille traditionnelle,
bourgeoise et libérale.
À la fin de ses études
secondaires, le jeune Ivan a la chance d’être
accompagné par un « maître »
remarquable, le docteur Ljubomir Marakovic, qui le
guide et l’oriente dans sa recherche intellectuelle
et spirituelle. L’adolescent lit beaucoup. C’est
aussi à cette époque qu’il commence
son journal intime, auquel il sera fidèle toute
sa vie, même pendant les périodes les
plus tourmentées.
En 1914, il part à l’Académie
militaire de Vienne pour plaire à ses parents…
Il n’y reste que trois mois, et entreprend des
études de droit et de lettres. Mais c’est
la guerre, il est mobilisé à l’automne
1915 et quelques mois plus tard envoyé sur le
front italien. Il continue à lire, à
réfléchir sur les événements
et sur sa foi. « Il serait affreux que cette
guerre ne me soit d’aucune utilité spirituelle,
écrit-il dans son journal. Il ne faut pas que
je vive comme je vivais avant la guerre. Je dois commencer
une vie nouvelle et régénérée
dans l’âme d’un catholicisme, tel
que je le perçois maintenant. »
De retour à Vienne, il reprend
ses études de lettres, et obtient une bourse
pour Paris où, de 1920 à 1922, il est
inscrit à la Sorbonne et à l’Institut
catholique. Il dévore les écrivains français,
fréquente les milieux intellectuels de Paris
auxquels il fait connaître la Croatie, s’engage
dans les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul,
s’intéresse aux initiatives œcuméniques
et à l’Action catholique, plus particulièrement
la « Croisade eucharistique », l’ancêtre
du Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ).
Sa vie de prière est rythmée
par la liturgie. Il mesure déjà toute
la richesse de cette dernière, dont il fait
d’ailleurs son sujet de thèse : L’Influence
de la liturgie sur les écrivains français
de Chateaubriand à nos jours (2), qu’il
soutient brillamment à Zagreb en 1923. Pendant
son séjour à Paris, il fait aussi son
premier pèlerinage à Lourdes qui, confie-t-il
à un ami, « a donné à ma
foi rationnelle sa dimension affective ».
Son étape parisienne est déterminante.
« Ivan est venu à Paris bon chrétien
et repart à Zagreb homo catholicus »,
assure l’un de ses biographes le docteur Kniewald.
À Zagreb, il obtient un poste de langues française
et allemande au lycée de l’archevêché.
Il continue à lire la presse française
dont La Croix, à laquelle il collabore de temps
en temps. Il polémique avec Zola au sujet de
Lourdes. Tout en restant laïc, il décide
de consacrer sa vie au Christ et à l’Église.
Éducateur né, convaincu
de la valeur de l’action catholique, il s’implique
activement dans « l’union croate des Aigles
», une organisation de jeunesse dont il est rapidement
élu président. Aussitôt il lui
donne une impulsion nouvelle et des orientations inspirées
de la Croisade des enfants, dont il reprend la devise
: «Sacrifices-Eucharistie-Apostolat».
Il en est convaincu, « l’eucharistie
et le Pape doivent devenir la racine, la source et
l’origine pour les Aigles ». Il a une conscience
aiguë d’être un membre vivant de l’Église
catholique qu’il chérit et qu’il
veut servir d’un dévouement total. Avec
ardeur, il se fait le propagateur infatigable de la
liturgie, « la prière officielle de l’Église
».
« Grâce à la liturgie,
écrit-il, tout catholique devient grand et universel,
il laisse de côté ses intérêts
personnels et commence à avoir les mêmes
sentiments que l’Église… C’est
sur la base de la liturgie que le chrétien s’éduque.
On peut dire que la liturgie est une pédagogie
au sens propre du terme, car, grâce à
elle, un croyant peut vivre toutes les phases de la
vie du Christ. »
Par ses articles, ses conférences,
son activité quotidienne, il a sans aucun doute
été l’un des pionniers du renouveau
liturgique. Soucieux de toujours mieux comprendre sa
foi, il étudie l’histoire de l’Église,
les textes pontificaux, la théologie. Il veille
aussi à former une élite d’apôtres
qui travailleront au «renouvellement de toutes
choses dans le Christ».
Séduit par la presse catholique,
il avait le projet, rappelle le P. Bozidar Nagy, postulateur,
de revenir à Paris pour étudier le système
d’organisation de la Bonne Presse et de La Croix,
auquel il était abonné, en vue de la
fondation d’un grand journal catholique yougoslave.
Mais la mort vient bientôt interrompre
ce bel élan apostolique. Depuis sa jeunesse,
Ivan Merz souffre d’une inflammation chronique
de la cavité maxillaire. Une opération
s’impose. Il pressent qu’elle sera grave.
Il rédige son testament et sa dernière
profession de foi : « Je meurs en paix dans la
foi catholique. Le Christ était ma vie. La mort
m’est un gain. J’attends la miséricorde
du Seigneur et la communion définitive au très
saint Cœur de Jésus… J’ai touché
le but dans la communion au Seigneur mon Dieu. »
Il meurt le 10 mai 1928, il n’avait
pas tout à fait 32 ans. « C’est
un saint européen, témoigne Ivanka Jardin,
professeur de croate à Paris, et vice-postulatrice
de la cause. Par sa vaste culture, il était
proche des mondes germanique, latin et slave. En même
temps, c’était un grand patriote, très
amoureux de la Croatie. Profondément attaché
au Pape et à l’Église, il était
ouvert aux questions du monde et conscient du rôle
des laïcs. En ce sens, on peut dire qu’il
a été un précurseur du Concile
Vatican II. »
Bernard JOUANNO