Le Monde, 16/03/2005

REVUE DE PRESSE

POINT DE VUE
Serbie, Croatie, et dénis européens
par Louise Lambrichs

Les dénis européens sont solides. "Le Tribunal de La Haye a bouclé plus de dix années d'enquêtes sur les crimes commis en ex-Yougoslavie", titre Le Monde (2 mars). Est-ce ainsi que la Communauté européenne imagine construire en Europe une paix durable ?

La doxa actuelle, soutenue par le TPIY, consiste à juger à la même aune la Serbie et la Croatie (les deux étant accusées d'"entreprise criminelle commune") et à menacer cette dernière de retarder son entrée en Europe si elle ne livre pas le général Gotovina. Sous-jacente à ce point de vue dénégationniste qui oriente la politique européenne : l'idée qu'il ne faudrait pas "accuser tout un peuple" (entendre : le seul peuple serbe).

Mais qui songe à accuser un peuple ? C'est au contraire en refusant de reconnaître, au niveau international, ce qui s'est passé que ce peuple continuera d'être sur le terrain - et à juste titre, vu l'histoire récente - l'objet de toutes les méfiances et de toutes les haines, ce qui est évidemment très injuste pour les Serbes qui se sont opposés à la politique criminelle de Milosevic ! Et ce sont les tergiversations et les silences européens actuels qui entretiennent, dans les Balkans, ce panserbisme négationniste, raciste et guerrier qu'en 1933 Henri Pozzi comparait déjà au pangermanisme.

Les sécessionnistes serbes de la Krajina croate ne viennent-ils pas de créer, en Serbie, un "gouvernement en exil" sans que les politiques serbes ou européens y trouvent à redire ? Et le Parlement serbe n'a-t-il pas décidé, le 21 décembre, de donner les mêmes droits (pensions, médailles...) aux partisans antinazis et aux tchetniks collaborateurs qui entretiennent la légende de leur pseudo-résistance, sans qu'aucune chancellerie européenne réagisse ? Imaginerait-on, en France, reconnaître officiellement les mêmes droits à la Résistance et à la Milice ?

Non, bien sûr, il ne s'agit pas d'accuser l'ensemble d'un peuple dont Pozzi disait déjà en 1933 qu'il était peu et mal informé et se laissait mener par une clique criminelle. Mais l'histoire se répète... en se déplaçant. Cette guerre-ci fut une terrible répétition, articulée sur le déni (partagé par les Serbes et les dirigeants européens) de la responsabilité de la Serbie dans l'extermination des juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Les documents publiés ne témoignent-ils pas que la Serbie fut, en 1942, le premier pays d'Europe judenrein, avec l'aide très active de ses propres fonctionnaires ?

Confrontés à cette répétition, les politiques européens seraient fondés à prendre aujourd'hui une position plus tranchée, à défaut de quoi la guerre reviendra. Et ce n'est pas le traité constitutionnel qu'on nous propose qui l'empêchera. Souvenons-nous de la réconciliation franco-allemande : n'a-t-il pas fallu que l'Allemagne soit défaite et confrontée à l'horreur de la politique du IIIe Reich pour que le travail de remise en question puisse commencer et pour voir émerger des historiens d'une grande lucidité et d'une autre rigueur ?

Si nous voulons permettre une véritable réconciliation croato-serbe, il faut, de la même façon, reconnaître que la Croatie fut, au départ, agressée par un Etat serbe décidé à la "nettoyer ethniquement" pour agrandir son espace vital, suivant une longue tradition historique qui s'illustra avec une efficacité particulière pendant la seconde guerre mondiale. S'en référer uniquement, pour juger, au partage de la Bosnie imaginé par Franjo Tudjman et Slobodan Milosevic, comme le fait le TPIY, dont les statuts n'ont malheureusement pas retenu le crime contre la paix, c'est nier l'agression serbe et la destruction de Vukovar, nier le fait que l'Europe a fermé sa porte à la Croatie quand celle-ci l'appelait à l'aide, en juin 1991, nier le soutien accordé au départ par plusieurs Etats d'Europe à la Serbie de Milosevic, c'est nier enfin le caractère criminel de l'embargo sur les armes décidé par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui faisait naturellement le jeu de l'agresseur.

Si nous voulons que le travail du TPIY soit réellement fondateur d'une réconciliation balkanique et d'une nouvelle paix européenne, il est temps de lever les dénis serbo-européens actuels et historiques.

De même que la France de Jacques Chirac a reconnu le caractère criminel de la politique de Vichy, que Franjo Tudjman avait reconnu de longue date le caractère criminel de la politique oustacha d'Ante Pavelic, de même la Serbie actuelle devrait reconnaître le caractère criminel de la politique de Milan Nedic - général nationaliste qui établit en 1941 un régime de collaboration avec l'Allemagne nazie - et aider ainsi le peuple serbe à se débarrasser de cette mythologie suivant laquelle les Serbes auraient été des victimes "comme les juifs" et n'auraient jamais rien fait aux juifs.

Ce mythe et ce déni-là, largement utilisés par toutes les propagandes au cours de cette guerre, sont encore si solides chez l'immense majorité des Serbes qu'ils restent profondément inquiétants pour l'avenir. Car le déni produit de la répétition. Forts de ce savoir, l'Union européenne, le TPIY et l'ONU devraient se concerter pour en favoriser le plus rapidement possible la levée et permettre l'éradication du panserbisme, comme fut sapée, par un long travail collectif, la mythologie pangermaniste.

Favoriser l'émergence d'une nouvelle génération d'historiens en Serbie, le travail historique commun entre jeunes historiens serbes et croates, qui pourraient comparer ce qui s'est pratiqué à Jasenovac en Croatie (dont tous les Croates connaissent l'existence) et à Bajnica ou Sajmiste en Serbie (que la plupart des Serbes ignorent encore), voilà à quoi servirait la levée des dénis européens.

Si le TPIY ne contribue pas à lever ce déni auquel il participe, tout son travail risque de manquer son but. Après dix ans et 10 milliards d'euros dépensés, la communauté internationale n'est toujours pas parvenue à ce que les enfants serbes et croates apprennent une histoire commune. Est-ce ainsi que l'on prétend construire la paix, alors que les enfants nés à l'époque de Vukovar ont 14 ans, ceux nés à Srebrenica au moment du génocide, 10 ans ?

Ce n'est pas en fermant les yeux sur nos responsabilités dans les Balkans que nous construirons une Europe pacifiée. Ne l'oublions pas : la France a collaboré, et plutôt deux fois qu'une, malheureusement, puisque jusqu'à l'été 1995 elle a soutenu la Serbie. Elle n'a pas été la seule. Mais sous prétexte que nos gouvernants ne veulent rien en savoir, ni surtout en tirer les conséquences, nos enfants en viendront-ils à dire : jamais deux sans trois ?

Louise Lambrichs est écrivain

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