La Croix,
15/04/1999
Lhistoire croate mérite
le respect
Tribune des Lecteurs
Lambassadeur de Croatie en France proteste contre la manière dont le passé
de son pays est présenté par les médias
Les Croates
souffrent de voir leur histoire « positive » systématiquement méconnue
et leurs considérables efforts vers la paix non encouragés par ceux qui se disent
Européens.
Sil
est en effet indéniable que la barbarie oustachie du régime de
Pavelic; a laissé des blessures profondes en Croatie, ce ne serait
quune offense supplémentaire à ses victimes que de passer
sous silence le rôle majeur qua joué limportante Résistance
croate, en ne retenant du passé croate que les crimes oustachis.
La Croatie
tire sa légitimité, ses frontières, sa continuité et finalement sa place parmi
les pays sortis vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, de la République Socialiste
de Croatie, fondée dans le maquis par la Résistance des partisans croates, proportionnellement
bien plus importante que dans nombre dautres pays dEurope .
La Résistance
croate, que les parachutages britanniques soutinrent dès février 1942, fut le
fer de lance des 300 000 Partisans dirigés en 1943 par Tito, lui-même Croate,
et engagés dans la lutte armée dans lensemble de la Yougoslavie. Répartis
en 26 divisions (11 croates, sept bosniaques, cinq slovènes, deux serbes,
et une monténégrine), ceux-ci réussirent à gêner la progression nazie dans la
région, ce qui eut une influence considérable sur lissue même de la guerre
en Europe. La Croatie sest libérée de loccupant et de ses séides locaux
par ses propres forces. En Serbie, par exemple, on ignore souvent que cest
lintervention de lArmée rouge en octobre 1944 qui fut décisive. Mais
la Croatie y est parvenu au prix du renoncement à lattentisme, dun
sacrifice humain auquel peu de pays européens ont consenti, et surtout au prix
dune guerre civile qui a durablement divisé les Croates.
La Croatie
sefforce actuellement de poser un jugement adulte et juste sur les tragédies
de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier sur les crimes massifs perpétrés
par les oustachis à lencontre des Serbes. Mais cette tâche nécessaire est
rendue délicate, dune part, par linstrumentalisation politique au
détriment de la réalité historique dont a fait lobjet cette question dans
la Yougoslavie communiste. Elle lest dautre part, en raison du récent
conflit. Car les pires exactions dont les Serbes se sont rendus coupables ont,
à tort, aux yeux de certains, rendu difficile voire suspect le devoir de mémoire
en lhonneur des innocentes victimes serbes dans le passé. Cest précisément
cette spécificité quil convient davoir aujourdhui à lesprit
si lon souhaite voir ce processus aboutir.
Smiljan
Simac
Ambassadeur de Croatie en France (de 1995 à
1999)
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