L'Humanité,
01/06/2001
INTERNATIONAL
Les nationalistes
ont la peau dure
Un an après sa débâcle électorale, le parti
nationaliste HDZ refait surface. La soumission de Zagreb aux contraintes
de l'adhésion à l'UE nourrit le mécontentement social.
De notre envoyé spécial à Zagreb.
Laminés lors des élections générales de janvier 2000, les
nationalistes de la Communauté démocratique croate (HDZ), le parti
de l'ancien président Franjo Tudjman, devaient être définitivement
enterrés lors des élections municipales et régionales du 20 mai.
Mais les sondages se sont trompés. La HDZ est toujours vivante.
Les 3,8 millions d'électeurs ont placé les candidats de la HDZ en
tête dans 14 des 21 comtés. " Nous avons définitivement retrouvé
la confiance des électeurs croates ", s'est réjoui Ivo Sanader,
le président de la HDZ, restée aux commandes du pays pendant plus
de dix ans avant la mort de son leader Franjo Tudjman.
Cependant, grâce au jeu des alliances, les six partis de la coalition
gouvernementale de centre-gauche devraient contrôler 16 comtés,
en laissant 5 aux nationalistes alors qu'ils en dirigeaient 16 avant
les élections. La HDZ a obtenu ses meilleurs résultats dans les
zones habitées en majorité par des réfugiés croates venus du reste
de la Yougoslavie. L'élection dans la capitale a également montré
l'influence de la droite nationaliste. Si le Parti social-démocrate
(SDP) du premier ministre Ivica Racan a réuni 27 % des voix, le
bloc nationaliste a obtenu 20 % des voix et l'Association pour l'identité
et la prospérité croate, un mouvement ultranationaliste dirigé par
Miroslav Tudjman, fils de l'ancien président, a recueilli 7,5 %
des suffrages. " Aucun des partis n'est absolument vaincu ou vainqueur
mais la HDZ revient et se consolide ", analysait, le lendemain des
résultats, le quotidien indépendant Jutarnji List.
" Le gouvernement semble payer le prix de sa détermination à faire
des réformes et non pas son mauvais bilan économique ", a déclaré
à l'agence de presse Reuters un économiste souhaitant garder l'anonymat.
" Ce gouvernement travaille sur l'économie, mais les mesures qu'ils
prennent sont impopulaires et ils ont perdu du terrain, par exemple,
chez les retraités et les fonctionnaires, qui sont affectés par
les réformes ", a-t-il poursuivi. La veille des élections, 80 %
des employés des postes croates ont fait grève. Ils réclamaient
des négociations sur la décision du gouvernement de diminuer de
10 % les salaires dans les entreprises publiques dans un souci d'économie
budgétaire.
Les objectifs affichés il y a un an par le gouvernement Racan étaient
la fin de l'isolement international et le redressement économique.
Si les succès diplomatiques (meilleure collaboration avec le TPI,
amélioration des relations avec la Bosnie-Herzégovine, adhésion
au Partenariat pour la paix de l'OTAN...) sont indiscutables, le
second objectif est un échec. Selon les syndicats, quatre Croates
sur dix vivent avec moins de 30 francs par jour. Le taux de chômage
est de 23 %. Le gouvernement avait promis la création de 200 000
emplois. Résultat : 50 000 emplois ont été supprimés lors des "
100 jours " du gouvernement. " Le gouvernement a annoncé que 300
entreprises nationales allaient être mises en faillite, ce qui signifie
40 000 licenciements supplémentaires (...) Il y a désormais plus
de retraités que d'actifs dans le pays, et pas de mécanisme protégeant
ceux qui perdent leur emploi ", se plaignait, en juin dernier, Boris
Kunst, président de l'association des syndicats de salariés croates
(URSH).
Dans la sorte de fuite en avant qu'a engagée la Croatie pour se
soumettre au mieux aux critères d'adhésion de l'UE dans l'espoir
d'une intégration rapide, c'est-à-dire en 2006, on peut craindre
une nouvelle augmentation du nombre de laissés-pour-compte. Un accord
de stabilisation et d'association passé entre l'UE et la Croatie,
il y a deux semaines, fixe les obligations de la Croatie en matière
de réformes économiques libérales, commerciales, politiques et légales
pour une ouverture éventuelle de la procédure d'adhésion. Cette
course vers l'UE, sans concertation avec le mouvement social, pourrait
s'avérer très contre-productive et faire le jeu des nationalistes.
Le premier ministre Ivica Racan semble l'avoir compris. Il vient
d'annoncer qu'il était prêt à convoquer des élections législatives
anticipées s'il n'arrivait pas à résoudre les problèmes économiques
et sociaux qui frappent le pays.
D.R. |