Le
Figaro,
29/04/2004
L'EUROPE
À 25
Pour
la Croatie, l'adhésion est une priorité
Zagreb,
qui espère intégrer l'Union en 2007,
a pris en compte la nécessité d'une bonne
coopération avec le TPI de La Haye
Par
Isabelle Lasserre
Indépendante depuis seulement
treize ans, la Croatie est en bonne voie pour intégrer
l'Union européenne en 2007, en même temps
que la Roumanie et la Bulgarie. Depuis la mort du président
nationaliste Franjo Tudjman, en 1999, Zagreb a fait
de l'intégration à l'UE sa priorité
numéro un. En quatre ans, le pays a renoué
avec la croissance économique. L'inflation a
été maîtrisée. Et son PNB
est désormais trois fois supérieur à
celui des autres pays des Balkans.
La Commission européenne a émis
la semaine dernière un avis
favorable à la candidature de la Croatie, première
étape vers l'adhésion. «Nous pensons que
la Croatie remplit les critères politiques» de
Copenhague, a affirmé le commissaire aux Relations extérieures
Chris Patten. Qu'elle a réussi tous les «tests»
imposés par l'Union et que sa situation économique
est aujourd'hui «beaucoup plus favorable» que
celles de la Roumanie et de la Bulgarie.
En premier lieu, la coopération
avec le Tribunal pénal international de La Haye,
considérée comme une condition sine
qua non de l'adhésion par l'Union. Depuis
l'entrée en fonctions du gouvernement conservateur
d'Ivo Sanader en décembre, Zagreb a facilité
la reddition de huit inculpés. Ironie de l'histoire,
c'est le HDZ, l'ancien parti du président nationaliste
Franjo Tudjman, qui est en train de réussir
ce que le précédent pouvoir social démocrate
n'avait pas pu faire, de peur des réactions
de la droite nationaliste.
Seule ombre au tableau, le cas d'Ante
Gotovina, ancien général de l'armée croate,
en fuite depuis son inculpation pour crimes de guerre, en juillet
2001, pour son rôle dans le massacre de Serbes de Croatie.
A Zagreb, le journal indépendant Jutarnji List
a accusé les services secrets croates de protéger
Gotovina, qui reste un héros dans son pays. Mais d'autres
affirment que cet ancien de la légion étrangère,
qui possède un passeport français, se cache en France.
Zagreb craignait que la Commission
lui barre la route de l'intégration tant que
le problème ne serait pas réglé.
Jugeant sa coopération avec le TPI insuffisante,
le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont d'ailleurs restés
réservés sur l'intégration de
Zagreb. «Je pense que l'UE ne veut pas créer
de précédent dans les Balkans. La Macédoine,
la Serbie et le Monténégro rentreront
un jour dans l'Europe. Il faut régler les problèmes
de criminels de guerre avant et faire en sorte que
ce qui s'applique à l'un s'applique aussi à
l'autre», explique Jean Dominique Giuliani,
le président de la Fondation Schuman. Mais le
TPI a rendu un avis favorable sur la coopération
de Zagreb.
Second test, le retour de la minorité
serbe, qui a quitté le pays au moment de la
reconquête de la Krajina par Zagreb, en 1995.
«Ce retour est lent et difficile, mais il
est possible. Il a d'autant plus de chances de se faire
que la minorité serbe se dit prête à
collaborer avec le nouveau gouvernement»,
estime Jacques Rupnik, spécialiste des Balkans
au Ceri.
Également au rang des exigences
de l'Union, l'attitude de Zagreb à l'égard
de la Bosnie-Herzégovine voisine. Le projet
de Franjo Tudjman, un partage de la Bosnie avec la
Serbie de Slobodan Milosevic est tombé dans
les oubliettes. Certains courants nationalistes rêvent
toujours d'un rapprochement avec l'Herzégovine,
majoritairement peuplée de Croates. Mais ils
n'ont plus le vent en poupe. La Commission s'est aussi
félicitée du respect de l'indépendance
judiciaire et de la volonté du gouvernement
de résoudre son conflit frontalier avec la Slovénie.
L'Union européenne garde un
oeil sur les développements de la politique
croate depuis le retour au pouvoir du HDZ (Communauté
démocratique croate) de Franjo Tudjman, le parti
au pouvoir pendant la guerre. Sanader, le chef du nouveau
gouvernement, issu de l'aile modérée
du parti, affirme avoir réformé le HDZ
et l'avoir purgé de ses éléments
les plus radicaux. «Le nationalisme croate
des années 90 était un nationalisme de
la patrie en danger. Aujourd'hui, c'est un nationalisme
rassasié. Qui cherche davantage une reconnaissance
que de nouvelles conquêtes territoriales»,
affirme Jacques Rupnik à l'occasion d'une conférence
à l'Ifri (Institut français des relations
internationales).
Les signes d'apaisement donnés
par Zagreb depuis l'arrivée du nouveau pouvoir
confirment cette analyse. Pour la première fois
depuis la guerre, un responsable politique, en l'occurrence
Sanader, a assisté au Noël orthodoxe serbe
à Zagreb en exhortant les représentants
de cette minorité à revenir en Croatie.
Connu pour ses déclarations antiserbes sous
Tudjman, le président du Parlement Vladimir
Seks affirme aujourd'hui que «le temps des
malentendus et des fausses idées appartient
au passé».
Sanader a également inauguré
une exposition photo consacrée au ghetto juif
de Varsovie en 1943. Une autre manière de refermer
les blessures du passé de la Croatie, qui s'était
accommodée pendant la guerre d'un régime
oustachi pronazi. Même l'Eglise catholique s'y
met. Elle s'est récemment jointe aux efforts
du gouvernement pour réduire au silence des
mouvements et des chanteurs pronazis jusque-là
guère inquiétés.
Comme en Macédoine, où
la carotte européenne a permis de juguler une
guerre naissante, l'attirance de l'Union européenne
a poussé Zagreb à se mettre en règle
avec les critères occidentaux. «La
Croatie ne veut rien faire qui puisse compromettre
son adhésion à l'UE. Elle a pris le tournant
européen et effectue les adaptations nécessaires»,
estime Jacques Rupnik.
29/04/2004
LE FIGARO
Zagreb
veut être un modèle pour les Balkans
Propos
recueillis par Isabelle Lasserre
«Nous
avons dissocié les aspects politiques
des aspects juridiques» souligne le ministre
des Affaires étrangères croate, Miomir
Zuzul, pour expliquer que le HDZ, (l'ex-parti de Franjo
Tudjman), coopère davantage avec le TPI que
l'ancien gouvernement social-démocrate. «En
tant que politiciens, nous pouvons être en désaccord
avec les inculpations du TPI, souligne-t-il,
mais notre priorité étant d'entrer dans
l'Union européenne, nous assumons nos responsabilités
et respectons les règles qu'on nous impose.
Aujourd'hui les Croates sont assez mûrs pour
le comprendre et l'accepter.»
Interrogé
par Le Figaro sur les récentes violences au
Kosovo ainsi que sur les blocages politiques en Serbie
et en Bosnie, le chef de la diplomatie croate déclare
que «la Croatie, le jour où elle sera
intégrée dans l'Europe, servira de modèle
pour toute la région». Selon lui,
«il faut créer les conditions qui permettront
aux pays des Balkans de réussir leur avancée
vers l'Union. Il n'y a pas d'autre solution qu'une
Europe unie, même si certains pays balkaniques
ne rejoindront l'Europe que dans dix ou quinze ans».
Enfin, il ajoute que «Zagreb a intérêt
à ce que les Balkans soient stabilisés».
«Notre message, conclut-il, c'est qu'il
ne faut jamais dévier de son objectif et promouvoir
des leaders avec des visions.»
LE
FIGARO
L'Europe
s'agrandira encore en 2007
Deux
pays, la Roumanie et la Bulgarie, ont entamé
des négociations d'adhésion et d'autres
s'apprêtent à le faire
Arielle
Thédrel
Jusqu'où s'étendra
l'Union européenne ? Alors qu'elle réalise
son cinquième élargissement, de nouveaux
candidats se bousculent déjà à
ses portes. En tête du peloton, la Roumanie et
la Bulgarie. Les deux pays ont entamé une course
contre la montre pour boucler à la fin de l'année
les négociations d'adhésion et intégrer
l'UE en 2007, mais ils peinent à achever les
réformes institutionnelles exigées par
Bruxelles.
La Croatie en profite pour afficher
ouvertement son ambition de rattraper Sofia et Bucarest.
Zagreb devrait démarrer les négociations
avant la fin de l'année pour adhérer,
peut-être, en 2007. Les trois autres anciennes
républiques yougoslaves – Macédoine,
Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro
– rêvent d'en faire autant, mais le chemin
pour elles sera beaucoup plus long. Skopje a présenté
le 22 mars sa candidature tandis que Sarajevo et Belgrade
attendent toujours d'ouvrir des pourparlers sur l'Accord
de stabilisation, condition préalable à
des perspectives de négociations d'adhésion.
La Turquie, dont la candidature a été
retenue dès 1999, a engagé des réformes
législatives et constitutionnelles sans précédent,
mais son intégration divise plus que jamais
les Européens. L'UMP en France, la CDU en Allemagne
ont fait ouvertement savoir qu'ils étaient hostiles
à son adhésion, lui préférant
la mise en place d'un «partenariat privilégié».
Résumant l'opinion de bon nombre d'Européens,
Alain Juppé, président de l'UMP, estime
qu'Ankara, tout comme «les pays proches»
de l'Union européenne «n'ont pas vocation
à intégrer l'UE sous peine de la dénaturer».
Les réticences de leurs opinions
publiques incitent bon nombre de dirigeants européens
à se réfugier derrière le rapport
de la Commission, qui recommandera ou non cet automne
d'entamer des pourparlers. Mais même en cas de
réponse positive, nul n'envisage sérieusement
une adhésion turque avant une dizaine d'années.
Le débat est également
ouvert pour ces autres «pays proches» dont
parle Alain Juppé : ceux du Maghreb et de l'ancien
bloc soviétique. Au sud, la Tunisie ou le Maroc
redoutent la concurrence des nouveaux pays membres
de l'UE favorisés en termes d'aides par Bruxelles.
La conférence de Barcelone qui s'est tenue en
1995 prévoit de créer progressivement,
d'ici à 2010, une zone de libre-échange.
Mais l'objectif se révèle difficile à
atteindre.
A l'est, l'Ukraine, la Biélorussie,
la Moldavie ou la Géorgie balancent entre une
Europe inaccessible et une Russie dominatrice, au risque
de sombrer définitivement dans une «zone
grise» ravagée déjà par
la pauvreté, la corruption et les filières
mafieuses. Tout comme pour les pays du Maghreb, leur
adhésion est pour l'heure hors de question,
mais la fragilité de ces pays en délicatesse
pour la plupart avec la démocratie et les droits
de l'homme pose d'ores et déjà des problèmes
de sécurité aux Européens. La
maîtrise de l'immigration, la lutte contre la
criminalité ou le terrorisme nécessiteront
une coopération renforcée pour empêcher
que le fossé économique ne se creuse
et débouche sur une instabilité politique
à hauts risques pour l'Europe.
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