26/10/2001
CHANTS MÉDIÉVAUX
La
Vision de Tondale
Déjà
célèbre en France pour ses interprétations remarquées
de chants glagolitiques croates, l'ensemble vocal féminin Dialogos, dirigé
par Katarina Livljanic, donne, à l'occasion du 10e anniversaire de l'AMCA,
un concert combinant musique sacrée des chantres dalmates au Moyen Âge
et pièces glagolitiques, mises en relief par le texte de la Vision de Tondale.
La
musique des chantres dalmates au Moyen Age
Après
Terra adriatica, l'ensemble féminin de la Compagnie
Dialogos propose une nouvelle étape de sa recherche sur des répertoires
médiévaux très peu connus. Concentré cette fois uniquement
sur la côte croate, le pays qui reçut au XIe siècle la marque
du grand couteau de schisme entre Rome et Byzance, ce programme essaie d'explorer
les couches plus profondes de ce qu'on appelle le chant glagolitique, comme un
des visages de la musique croate au Moyen Age. Ce répertoire liturgique
du rite romain, chanté cependant en langue vernaculaire locale au cours
du Moyen Age, fut conservé, souvent sans notation musicale, dans les livres
en alphabet glagolitique,
propre à la Croatie médiévale.
Les manuscrits
musicaux médiévaux qui transmettent les mélodies de la liturgie
glagolitique sont rares. En revanche, nous possédons des textes liturgiques
en alphabet glagolitique, et quelques notations musicales qui témoignent
de l'existence de ce chant dans la région au moyen age. Le fait les plus
fascinant est l'existence même des livres liturgiques entièrement
écrits en langue vernaculaire (slavon de rédaction croate) dans
le monde de la liturgie latine occidentale.
Or, la particularité du répertoire glagolitique est sa vie dans
la transmission orale qui nous la fait parvenir, jusquà aujourdhui,
dans de nombreuses localités sur la côte croate, sur les îles,
en Istrie.
L'ENSEMBLE
VOCAL |
Dialogos
Siri Johansen
Christine Laveder
Lucia Nigohossian
Cornelia Schmid
Sandrah Silvio
Aurore Tillac
Katarina Livljanic, direction
|
Ce travail
est donc un travail de reconstruction musicale : les connaissances sur le chant
grégorien et bénéventain en Dalmatie médiévale,
les manuscrits qui transmettent ces répertoires, les manuscrits glagolitiques
et la survivance de ces répertoires dans la tradition orale ont guidé
les recherches sur la sonorité de ce programme.
Mais,
remontons le temps pour comprendre ce curieux phénomène musical
et liturgique :
La ville de Zadar
reçut en 1177 une visite
papale un peu inattendue. Pour échapper
dun orage sur la mer, Alexandre III arriva à
Zadar, accueilli par le peuple chantant "in eorum
sclavica lingua", comme le témoigne son
chancelier, le cardinal Boson. Un peu plus tard, en
1248, le pape Innocent IV accepte, prié par
l'évêque de Senj Filip, l'usage des livres
en écriture glagolitique et de la langue croate
dans la liturgie, dans les régions où
ils étaient déjà accoutumés.
Dans sa demande Filip mentionne que cet alphabet est
un héritage qui remonte à saint
Jérôme et qu'il est utilisé
dans la liturgie. Il sagit bien-sûr dune
légende - l'écriture glagolitza date
du 9e s. et est liée à saint Cyrille
et Méthode qui l'aurait composée avant
le voyage dévangélisation parmi
les slaves de Moravie.
Comme les
rapports avec lautre côte de la mer Adriatique
furent très forts et la Croatie appartenait au rite romain, la présence
du chant grégorien dans la liturgie locale fut aussi très importante,
surtout dans les villes. Dès les Xe et XIe siècles, les livres liturgiques
latins avec notation neumatique sont écrits dans les scriptoria de la côte
dalmate, par les mêmes mains des scribes qui copiaient les livres glagolitiques.
Cest
justement cette ligne de frontière entre les influences latines et les
racines traditionnelles qui nous intéresse dans ce programme. La côte
croate est très longue. Bordée de nombreuses îles, ces petits
mondes isolés sur lesquels les gens parlent parfois des dialectes différents
malgré la distance qui leur permet de crier d'une rive à l'autre
et de s'entendre, elle cache des mondes musicaux très différents.
|
L'ensemble
vocal Dialogos |
Nous confrontons
ainsi les mélodies dIstrie (la messe traditionnelle du village Mune),
rudes dans leur polyphonie primitive, les lectures très proches des tons
grégoriens (la lecture de lApocalypse de Poljica) avec des polyphonies
plus « suaves » du sud croate.
Les pages
choisies du répertoire glagolitique de quelques localités différentes
sont mises dans ce programme dans le contexte des répertoires grégoriens
et polyphoniques parents. Il ma semblé très précieux
de souligner ces deux facteurs de la vie liturgique en Dalmatie et Istrie au Moyen
Age. Ainsi, le langage musical de ces polyphonies est souvent primitif, émanant
presque des pratiques musicales traditionnelles et nous reconnaîtrons certaines
sonorités très proches entre les pièces glagolitiques et
celles-ci.
Et tout
au long de ce parcours musical nous reconstruisons une histoire, telle quelle
aurait pu être contée aux hommes médiévaux dans des
églises dalmates, au travers dun texte conservé dans le recueil
croate Vartal du XVIe siècle. Il sagit de la Vision de Tondale, récit
de lhomme qui visite lenfer guidé par un ange, qui se perd
sur les chemins inconnus, qui traverse les ponts dans lobscurité,
et qui crie sans cesse « pourquoi sommes-nous venus ici ? »
Mais lidée
de ce programme nest pas de faire entendre le chant glagolitique tel quil
résonne encore aujourdhui parmi les chantres traditionnels. Si lon
avait ce but, il aurait été beaucoup plus naturel denregistrer
tout simplement les chantres des îles dalmates. La vision de Tondale est
un voyage vers le chant glagolitique dautrefois, dans les périodes
où les chantres luttaient pour leur langage et musique, quand les mêmes
églises possédaient les manuscrits latins et glagolitiques. Nous
nessayons pas dimiter les chantres daujourdhui, nous essayons
de réveiller les chantres médiévaux, ces hommes doués
dun curieux bilinguisme musical. Cependant, posséder un manuscrit
médiéval de chant glagolitique, ou l'édition de cette musique,
est comme de retrouver le manuel de quelqu'un qui parlait, il y a des siècles,
une langue qui nous est étrangère - nous aurions le livre, mais
nous aurons perdu le propriétaire du livre, et nous ne connaîtrons
jamais la mélodie de cette langue dans son état originel.
|
L'album Terra Adriatica de Dialogos a été élu Diapason
d'or en 1999. |
Le chant
glagolitique est comme une « musique ancienne » qui na jamais
eu le temps de devenir ancienne car elle résonne toujours dans les ruelles
et les églises dalmates durant des siècles, sans être jamais
obligée de se taire. Le répertoire que nous chantons fait penser
aux moments quon passe à regarder les corps célestes, éloignés
de nous plusieurs centaines dannées de lumière. Nous voyons
en fait une image « historique » des étoiles à cause
de la distance et du voyage que leur lumière doit faire pour arriver à
nos yeux. Lexistence du chant glagolitique sur la côte dalmate est
peut être un phénomène semblable. La sonorité que nous
entendons est à la fois présente et éloignée, comme
une vieille photographie des ancêtres qui ont survécu à travers
les siècles sans nous lavoir jamais avoué.
Katarina
Livljanic
CONCERT
UNIQUE |
Vendredi
26 octobre à 20 h 30.
Eglise Saint-Louis-en
l'Île - 19 bis, rue St-Louis-en-l'Île - 75004
Paris.
Prix des billets (vente sur place) : 100 F (Tarif réduit : 50
F).
Organisé par AMCA, Association
des anciens étudiants des universités croates, à l'occasion
du 10e anniversaire de sa fondation.
|
Programme
La
Vision de Tondale
La musique des chantres dalmates au Moyen Age
Narodna
misa : Gospodin, smiluj se
(Messe traditionelle : Kyrie)
(Mune, Istrie, transcription G. Doliner)
T.
Ia
La Vision de Tondale - section I
(Vartal, ms. De P. Lucic, 16e s.)
Venite,
benedicti patris mei
Introït grégorien
T.Ib
Qui
habitat in adiutorio altissimi
Traît grégorien
T.II
Narodna misa : Veruju
(Messe traditionelle : Credo)
(Mune, Istrie, transcription V. Fajdetic, adaptation K.
Livljanic)
T.
III
Gospin plac
(Lamentations de la Vierge)
(Vrbanj - Hvar, chant glagolitique, transcription de K.
Livljanic)
T.IV
Narodna misa : O janjce Bozji
(Messe traditionelle : Agnus Dei)
(Mune, transcription V. Fajdetic, adaptation K. Livljanic)
T.V
Dodji
duse presveti
(Veni sancte spitirus)
(Séquence glagolitique de Poljica)
T.VI
+ Salve regina
(Zadar, Monastère de saint François, cantuale
de 1645)
Slava
(Gloria)
(Chant glagolitique de Poljica, province de Split, Croatie,
Transcription de S. Stepanov,
dans : Le chant glagolitique à Poljica, près de Split, JAZU, Zagreb
1983)
Citanje knjige Otkrivenja
(Lecture de l'Apocalypse)
(Chant glagolitique de Poljica)
T.VII
Narodna misa : Svet
(Messe traditionelle : Sanctus)
(Mune, transcription V. Fajdetic)
Gospodine,
pomiluj
(Kyrie eleison)
(Chant glagolitique de Poljica)
|