16-17/03/2002
PRINTEMPS DES POÈTES
Poésie
croate
Poésie française en
croate
La Conciergerie
devient le Palais des Poètes
Dans
le cadre du 4e Printemps des Poètes qui se tient les 16
et 17 mars à la Conciergerie à Paris, un stand
consacré à la production poétique croate
contemporaine permettra aux amateurs de venir la découvrir
aussi bien en version originale qu'en français, notamment
par les lectures qui y seront données et par les ouvrages
exposés. Ce panorama sera complété par un
aperçu plus inattendu de la poésie française
traduite en croate.
Pour
la quatrième édition du Printemps des Poètes,
la Conciergerie, sur l'île de la Cité, ouvre de nouveau
les 2400 m2 de ses salles chargées d'histoire aux poètes,
aux éditeurs, aux revues et au grand public pour de multiples
animations : lectures, signatures d'auteurs, ateliers d'enfants
dans le pavillon des Cuisines de Saint-Louis. La « salle
des gens d'armes », ancien réfectoire et salle de
festin, accueille les stands d'éditeurs et de revues ;
des podiums sont montés dans les quatre cheminées
monumentales.
Cette
année, pour la première fois, le public aura la
possibilité de venir y découvrir la poésie
croate, aussi bien en version originale qu'en français
(Radovan Ivsic, Zvonko
Makovic, Kresimir Bagic, Hrvoje
Pejakovic, Slavko Mihalic, Vesna
Parun...), par les lectures qui y seront données, dimanche
17 mars à 12h30, Salle des Gardes, ainsi qu'à
17h "Podium - Rue de Paris". Ce panorama sera complété
par un aperçu de la poésie française traduite
en croate (Henri Meschonnic, Jean-Michel Maulpoix, Valérie
Rouzeau...).
Après
le 19e Marché de la Poésie
qui s'est tenu à Paris du 21 au 24 juin 2001, et qui a
permis au public amateur de découvrir la poésie
croate contemporaine, le 4e Printemps des Poètes sera l'occasion
d'approfondir ce voyage au sein du Parnasse croate, grâce
notamment aux nombreux ouvrages rassemblés pour l'occasion
et exposés au stand "Poésie croate - Poésie
française en croate" animé par Vanda Miksic,
auteur d'une traduction en français d' "Examen
du Silence", recueil de poèmes du poète croate
Slavko Mihalic et par Brankica Radic, traductrice de "Ville
interdite" de Hrvoje Pejakovic en français.
POÉSIE
ČAKAVIENNE |
En marge du Salon des Poètes qui se tient à
la Conciergerie, le lectorat
de croate à la Sorbonne, dirigé par le professeur
Zoran Bundyk, propose un voyage sémantique à
la rencontre du parler des îles et de certaines régions
côtières de Croatie. Il accueillera, à
l'occasion de la Semaine de la Poésie, Tatjana Radovanovic
qui donnera un récital en croate de ses poèmes,
écrits en dialecte ċakavien, rassemblés
dans son recueil "Živo stinje" [Roche vive].
Les amateurs découvriront dans sa poésie un
hymne aux senteurs méditérranéennes,
aux couleurs des paysages, à la rusticité des
campagnes dalmates.
Centre universitaire Malesherbes
(Paris IV-La Sorbonne) - 108 bd Malesherbes,
Paris 17e. Mercredi 13 mars 2002 à 15h30. Entrée
libre. |
Hormis
des ouvrages consacrés à la production poétique
croate, le stand proposera au public un survol aussi inattendu
qu'original des poètes français traduits et publiés
en croate, notamment Victor Hugo, Charles Baudelaire, Saint-John
Perse, André Frénaud, Jacques Prévert, parmi
d'autres.
Ce
Printemps des Poètes sera par ailleurs l'occasion d'annoncer
la parution prochaine d'une anthologie de la poésie croate
contemporaine intitulée "Points d'exclamation"
où une cinquantaine d'auteurs seront réunis par
Tonko Maroevic, ainsi que celle de quelques recueils individuels
(Makovic, Bagic,...).
Conciergerie - Île de la Cité, 2 boulevard
du Palais, Paris 1er. www.monum.fr
Samedi 16 mars de 10 h à 21 h
Dimanche 17 mars de 10 h à 19 h.
Inauguration : vendredi 15 mars de 19 h à 23 h.
Entrée libre.
Voir
aussi le site de l'association du Printemps des Poètes
www.printempsdespoetes.com
Radovan
Ivsic
Poète et auteur dramatique bilingue.
Né en 1921 à Zagreb, depuis 1954 vit à Paris.
Avec André Breton, il a participé à toutes
les manifestations du mouvement surréaliste. Dans son pays
natal sa poésie a été interdite pendant l'occupation
puis dès 1945 par le régime titiste. Après
vingt ans de silence sur lui en Croatie, plusieurs recueil ont
été publié à partir de 1974. En France
son poème Mavena est paru en 1960 illustré par Miró,
puis en 1967 Le Puits dans la tour illustré par
Toyen, et en 1974 Autour ou dedans.
Le puits
dans la tour
VIII
Près
de la fenêtre ouverte, elle, sur le drap blanc, nue, le
soleil à travers les feuilles jouant sur son corps étendu.
C'est l'heure de la première cigarette de la journée.
Soudain, une goutte, rouge comme la joie, et d'autres après.
- Tu vois, dit-il, c'est comme dans les contes de fée de
Westphalie : c'est sur les lèvres des plus belles filles
que naissent les rubis.
Pour la première fois, elle faillit lui dire je t'aime,
mais se reprit et garda le silence. Lorsqu'il fut tout près
d'elle, avec la rapidité de l'hermine, elle lui entailla
la peau du bras avec son ongle, jusqu'au sang.
- Tes prunelles deviennent toutes grandes et noires, répondit-il.
Il y a trop de lumière.
- Et il ferma les volets.
traduit
par l'auteur
Zvonko
Makovic
Né en 1947 à Budrovci, en
Slavonie (est de la Croatie). Poète, essayiste, critique
littéraire et des arts plastiques, scientifique, il enseigne
l'histoire de l'art à la Faculté
des Lettres de Zagreb. Rédacteur
de différentes revues littéraires. Il a été
récompensé par plusieurs prix prestigieux pour sa
poésie en Croatie et est l'un des poètes les plus
importants de sa génération.
Porgy & Bess
band
mentir, pourquoi
pas. de toute façon les mots sont
arbitraires ; les mots qui ne sont pas les choses,
les mots qui ne sont pas les mots. mentir, pourquoi pas :
avec des mots. je me lève et m'approche de la table : je
ne me suis pas levé,
de la table ne me suis pas approché. le bouton du poste
de radio
dehors ne peut sortir : si on appuie dessus, alors oui.
les mots et
les mots, mentir et ne pas-mentir. pourquoi
ne mentirais-je pas ? pourquoi ne prononcerais-je pas n'importe
quel mot
qui m'obsède en cet instant et je n'y pense même
pas -
en le prononçant -assurément je n'y pense pas. pourquoi
:
parler (je ne veux pas dire) et parler et pas
parler. " parler " dans les trois cas est un mensonge.
mentir, pourquoi
ne pas mentir. j'ai commencé à prononcer
et j'ai déjà menti : le parfait n'est pas le présent.
le présent est le parfait. les mots ne sont pas les mots.
les mots
sont les mots. mentir, pourquoi pas ? j'ai arrondi la bouche
comme si j'allais dire : grenier. je n'ai pas dit, la bouche
est trahie : mentir, pourquoi pas. mentir aux mots,
en tirer des
mensonges. les rouler. cracher dessus,
en jouant la tendresse. les mots ne sont pas les mots.
bâtard de la lèvre, fumée de la cavité
buccale, lie
de la mémoire bavarde : les mots (mentir, pourquoi pas
?)
rouler de la langue sur les dents, des dents sur les gencives,
puis dans le tourbillon : mentir, pourquoi pas ?
traduit
du croate par Brankica Radic
Kresimir
Bagic
Né en 1962 à Gradiste, en
Slavonie (est
de la Croatie). Poète,
écrivain, essayiste, théoricien, critique, enseigne
la stylistique à la Faculté des Lettres de Zagreb.
A enseigné la langue croate à la Sorbonne. Auteur
du panorama de la prose croate contemporaine Les facteurs du
sommeil léger.
L'Ascension
Subitement
la montagne, haute,
blanchie par la neige,
se dresse devant moi.
Je la regarde et elle me dit: grimpe!
Et moi, je grimpe.
Je rassemble la neige.
J'offre à la blancheur des flocons de voix.
A chaque mouvement augmente
le rideau muet des cieux.
Lorsque, enfin, j'atteins le sommet,
je m'y allonge pour me reposer
et m'incline devant la couronne des cieux.
Mais la montagne ne me laisse pas de répit, elle dit:
je me suis égarée en toi,
maintenant c'est toi la montagne.
Et elle se froisse en un éclair,
disparaît sous terre,
en un grain de poussière.
Hébété, je reste suspendu en l'air
comme une vulgaire étoile dans un théâtre
de marionnettes.
Traduit
du croate par Marin Andrijasevic
Hrvoje
Pejakovic (1960-1996)
Poète,
essayiste et critique croate, né à Zagreb. Figure
littéraire et critique incontournable dans la production
culturelle croate, il a publié trois recueils de poèmes.
Drugacije, jednostavno (« Autrement, simplement
») en 1984, Zabranjeni grad (« Ville interdite
») en 1987 et Sjeverni ugao (« Angle du
Nord ») en 1992. « Ville interdite
», traduit du croate par Brankica Radic, est son premier
recueil de poèmes paru en France.
Dans le train vers le sud
Elle
poussera un cri d'effroi, rêvant la certitude
D'être dans le train qui ne s'arrête jamais
Milan Milisic: " Train de nuit "
" Et
pour toujours, pour toujours, ici ? " murmures-tu effrayée,
le front appuyé contre la vitre sale. Quoi d'autre pourrais-je
te dire sur ce train que tu ne saches déjà ? La
fatigue éteint chaque nom, le souffle des lointains (promis,
compromis) moisit entre les pages du livre. Ici, ma chère,
au milieu du plastique, du métal, du ricanement des roues,
ici, s'étouffant, visage vers le mur. Jamais n'a existé
le vent de nuit, jamais l'endroit où se croisent les parallèles.
Quoi d'autre pourrais-je te dire ? Quoi d'autre pourrais-je te
dire?
traduit
du croate par Brankica Radic
Slavko
Mihalic
Né
à Karlovac en 1928. Figure emblématique de la poésie
croate contemporaine et fondateur de plusieurs revues littéraires,
Slavko Mihalic a déjà été traduit
en 25 langues, notamment en français ("Examen
du Silence", Zagreb, 1997., trad. Vanda Miksic), et son uvre
s'est vue récompensée par de nombreux prix. Il est
actuellement rédacteur en chef de la revue littéraire
FORUM et préside la Société des écrivains
croates.
Maître, éteins la chandelle
Maître,
éteins la chandelle, les temps sérieux sont à
la porte.
De nuit plutôt compte les étoiles, gémis pour
la jeunesse.
Ta parole indocile pourrait s'arracher de sa laisse.
Plante l'oignon dans ton potager, fends le bois, débarrasse
le grenier.
Il est mieux que personne ne remarque tes yeux étonnés.
C'est ton métier: tu ne peux rien taire.
Si tu n'y résistes pas et une nuit reprends la plume,
maître, sois raisonnable, ne t'occupe pas de prophéties.
Tente de noter le nom des étoiles.
Les temps sont sérieux, on ne pardonne rien à personne.
Seuls les clowns savent comment s'en tirer:
ils pleurent ayant envie de rire et ils rient quand de pleurs
leur
visage est déchiré.
traduit
du croate par Vanda Miksic
Vesna
Parun
Née en 1922 sur une île au
large de Sibenik, Vesna Parun, échappe de toutes parts
aux limites arbitrairement assignées à la poésie
féminine, en dépit de la nuance amoureuse de son
lyrisme. C'est l'un des plus grands poètes apparus en
Croatie depuis la seconde guerre mondiale, l'un de ceux dont
le ton est immédiatement identifiable car il ne dépend
pas d'un système mais résulte de l'alliance naturelle
entre une vision et une voix. Le premier recueil de Vesna Parun,
"Aubes et tempêtes" (1947), né de la
confrontation tragique entre la jeunesse et la guerre, imposa
d'emblée le nom de son auteur. Par la suite, elle devait
publier de nombreux volumes, passant peu à peu du lyrisme
foisonnant à une élégie plus elliptique,
de la rencontre du moi et de l'événement avec
celle de l'individu et de l'amour. Sa poésie, sensible
et forte, empreinte d'une sensualité exceptionnelle qui
se communique aussi bien aux choses qu'à l'Histoire,
exprime tous les sucs de l'instant menacé.
Ephèbe
endormi
Sur la plage
où l'ombre de la baie s'allonge
Il est couché tel une vigne en son clos,
Solitaire et tourné du côté des vagues.
Son visage est empreint d'une grâce grave,
Le vent de midi à ses traits se caresse,
Il est plus beau que branche de grenadier
Gorgée de pépiements d'oiseaux, et sa taille
Plus souple que l'ondulation d'un lézard.
J'écoute la rumeur basse de la mer
Qui surgit de la vague et se répercute,
Masquée par un agave antique, j'épie
Sa gorge qui se change en une mouette
Pour s'envoler avec un gémissement
Vers l'or des nuages. Et de l'airain du ventre
Somptueux s'érige sombrement le roc
En fleur qui porte un cortège de princesses
Fascinantes, de fées surgies des légendes.
Grises est la mer, le sable crisse.
Des ombres blondes s'étendent sur la vigne.
Dans le lointain des colonnes de ciel saillent.
L'orage maintenant vient battre la plage.
Et moi je tête l'odeur d'été qui croît
Et je bois le vin des plantes dénudées
Et j'emplis mon regard de ces mains qui luisent,
De ces flancs brillants et polis d'une écume
Ou se déplace l'huile des oliviers,
Moi, mes yeux apaisés reposant sur lui
Enveloppé par la vague, qui sommeille
Dans ce tonnerre lent et vieux comme agave,
Moi livrée au vol multiple des désirs,
Je me demande combien d'ailes ouvertes
Palpitent dans les creux bleutés et les monts
De ce corps si calme qu'il s'en va troubler
L'herbe solitaire et la mer en son verbe.
Adaptation
française de Marc Alyn,
en collaboration avec Zvonimir Mrkonjic
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