22/11/2002
LITTÉRATURE
Edition française
de la Judith de Marulic
Most publie une traduction de Charles Béné du poème
épique du "père des lettres croates".
Composée
en 1501 par Marko Marulic (1450-1524), poète et lettré de Split,
la Judita, ce premier poème épique croate, relate le récit
biblique du livre de Judith et du meurtre d'Holopherne. Cinq siècles plus
tard, les éditions Most (Le Pont) en publient la première traduction
française, établie par Charles Béné, élu en
2002 membre correspondant de l'Académie croate. Auteur d'une oeuvre latine
qui connut un immense succès dans l'Europe du XVIe siècle, lue par
Henri VIII et connue alors jusqu'au Japon, Marulic s'est affirmé également
par son oeuvre en langue vernaculaire.
MARKO
MARULIC |
Né et mort à Split (1450-1524), il fit des études juridiques
à Padoue, où il découvrira l'humanisme italien et la Devotio
Moderna, renouveau de la piété venu des Pays-Bas. Il retournera
cependant passer la majeure partie de sa vie dans la capitale dalmate alors sous
l'administration de Venise et encerclée par les Turcs. Issu d'une famille
patricienne, Marko Marulic (Marc Marule) a écrit en latin, en croate et
en italien, avec ce pouvoir de synthèse de la culture littéraire
latine, italienne et croate. Il
écrivit à partir de 1477 de nombreux ouvrages de théologie,
d'histoire et de politique, dont l'Institutio, traduit du latin en cinq
langues au XVIe siècle. Ses
poésies en croate inaugurent la grande période de la littérature
dalmate. Ainsi composa-t-il le premier poème épique croate, Histoire
de la sainte veuve Judith, en 1501. Toute son oeuvre est marquée par
sa culture humaniste, son moralisme chrétien et sa crainte de voir disparaître
sa patrie. Grand
érudit, il s'est intéressé à tout : à
la littérature, à la peinture, à la sculpture, à l'archéologie,
à l'histoire et à la géographie. Sa monumentale statue en
bronze, place Brace-Radic à Split, oeuvre d'Ivan Mestrovic, est parée
de vers du poète Tin Ujevic (1891-1955).
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Rendant
accessible au public francophone la Judith de Marulic, en publiant
la traduction établie par Charles Béné à partir du
dialecte tchakavien, parlé à Split (ancienne langue littéraire
croate), les éditions Most
(Le Pont) apportent une contribution remarquable à une meilleure connaissance
à la fois de ce grand humaniste que de cette oeuvre pionnière dans
la diffusion du thème de Judith dans la littérature européenne.
Versificateur,
dramaturge et auteur de textes d'instruction catholique, il sera considéré
plus tard comme le père de la littérature croate. De fait il y occupe
une place à part. Ses oeuvres latines, en particulier ses deux "best-sellers"
que furent l'Evangelistarium et l'Institutio bene vivendi per exempla
sanctorum, connurent un succès retentissant dans l'Europe du XVIe siècle.
Après avoir franchi les limites de l'Italie ils connurent, après
Venise, des éditions chez des admirateurs de Luther, à Bâle,
dans la très catholique Cologne, puis à Paris et à Anvers,
jusqu'à la cour royale à Londres. Les traductions se multiplieront,
quant à elles, à partir de 1563 d'abord en italien (Venise, Bergame),
puis en allemand (Cologne, Dilingen, Augsbourg, de 1568 à 1697), en français
(Douai, Paris, de 1585 à 1604), en portuguais (1579) ou en tchèque
(1621). Fait rarissime, son oeuvre est à cette époque connue jusqu'au
lointain Japon, comme l'attestent des recherches récentes de Charles Béné.
Puissance
divine
A la différence
d'Erasme de Rotterdam, dont il était l'ami, ou de Guillaume de Budé,
mais à l'instar d'un Dante ou d'un Pétrarque, dont il a publié
des traductions, tant latines que croates, Marulic ne s'est pas limité
à l'usage du latin. Soucieux de s'adresser à ses compatriotes, il
a composé toute une oeuvre en croate.
La
plus célèbre en est sans doute sa Judith, poème épique
où il relate le récit biblique du livre de Judith et du meurtre,
pendant le siège de Jérusalem, d'Holopherne, général
de Nabuchodonosor, roi de Babylone et d'Assyrie. Par souci de rester fidèle
au anciens "rimeurs", Marulic y emploie, comme dans la poésie
médiévale, le vers à double rime, tandis que par endroits
son style et son verbe rappellent le truculent Rabelais.
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Judita
- page liminaire de la première édition (Venise, 1521). |
Signe du
succès rencontré en Italie, en Hongrie ou en Allemagne, sa Judith
éditée d'abord à Venise en 1521, y connaîtra par la
suite quatre rééditions, en 1522, 1523, 1586 et même en 1627.
Cette traduction en français de Marulic vient donc avec quelques siècle
de retard combler une lacune que plus rien ne justifiait.
C'est sans
doute pour soutenir ses compatriotes qu'il compose en 1501 pour eux une nouvelle
Judith. Au moment où l'Europe voyait la progression inéluctable
des Ottomans, où les Balkans étaient comme abandonnés, où
Split était directement menacée par les troupes de Soliman qui campaient
sous ses murs, le seul recours était la protection divine, et Judith incarnait
à sa manière ce que peut la puissance divine devant un ennemi supérieur
en forces.
Ce thème
est d'ailleurs très présent dans ses poèmes: « Solus
Deus potest nos liberare de tribulatione inimicorum nostrorum Turcorum sua potentia
infinita ». Ainsi, dans La Prière contre les Turcs,
Marulic introduisait sa vision des destructions dues à la guerre, sa propre
désillusion, le sentiment de sa propre impuissance. Trois vers de ce poème
ont même été cités par Jean-Paul II dans son discours
d'adieu, à l'occasion de sa visite en Croatie le 11 septembre 1994.
Les
trois Judith parues en français au XVIe siècle - la Judith
de Salluste du Bartas (1574), la Judic du poète Anne d'Urfé
(1588), et la l'Imitation de la Victoire de Judich de Gabrielle de Coignard
(1595) -, ont quant à elles surtout été inspirées
par les guerres de religions ou par la piété nouvelle issue de la
Contre-Réforme. La traduction de Marulic apporte donc une nouvelle dimension
au thème de Judith dans la bibliographie disponible en français
sur le sujet.
Sources
:
Préface de La Judith de Marko Marulic, Trad. Charles Béné,
Most/Le Pont, Zagreb, 2002,
111 p., publié avec l'aide de l'Institut français de Zagreb dans
le cadre de la célébration de son 80e anniversaire.
CHARLES
BÉNÉ |
Elu le
16 mai 2002 membre correspondant de l'Académie
croate des sciences et des arts, notamment pour ses découvertes de
l'oeuvre marulienne, Charles Béné, professeur émérite
de l'Université Stendhal de Grenoble, est né en 1919 à Saint-Jeoire
en Faucigny (Haute Savoie). Agrégé de l'Université, docteur
ès lettres en 1970, après la soutenance d'une thèse Erasme
et saint Augustin, ou Influence de saint Augustin sur l'humanisme d'Erasme, il
a enseigné la littérature française et néolatine de
la Renaissance comme professeur titulaire à l'Université Stendhal
de Grenoble à partir de 1974.
Ses travaux
ont porté sur les grands écrivains du XVIe siècle français,
Rabelais, Montaigne, Ronsard, du Bellay, ainsi que les grands écrivains,
français et étrangers, d'expression latine. Il est membre du Comité
International pour l'édition des oeuvres complètes d'Erasme.
Conjointement,
Charles Béné a, ces dix dernières années, focalisé
son activité sur les oeuvres latines de l'humanisme slave, et tout particulièrement
sur ce grand humaniste croate, de renommée européenne, que fut Marc
Marule de Split.
Ses recherches
ont permis de suivre le rayonnement de son oeuvre latine en France, où
ont été mises à jour deux nouvelles traductions françaises;
en Angleterre, où ont été présentés ces deux
lecteurs exceptionnels que furent le roi Henri VIII et le chancelier Thomas More,
célèbre auteur de l'Utopie, et le premier traducteur anglais
de Marulic que fut, Philip Howard, Comte d'Arundel; dans les pays acquis à
la réforme luthérienne (Bâle, Erfurt), où des admirateurs
de Luther, éditent Marulic en le présentant comme un guide spirituel
et un vrai évangéliste.
Sa participation
aux congrès internationaux a permis de remédier à une grave
méconaissance de ce grand humaniste dans l'Europe septentrionale, et de
cette terre humaniste, aussi ancienne que l'Italie elle-même, que fut la
côte de la Croatie.
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