30/03
- 16/06/2001
ART CONTEMPORAIN
Julije Knifer
: peintures & dessins
Une grande exposition à Saumur propose un voyage dans l'univers
géométrique et monochrome du célèbre
artiste néo-constructiviste établi à Paris
qui représentera la Croatie à la prochaine Biennale
de Venise. Le Figaro-Magazine lui a consacré un article
que nous reproduisons ci-dessous en intégralité.
ART
D'AUJOURD'HUI
Julije Knifer
Géométrie,
graphite et sensualité
Le Figaro-Magazine du 13/04/2001
Rencontrer
Julije Knifer laisse au cœur une paix durable. Croate, cet artiste
dit sans façon sa joie à vivre dans son monacal atelier parisien.
Joyeux, il n'a de sa vie touché à la couleur. Aboutissement de
décennies de labeur, son oeuvre entier est une variation musicale
en noir et blanc sur la ligne et l'angle droit : stimulant curieusement
le toucher et l'ouïe autant que le regard, il infuse une chaleur
et une émotion dont on se déprend difficilement.
De ses longues mains aux doigts parcheminés, parfaitement capables
d'une exigeante mimêsis, lentement, généreusement, Knifer
(imaginez un Beckett tendre) feuillette des piles de carnets :
cinquante années de croquis préparatoires. Puis, un à un, sans
hâte, il soulève les soies qui protègent des centaines de dessins
à la mine de plomb ou à la barre de graphite, rehaussés parfois
de craie blanche, qu'il a dédaigné de fixer. L'artiste utilise
d'immenses papiers (220 x 240 cm, et que dire des triptyques !),
de surface accidentée et rugueuse ; il apprécie un grammage de
850 g/m², parfois encore fabriqué en ces dimensions en Allemagne,
en Autriche, ou à la cuve. Après des milliers d'esquisses en petits
formats, il trace enfin au cordeau des figures faussement simples,
dont les verticales forment avec les horizontales comme des labyrinthes
pour église romane, des partitions musicales ou d'antiques grecques,
dont les entrelacs rappellent aussi parfois des phosphènes, d'hypothétiques
plans d'urbanisme ou de capricieux méandres.
Voici
ensuite le temps d'emplir les vides délimités en y passant, frottant,
repassant, refrottant inlassablement à main levée, graphites et
mines de plomb. Sécheresse ou gras (du B3 au 9B) des matériaux
employés, nombre de couches, tout détermine l'aspect final : le
crayon confère un sévère noir mat, un rien sec, un brin métaphysique
; doux et moiré, le graphite laisse miroiter des anthracites ondulants,
fait rêver à des plans d'eaux imaginaires. Dessous les moirures
et les brillances, les griffures et les glacis, le fond capricieux,
pelucheux, rétif, texturé du papier interagit avec les sombres
épaisseurs accumulées pour créer un lyrisme lumineux qui séduit
et surprend un esprit qui s'était préparé à la rigueur orthogonale.
Rencontre de l'esprit de finesse avec celui de géométrie... Un
travail de bénédictin !
Rien ici n'évoque le cinétisme : on ne songe pas au mouvement,
on s'immerge en de chatoyantes profondeurs. Knifer ne rappelle
pas d'avantage Kandinsky en quête d'analogie entre forme et émotion.
Le seul ancêtre de Knifer-le-solitaire, ce poète qui pratique
aussi une merveilleuse écriture multicolore, éclatée, cohérente
dans sa déstructuration, est peut-être Malevitch, lui qui prônait
avec Maïakovski « la suprématie de la sensibilité
pure dans les arts figuratifs ».
Béatrice Comte
© Le
Figaro-Magazine
Knifer
: peintures & desseins.
Centre
d'Art contemporain Bouvet-Laduray,
St Hilaire-St Florent, 49400 Saumur. Tél. :
02 41 83 83 82. Jusqu'au 16 juin (de 8 000 F
à 420 000 F). Knifer représentera le pavillon de la
Croatie à la prochaine Biennale de Venise. Un ouvrage, à
paraître aux éditions Adam Biro, lui sera prochaînement
consacré.
|