30/09-28/11/2004
EXPOSITION
Dora Maar - Picasso
Regards complices
Témoignages inédits d'une
relation féconde et orageuse
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Du
30 septembre au 28 novembre
2004, la galerie Klovicevi dvori de Zagreb présente l'exposition
"Dora Maar i Picasso - Regards complices" réalisée
en collaboration avec le Musée Picasso de Paris. Pour la
première fois, une exposition conjointe présente
au
travers de clichés, huiles, dessins et estampes, dont
certains sont inédits,
l'influence qu'a excercée la fameuse photographe
surréaliste Dora Maar, Croate par son père, sur
le peintre le plus connu du XXe siècle, l’homme de
sa vie – Pablo Picasso.
Hormis
celles prêtées par le Musée Picasso, bon nombre
des 385 oeuvres exposées proviennent également
du Musée national d'art moderne Georges Pompidou à
Paris, ainsi que de trois collections privées. Parmi elles,
certaines sont très célèbres, d'autres sont
exposées pour la première fois. Pour une bonne part,
ces dernières sont des photographies de la célèbre
photographe surréaliste d'origine croate Theodora Markovitch,
dite Dora Maar. Y sont également rassemblées quelque
quatre-vingts oeuvres de Pablo Picasso, créées entre
1935 et 1943, c'est-à-dire contemporaines de leur
liaison orageuse, mais aussi les clichés d'autres photographes
célèbres, tels Man Ray ou Brassaï, sur lesquels
figurent Picasso et Dora Maar.
Alors
que la plupart des photographes se contentent alors d'immortaliser
Picasso
au côté de son oeuvre achevée,
Dora Maar, qui fait sa connaissance en 1935 et l'invite à
venir poser dans son atelier, est la première à
photographier le maître en pleine création. Aussi
ses archives, découvertes à sa mort, en 1997, ont-elles
livré des négatifs, planches-contact et des clichés
qui représentent des documents incomparables à l'analyse
de la création de Picasso et qui constituent certainement
la partie la plus intéressante de l'exposition. Ses photographies
de la naissance de "Guernica", l'un des plus
célèbres tableaux engagés du XXe siècle,
en sont certainement l'un des exemples le plus marquants. Illustration
de cette complicité à double sens, les traits de
Dora Maar que l'on y devine dans l'un des personnages.
Fascination
Pour
Anne Baldassari, conservateur du Patrimoine du Musée Picasso
et auteur de l'exposition, l'image habituellement retenue de Dora
Maar, simple muse de Picasso, doit d'ailleurs être revue.
Dora Maar aurait eu, à ses yeux, une influence de premier
ordre sur Picasso aussi bien sur le plan artistique que sur celui
de son engagement politique, au moment de la
guerre d'Espagne, notamment par ses convictions affichées
de femme de gauche.
Amie
d'André Breton, qui lui dédia une édition
originale de son Second Manifeste du Surréalisme ("A
toi dans l'Amour oł il n'y a plus ni nuit ni jour"),
maîtresse de Georges Bataille, Dora Maar, personnalité
forte, sombre et sensuelle,
exerçait une fascination sur
les hommes, notamment des artistes comme Georges Braque ou Man
Ray. Proche
d'entre les proches, c'est Paul Eluard qui l'aurait présenté
à Picasso au café des Deux-Magots à Paris,
point de départ d'une relation passionée et féconde,
jusqu'à leur rupture, peu avant 1945.
Femme
qui pleure. Née en
1907 à Paris d'une
mère tourangelle
naturalisée croate, Louise Julie Voisin, mariée
à
Trsat (Croatie),
en 1903, à l'architecte croate de Zagreb, Josip Markovitch,
Henriette Theodora Markovitch, dite Dora Maar (1907-1997), fut
élevée à Buenos Aires. Rentrée en
France en 1926, elle étudie dans l'atelier du peintre André
Lhote. Elle y rencontra Cartier-Bresson, avant de faire la connaissance
de tous les grands photographes de l'époque. Apôtre
de la Nouvelle Photographie, très inspirée par le
mouvement surréaliste, elle se lie à Picasso, dont
elle devint, huit années durant, à la fois la muse,
l'égérie et la maîtresse. Malgré leur
séparation, elle restera son modèle favori et la
seule femme à avoir influencé son génie créateur.
En témoignent les nombreux tableaux qu'il lui a consacrés
ou bien ceux dans lesquels il la prend pour modèle, à
l'instar de la célébrissime "Femme qui
pleure". Très ébranlée par leur
rupture, Dora Maar se murera dans la solitude,
reclue dans son appartement parisien
jusqu'à sa mort, le 16 juillet 1997, si ce n'est quelques
courts séjours en Croatie. Elle repose au cimetière
de Clamart, au sud de Paris.
Exposition ouverte du 30 septembre
au 28 novembre 2004
Galerie Klovicevi dvori
Jezuitski trg 4, Zagreb - de 11h à 19h - Tél.
+385 (0)1-4851 926
Conception de l'exposition
: Anne Baldassari, conservateur
du Patrimoine du Musée Picasso -
Conservateur : Marina Viculin, Klovicevi dvori - Catalogue : Anne
Baldassari.
Exposition
réalisée avec le soutien du Ministère croate
de la Culture, de la Ville de Zagreb et de l'ambassade de Croatie
en France.
ROMAN
Dora
Maar : huit ans dans la vie de Picasso
Nicole
Avril donne chair à la passion tragique de la compagne
du maître. Criant de vérité.
par Pierre Billard
(Le Point)
Faune ivre de couleurs et de sexe, Pablo Picasso
connut une vie amoureuse multiple. L'histoire retient les noms
de cinq compagnes majeures. Après Olga et Marie-Thérèse,
avant Françoise et Jacqueline, Dora occupe une place centrale
dans ce tableau de chasse. Elle figure dans la vie et sur les
toiles de Picasso (car toute compagne est un modèle) de
1936 à 1945. Née à Paris, élevée
en Argentine, Theodora Markovitch s'est donné à
elle-même son patronyme de Dora Maar. Photographe et peintre,
crinière noire sur des yeux bleu-vert, femme de tête
au corps de déesse, militante « révolutionnaire
», elle préfigure l'intello germano-pratine de la
génération d'après guerre. Les témoins
de ce calibre ne prolifèrent pas dans l'intimité
de Picasso. Dommage qu'elle n'ait pas laissé son Journal...
C'est ce qu'a dû penser Nicole Avril qui, consultant toutes
les sources d'information possibles, mais surtout s'appuyant sur
sa sensibilité de femme et son talent d'écrivain,
a tenté - et réussi - le roman passionné
et chaotique de la rencontre et de la rupture de Pablo et de Dora
telles que celle-ci se les remémore au soir de sa vie.
La réussite majeure du livre, c'est de donner chair, cris
et larmes à celle qui n'était pour nous qu'un guide
dans les couloirs secrets du musée Picasso. Photographe,
elle saisit au flash de son regard l'extraordinaire foire sociale
qui se déroule autour de la gloire et du trésor
Picasso. Amoureuse, elle détecte aux premiers signes les
approches des rivales chassant le Minotaure, laissant percer parfois
les instruments de sa stratégie. Lors de la première
rencontre, supposée fortuite, du peintre avec Françoise
Gilot, qui lui succédera, elle décode avec une férocité
gourmande les signes d'une offensive soigneusement mitonnée
et comment Picasso feint de succomber à des pièges
qui l'enchantent. Mais, pour le récit de sa propre première
rencontre avec Picasso, le hasard semble décider de tout.
Sauf qu'imprudemment Dora lâche : « Il avait poussé
la porte-tambour. Il ne pouvait plus faire marche arrière.
Je le tenais. » Aveu discret d'un plan bien établi.
Les cris de malheur résonnent le plus fort
La rupture signifiée, Dora Maar refuse de prendre dans
les salons la pose avantageuse de l'« ex-maîtresse
de Picasso ». Elle se noie dans la jalousie, le chagrin,
la colère. Lacan viendra l'arracher à l'enfermement
et aux électrochocs de Sainte-Anne et la fera entrer dans
un tolérable « après ». Tolérable,
la vie le serait davantage si Picasso ne venait de temps à
autre raviver les blessures en infligeant à l'abandonnée
de perverses humiliations. Quelques années après
leur séparation - elle ne l'a plus revu ni n'en a eu de
nouvelles -, on lui livre un énorme et très lourd
colis. L'envoi est de la main du peintre. L'emballage est d'une
complication extravagante pour mieux protéger le contenu
qui se révélera, au bout de longs efforts, être
une misérable chaise, lourde, massive, encombrante, sans
valeur ni utilité. Colère et chagrin de la destinataire
: elle comprend la perversité de l'expéditeur qui
la fait rêver un instant d'un faux retour en grâce,
et peut ensuite vérifier qu'elle reste trop dépendante
de lui pour se débarrasser de l'horrible cadeau (qu'effectivement
elle conservera). Dora Maar signale brièvement les cris
de plaisir que lui arrachait Picasso dans leurs ébats,
mais ce sont les cris de malheur qui résonnent le plus
fort dans le roman de Nicole Avril. Comme pour signifier que,
si Picasso était un génie, il avait aussi le génie
du mal.
Si
ces pages noires sont les plus fortes, la voracité, la
verve, la jouissance créatrices de Picasso éclatent
dans leur période d'union, entamée triomphalement
par la toile-manifeste « Guernica », dont
les photos de Dora Maar permirent de comprendre le processus d'élaboration.
Huit années durant, Dora Maar fut la compagne éblouie
de cette fête joyeuse, de cette traque entêtée
dont Picasso fournit une clé décisive quand Lacan
lui montre « L'origine du monde », ce tableau de Courbet
représentant un sexe féminin, et qu'il s'exclame
: « La réalité, c'est l'impossible ! »
«
Moi, Dora Maar »,
de Nicole Avril (Plon, 225 pages, 18,50 euro).
REVUE
DE PRESSE |
LES
DIABLES DE MAAR
Tout, et même plus, sur la photographe hors norme
qui fut l'égérie de Picasso, la patiente de
Lacan et qui finit confite en bondieuserie.
Amante
de Bataille et de Picasso, camarade de jeux des surréalistes,
patiente de Lacan: tout concourt à faire de Dora
Maar (1907-1997) une héroïne idéalement
romanesque. Jusqu'à son visage numismatique figé
par Rogi André en 1941 et aujourd'hui en couverture
d'une monographie, la première, à même
de rendre justice à celle qui fut aussi une photographe
douée de mystère. D'ailleurs, l'auteur des
Vies de Dora Maar, Mary Ann Caws, une Américaine
installée en France, ne cache pas son attirance pour
cette femme à chapeaux au destin extravagant, au
point parfois de noyer son sujet dans des détails
nunuches.
Née
Henriette Théodora Markovitch, d'un père architecte
croate et d'une mère tourangelle catholique, élevée
un temps à Buenos Aires, Dora Maar revient à
Paris, en 1926, pour ses 19 ans. Ce Paris-là, où
domine le noir Chanel et les bordels flamboyants, comment
ne pas en rêver? Elle, elle rêve d'être
peintre, puis photographe. Ouvre un studio-photo, de 1931
à 1934, avec un certain Pierre Kéfer. Rencontre
Emmanuel Sougez, l'éminence grise de la Nouvelle
Photographie, qui l'encourage à poursuivre dans cette
voie. Et certains figurants du Paris artistique de l'entre-deux-guerres,
Paul et Nusch Eluard, André Breton et sa muse Jacqueline
Lamba, Man Ray, bien sûr, Brassaï, évidemment.
Ses photographies ne ressemblent à rien de déjà-vu,
dès ses débuts, elle mélange tout:
genres et effets, portraits classiques et nus cubiques,
naturel et surnaturel. Sans hésiter à trancher
dans le réel avec un enthousiasme de petite fille
perverse. Ainsi Jeux interdits, photomontage olé
olé de 1935, où un gamin réfugié
sous une table observe un couple à califourchon (lui
en pantalon, elle dépoitraillée).
Un
an plus tard, Maar réalise deux merveilles horribles,
deux icônes pour collectionneurs non conformistes.
La première 29, rue d'Astorg son adresse à
Paris révèle son goût pour une
autre dimension tant l'échelle de la statuette au
premier plan fausse la représentation et dérape
vers un inconnu inquiétant. De la deuxième,
Portrait d'Ubu, on fait même des cartes postales car
le monstre en gros plan, bébête molle de la
famille Painlevé, a su séduire malgré
sa hideur (Dora Maar n'a jamais voulu avouer que c'était
un fœtus de tatou, mais était-ce bien cela?).
Ambiance
Front popu et coup de foudre au café des Deux Magots,
entre Dora et Picasso (déjà en ménage,
ah les hommes!), vite renforcé par le soleil du Midi
où les tourtereaux se retrouvent entourés
de leurs amis connus, Eluard & Cie. De ces étés
36 et 37 datent les photos-souvenirs de plage avec le lévrier
Kazbek hyperphotogénique, les ombres portées
sur les visages, cette atmosphère sous canisses et
Pastis qui fait plaisir à voir, même maintenant.
Comme il l'a déjà fait avec Brassaï,
Picasso convainc sa belle d'abandonner la photographie et
de reprendre la peinture. Obéissante, elle se jette
dans les natures mortes. Mais quand il peindra comme un
fou Guernica dans son atelier des Grands-Augustins, elle
seule sera autorisée à l'immortaliser (et
les images sont d'une douceur terrible). Echange de bons
procédés, elle posera pour lui, célèbre
Femme qui pleure. Qui se vendra 37 millions de francs, en
automne 98, lors de la vente Dora Maar.
Picasso
s'éprend de Françoise Gilot, séparation.
Dépression nerveuse, électrochocs, cure psy
avec Lacan dans le rôle principal. Après quelques
étourderies mondaines, Maar trouve sa voie dans une
solitude forcenée, se réfugie près
de Dieu. Et garde jusqu'à sa mort les bouts de trucs
et de machins-choses que son amant bricoleur avait fabriqués.
De lui, elle dira un jour: «Je n'ai pas été
la maîtresse de Picasso, il était seulement
mon maître.»
Brigitte Ollier, Libération, 14/12/2000
Une
biographie très fouillée de celle qui fut
la muse de Picasso de 1936 à 1943. Une histoire qui
commence à la terrasse des Deux Magots, où
Dora s'amuse à planter un couteau entre ses doigts.
Le peintre sera subjugué. La suite se révèlera
plus triste car, une fois séparée, l'amante
éconduite mènera une vie de recluse conservant
le moindre souvenir du grand artiste. Mais Dora ne fut pas
qu'une conquête. Elle fut aussi une grande photographe
du mouvement surréaliste (qui attend toujours une
grande exposition rétrospective dans un musée)
dont elle portraitura les plus célèbres représentants
et pour lequel elle livra des photomontages et des images
empreintes de mystère et d'une "inquiétante
étrangeté" comme par exemple celle intitulée
"Ubu roi" qui représente un tatou vu de
dessous et en gros plan.
Eric de Thévenard
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Les Vies
de Dora Maar.
Bataille, Picasso et les surréalistes
Mary Ann
Caws & Christian Martin Diebold, EditionsThames & Hudson,
2000.
"Plantant
un couteau entre les doigts de sa main gantée, assise seule
à une table des Deux Magots : c'est ainsi que Picasso vit
Dora Maar pour la première fois. Altière, sensuelle,
défiant toutes les conventions, Dora avait été
la maîtresse de Georges Bataille avant d'imaginer d'angoissantes
photographies surréalistes et de produire de magnifiques
portraits, des reportages ou des images de mode.
Elle
fut l'amante et la muse de Picasso pendant sept ans, et finit
par devenir l'une des figures les plus complexes de son panthéon
personnel. Tenant la chronique de leur liaison, Dora Maar photographiait
Picasso au quotidien - que ce soit celui de son œuvre ou
de leur intimité -, en compagnie de Breton, d'Eluard, de
Man Ray ou de Jacqueline Lamba. On lui doit ainsi un témoignage
unique sur la genèse de Guernica, cri d'indignation et
manifeste politique de Picasso contre les atrocités de
la guerre d'Espagne. Elle y apparaît d'ailleurs dans le
personnage de la femme à la torche, avant de devenir la
" Femme qui pleure ", image exemplaire pour Picasso
de sa passion comme des angoisses et des doutes qui l'assaillent.
De
ruptures en réconciliations, leur relation connut des moments
difficiles pour se terminer de façon déchirante
en 1943. Frôlant parfois la folie, Dora parvint à
surmonter l'épreuve grâce à son ami Jacques
Lacan. Et elle devait survivre à Picasso près d'un
quart de siècle.
Vivant
en recluse, et versée en religion, Dora choisit de disparaître
de la scène publique, et se mit à peindre et à
composer des poèmes - Dieu seul pouvait succéder
à Picasso, disait-elle. Elle en acquit un statut mythique,
devenant à jamais la muse tragique de Picasso, une femme
écrasée par l'amour et le génie cruel du
peintre. C'est à résoudre l'énigme de cet
étrange destin que s'est employée Mary Ann Caws,
en rassemblant pour la première fois les éléments
du puzzle, et en restituant le fil d'une existence qui s'étendit
sur quatre-vingt-dix années. Derrière le mythe,
se dessine alors le trajet d'une femme fascinante, et le parcours
d'une artiste singulière, aux talents multiples, dont on
pourra enfin mesurer l'importance."
Mary Ann Caws,
qui enseigne à l'université de New York, est une
spécialiste reconnue du surréalisme. On lui doit
de nombreux ouvrages sur l'art, la poésie et la littérature.
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