06/03/2000
IN MEMORIAM
Résistant,
scientifique et humaniste
Mirko
D. Grmek,
académicien, éminent scientifique et historien de la médecine français dorigine
croate est mort lundi 6 mars 2000 à Paris à lâge de 76 ans. Il compta parmi
les plus grands scientifiques contemporains, novateur dans une discipline quil
avait pratiquement fondée, et restera certainement comme lun des plus illustres
Croates de notre siècle.
« Aussi
reconnu par les savants du monde entier quil est méconnu du grand public,
ce Croate a passé sa vie à défendre une idée qui lui est chère : la médecine
doit sexercer en toute conscience et la science nest rien sans humanisme »
écrivait élogieusement à son égard le magazine scientifique Eurêka, en
1996, dans un grand entretien qui lui était consacré, et dont le titre « Mirko
Grmek, médecin du siècle » donnait la mesure du personnage. Considéré
par ses pairs comme lun des plus grands historiens de la médecine, sa disparition
est tout particulièrement ressentie dans la discipline scientifique qui traite
de lhistoire et de la méthodologie des sciences expérimentales.
Né en 1924
à Krapina (nord de la Croatie), Mirko Grmek était naturalisé français depuis 1967.
Européen convaincu, il sengage en 1942 dans la Résistance, ce qui lamènera
en Italie, en Suisse puis en France. A la fin de la guerre, il rentre à Zagreb
pour y étudier la médecine. Il lexercera dabord comme généraliste,
puis comme professeur à la faculté, avant de se consacrer entièrement à la recherche
après son doctorat en médecine obtenu en 1958 à la faculté de Zagreb. Il y fonde
notamment lInstitut dhistoire des sciences de Zagreb et y dirige la
première Encyclopédie de la médecine.
Diplômé
également de lÉcole polytechnique dItalie, il sinstalle à
Paris en 1963 où le Collège de France lui confie le classement des notes de Claude
Bernard, ce qui aura par la suite une influence décisive, puisquil en deviendra
le spécialiste internationalement reconnu. Diplômé de la faculté des lettres de
Paris, attaché, puis maître de recherche au CNRS, il est nommé en 1973 directeur
détudes en histoire des sciences biologiques et médicales à lÉcole
pratique des hautes études. Docteur ès sciences et docteur ès lettres, il enseigne
aux universités de Berkeley, Los Angeles, Genève, Bologne ou encore Lausanne,
et demeure professeur dhonneur de luniversité de Zagreb.
Pendant
ce temps, il sera également Directeur scientifique de lEncyclopédie internationale
des sciences et des techniques, et rédacteur en chef des Archives internationales
dhistoires des sciences. Son Histoire du sida, où il développe
sa théorie de la pathocénose, fera date et reste toujours une référence en la
matière. Aussi un fil conducteur traverse-t-il lensemble de luvre
de Mirko Grmek : sa volonté deffectuer une étude historique sur le
savoir et les pratiques médicales antérieures en mettant à profit les connaissances
scientifiques actuelles, tout en ayant spécifiquement à cur détudier
la genèse des idées, dans une société et une époque données.
Membre
de lAcadémie croate des sciences et des arts, ainsi que de lAmerican
Academy of Arts and Sciences, son érudition encyclopédique lui vaut certainement
doccuper la présidence de la prestigieuse Académie internationale dhistoire
des sciences de 1981 à 1986, puis la Vice-présidence de lUnion internationale
dhistoire des sciences en 1997. Fait Chevalier de la Légion dhonneur,
il fut également lauréat de lAcadémie française, de lAcadémie des
sciences et de lAcadémie de médecine, et reçut la Médaille Sarton.
Bien que
nayant jamais cessé son activité scientifique, Mirko Grmek a employé les
dernières années de sa vie, qui ont aussi coïncidé avec laccession de la
Croatie à lindépendance, à établir des ponts entre ses « deux patries ».
Homme de son siècle, il nest pas resté insensible au sort tragique qua
connu sa patrie dorigine après 1991, à laquelle il resta toujours intimement
lié. Ses articles remarqués, restant dune étonnante actualité, ses travaux
historiques, comme « Le Nettoyage ethnique », et notamment le
remarquable livre « Les révoltés de Villefranche » sur la mutinerie
des soldats croates pendant loccupation en France, en témoignent. Ayant
lui-même pris le maquis pendant la guerre, sans doute aura-t-il voulu contribuer
personnellement à corriger certains clichés tenaces portant sur le passé méconnu
de son pays natal. Au terme de sa vie, il souligna son attachement à sa patrie
dorigine en léguant une part importante de sa bibliothèque privée
à lAcadémie croate, et ses derniers efforts furent consacrés à poser les
jalons du futur Centre culturel croate à Paris, animé jusquau bout par le
désir de rapprocher la Croatie et la France. Il a été inhumé le 9 mars au cimetière
du Montparnasse à Paris.
Parmi ses
nombreux ouvrages mentionnons : Léonard de Vinci, dessins scientifiques et
techniques (1962), Mille ans de chirurgie en Occident (1966), Catalogue des manuscrits
de Claude Bernard (1968), Raisonnement expérimental et recherches toxicologiques
chez Claude Bernard (1973), Les Maladies à laube de la civilisation occidentale
(1983), Histoire du sida (1989, 1995), la Première révolution biologique (1990),
le Nettoyage ethnique (en coll.) (1993), Histoire de la pensée médicale en Occident
(3 vol.) (1995-99), le Legs de Claude Bernard (1997), les Révoltés de Villefranche
(en coll.) (1998), les Maladies dans lart antique (en coll.) (1998). En
novembre 2001, les éditions du Seuil ont publié un coffret posthume
de deux ouvrages qui rendent hommage à sa vie et à son oeuvre :
La Vie, les maladies et l'histoire & La Guerre
comme maladie sociale.
Zvonimir
Frka-Petesic
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