16/02/2004
LIVRES
Marica
Bodrozic ou la candeur d'une enfance dalmate
Traduit
en français, "Tito est mort" est publié
aux éditions de l'Olivier
Née
en 1973 à Zadvarje en Dalmatie, Marica Bodrozic
s'impose dès son premier livre comme l'une des
voix les plus singulières de la jeune littérature
allemande. Traduit en français, "Tito est
mort" est un recueil de nouvelles qui nous plonge
dans l'atmosphère rurale du Sud croate au début
des années 1980. Avec une sensibilité
remarquable, l'auteur parvient à en restituer
aussi bien la rusticité pittoresque des villageois
que les senteurs méditerranéennes et
jusqu'à l'éclat du soleil qui baignait
l'arrière-pays dalmate de son enfance.
MARICA
BODROZIC |
Née
en 1973 à Zadvarje en Dalmatie (Croatie), elle
passe une partie de son enfance avec son grand-père,
sonneur de cloches dans un village dalmate et
grand raconteur d'histoires. À l'âge de dix ans,
elle rejoint en Allemagne ses parents, partis
avec la première vague de travailleurs émigrés
à la fin des années 60. Elle suit une formation
de libraire à Francfort-sur-le-Main, puis étudie
l'anthropologie culturelle et la slavistique
avant de se consacrer exclusivement à l'écriture.
Après deux ans passés à Paris, puis à Zurich,
elle vit à présent à Berlin. Ses premiers textes
littéraires paraissent dans Lettre Internationale
et le Frankfurter Allgemeine Zeitung. "Tito
est mort" a été largement salué par la critique
et couronné à deux reprises : le prix Heimito
von Doderer (2002) et le prix Adalbert von Chamisso
de la fondation Robert Bosch (2003). |
Le
bourdonnement des insectes, la moire d'une
aile de papillon, des jardins qui vibrent dans la chaleur
de l'été, le flot coloré d'un
champ de lis : en 24 histoires Marica Bodrozic reconstitue
avec une candeur presque enfantine les images de son
village dalmate. Mais au-delà des moments idylliques
d'une vie simple pointent aussi l'archaïsme étriqué,
l'étroitesse d'esprit et l'agressivité
des villageois. Il ne faut pas se fier au soleil qui
brille : l'horreur et l'angoisse se logent dans les
ombres qu'il projette.
L'extrême
originalité de Marica Bodrozic se manifeste
surtout dans sa sensualité aiguë. À
travers des visions qui sont autant d'illuminations,
et la présence de symboles et d'obsessions récurrentes
(les serpents, les papillons, la fièvre), l'auteur
tisse un réseau de correspondances poétiques
qui évoquent l'atmosphère du romantisme
allemand transposée dans le quotidien de notre
époque.
Expressions
insolites
Marica
Bodrozic apprend l'allemand lorsqu'elle rejoint ses
parents à l'âge de dix ans. Ses nouvelles,
écrites en allemand, sont empreintes de cette
relation à un nouveau langage. "Nous
étions partis dans un pays dont je ne parlais
pas encore la langue, mais cette langue me baignait
de façon bizarre, j'avais l'impression de nager
en elle comme dans un bassin plein de sonorités
étranges. Je ne sais pas pourquoi, peut-être
parce que je connaissais déjà cette langue",
écrit-elle dans "La Marque de la mère".
Chaque page est nourrie du bonheur que provoquaient
en elle les sonorités de cette langue. Ses miniatures
sont d'une maîtrise parfaite.
«
Marica Bodrozic parvient à incarner
ce paradoxe que seule la littérature
permet garder mystérieusement vifs et
intacts le passé et le vécu.
»
Claus-Ulrich Bielefeld,
Die Welt
«
II est rare qu'un auteur entre sur la scène
littéraire avec une telle intensité,
un tel sens du détail, et une telle
charge émotionnelle. »
Tilman Spreckelsen, Frankfurter Allgemeine
Zeitung
«
Marica Bodrozic a un regard aigu sur la réalité
à laquelle elle oppose un puissant sens
poétique. Elle a tout pour devenir un
grand écrivain. Et, à vrai dire,
elle l'est déjà. »
Heinz Ludwig Arnold, Tagesspiegel Berlin
|
"Lorsque
je parle ou écris, je ne réfléchis
pas, l'allemand vient du plus profond de moi. Mais
quelque chose de ma langue d'origine, le croate, passe
dans l'allemand - les images par exemple."
Dans certaines nouvelles, la présence d'expressions
insolites et la concision du récit font surgir
une multitude d'images. "Quand je parviens
à concilier le langage, le monde intérieur
et le monde extérieur, alors je suis comblée
l'espace d'un instant", parce que, pour Marica
Bodrozic, le langage ouvre le champ à un de
ses thèmes de prédilection : l'alternative,
l'autre vie qu'elle pourrait mener.
Sources
: Ed. l'Olivier
Marica
Bodrozic
Tito est mort
Editions de l'Olivier, nouvelles
traduites de l'allemand par Colette Kowalski.
192 pages, 18 €.
REVUE
DE PRESSE
L'EXPRESS,
23/02/2004
ÉTRANGER
La
fée Marica
Avec
Tito est mort se révèle le talent enchanteur
de la jeune Marica Bodrozic
C'est
une voix nouvelle, Marica Bodrozic, et c'est
aussi une fée, une petite sueur de Mélusine
qui débarque en France avec sa besace pleine
de rêves. Un vrai miracle, quand on sait que
cette jeune romancière vient d'un pays brisé,
la Dalmatie. Elle y a passé son enfance, élevée
par son grand-père dans un village de la côte
Adriatique, puis elle a rejoint ses parents en Allemagne,
où ils s'étaient réfugiés
pour trouver du travail. C'est ainsi que, à
10 ans, en 1983, la petite Marica fut arrachée
à sa terre natale, à l'heure où
les Balkans commençaient à trembler.
Ces fracas de l'Histoire, on les entend au début
de Tito est mort, un recueil de nouvelles où
Marica Bodrozic évoque avec une douce ironie!
- la disparition du maréchal, avant de remonter
le temps pour peindre la Dalmatie bucolique qui lui
servit de berceau. C'est là qu'elle apprit à
tutoyer les chimères, sous l'oeil d'un grand-père
délicieux qui, parce qu'il était sonneur
de cloches, lui ouvrit les chemins du ciel. «
J'étais une gamine curieuse, et quand on
ne me racontait pas d'histoires, j'en cherchais en
moi. Rien n'arrêtait mon imagination »,
écrit Marica Bodrozic, dont les récits font
tourner le délicat manège des souvenirs.
Une
poésie sensuelle, vibrante de grâce
Tout est là, intact, les légendes et les parfums de
son village natal, les processions du vendredi saint,
les carillons et les sornettes, les murmures des confessionnaux,
les prophéties des tueuses de serpents et les chants
des Tsiganes. Mais il y a aussi les ombres menaçantes-pauvreté,
émigration - qui pèsent sur ces rivages
où des Pénélope aux mains usées
ravalent leurs larmes en attendant leur Ulysse, sans
savoir s'il reviendra un jour au pays avec quelques
billets en poche. C'est dans ce monde contrasté,
archaïque, que Marica Bodrozic fit provision d'innocence
et traversa les miroirs pour parler aux papillons et
aux fleurs, dans l'éternel jardin d'une enfance
enchantée. Elle la ressuscite avec une poésie
sensuelle, vibrante de grâce. En ajoutant, à
la nostalgie, les couleurs de Chagall et les sortilèges
des frères Grimm. Un bonheur, une découverte.
André
Clavel
Tito
est mort,
par Marica Bodrozic. Trad. de l'allemand par Colette
Kowalski. L'Olivier, 190 p.,19 €.
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