05/2006
LIVRE D'ART
Contribution croate à la communauté spirituelle,
intellectuelle et artistique européenne
"
Croatie
- Trésors du Moyen Âge et de la Renaissance
XIIIe - XVIe siècles "
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Hrvoje
Vukcic Hrvatinic, grand duc de Bosnie et duc (Herzeg)
de Split. Missel de Hrvoje (vers 1403-1404).
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La
maison d'édition Somogy Éditions d'Art a publié
conjointement avec les éditions Skolska Knjiga de Zagreb
et l’Académie croate des Sciences et des Arts la
traduction française du second des cinq volumes de l'histoire
des rapports entre la Croatie et l’Europe du point de vue
culturel, scientifique et artistique. Édité sous
la direction d'Eduard Hercigonja et Ivan Supicic, membres de l'Académie
croate des Sciences et des Arts, ce volume abondamment illustré,
conçu de façon pluridisciplinaire, explore l'histoire
de la Croatie du XIIIe à la fin du XVIe siècle.
Il éclaire, sous un jour nouveau, l'extraordinaire production
artistique, culturelle et scientifique, ainsi que l'histoire politique,
sociale et religieuse de ce pays. On découvre ainsi l'identité
complexe de la première nation slave à avoir intégré
la chrétienté occidentale, et grandement contribué
à la communauté spirituelle, intellectuelle et artistique
européenne. Enluminures, trésors d'architecture,
fresques, statuaires, peintures... témoignent de la richesse
et de l'originalité de la culture croate. L'édition
originale de l'ouvrage, en croate, fut publiée dans le
cadre de la « Décennie mondiale du développement
culturel » de l’UNESCO.
Croatie
– Trésors du Moyen Âge et de la Renaissance
Somogy Éditions d'Art, 2006.
Relié sous jaquette
renforcée, 880 p., 500 illustrations, 114 €
ISBN 2 85056 772 8.
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La
Croatie et l'Europe: Tome 1
Trésors de la Croatie ancienne,
des origines à la fin du XIIe siècle
Somogy Éditions d'Art, 1999.
La Croatie
et l'Europe : Tome 2
Croatie, Trésors du Moyen Âge et de la Renaissance
(XIIIe-XVIe siècle)
Préface
L’entreprise
monumentale initiée par Ivan Supicic continue par ce tome
II consacré à l'histoire de la Croatie du XIIIe
siècle à la fin du XVIe. Ce gros volume nous met
tour à tour face à une période d'essor du
Royaume croato-hongrois jusqu'à la fin du XIVe siècle,
puis face à un rétrécissement progressif
sous le coup des offensives ottomanes. À l'époque
où, en Europe occidentale, brille la Renaissance, on parle
avec mélancolie des Reliquiae reliquiarum olim inclyti
Regni Croatiae. L'apogée de la conquête turque dans
cette zone se situe en 1592. Elle sera arrêtée l'année
suivante à la bataille de Sisak qui ouvre pour la Croatie,
liée aux Habsbourg depuis 1527, un temps de plus grande
stabilité. Tel est le cadre où se situent les recherches
et mises au point qui forment la trame du présent livre,
lequel est, avant tout, une histoire culturelle de la Croatie
durant la période considérée. Là est
bien son originalité.
Les
lecteurs de langue française (et sans doute aussi les autres)
ont tout à apprendre sur ce sujet. Il s'agira pour eux
d'une découverte de l'identité croate qui ne s'est
pas dissoute mais au contraire affirmée au cours des XVe
et XVIe siècles en dépit – ou à cause
– des dangers extérieurs. Mais la présence
turque sur à peu près 50 % du territoire croate
actuel et l'émigration qui s'en suivit d'une partie non
négligeable de la population, pour échapper aux
atrocités de l'occupant, ne conduisent pas les auteurs
de l'ouvrage à un jugement polémique sur l'administration
ottomane. En l'occurence, les rapports interconfessionnels «
ne se réduisent pas à un conflit de mondes différents
». Voilà une remise en situation dont nous avions
besoin. Elle ne doit pas occulter cet autre fait historique majeur
que la Croatie renforça son identité de 1200 à
1600, à la fois en puisant dans son passé et en
s'ouvrant à la Renaissance, surtout par sa façade
dalmate influencée par Venise, et par les liens de la Slavonie
avec cour de Buda.
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La
cathédrale Saint-Jacques à Sibenik, oeuvre
de Georges le Dalmate et Niccolo Fiorentino, XVe s. Inscrite
au patrimoine mondial de l'UNESCO. |
Par
« liens avec le passé », j'entends notamment
la culture liée à l'écriture glagolitique
dont le lecteur occidental découvre avec surprise la longévité.
D'où la place considérable, et même apparemment
surprenante, qui lui est accordée dans le présent
ouvrage. Il y eut en Croatie à la fois attachement durable
à l'écriture glagolitique et fidélité
opiniâtre à l'Eglise et à la culture latines.
En tout cas, et contrairement à une opinion longtemps admise,
le clergé glagolitisant ne fut pas une caste inculte. L'apogée
du glagolitisme s'est situé aux XIVe et XVe siècles
dans la liturgie, la littérature non-liturgique et les
enluminures. On imprima en 1483 un missel en écriture glagolitique,
neuf ans seulement après la première impression
européenne du missel en langue latine, en 1474. Il fut
le premier missel imprimé dans une langue non-latine dans
le monde slave. C'est seulement à partir du XVIe siècle
que l'écriture latine s'imposa.
Mais ce qui peut nous sembler un archaïsme cohabita avec
une réelle ouverture à l'Occident latin facilitée
par la création de l'évêché de Zagreb
vers 1094, puis la multiplication des couvents dominicains et
franciscains faisant pénétrer les influences des
universités de Paris et d'Oxford, puis encore la proximité
de l'Italie et notamment de Venise mettant à portée
de main l'humanisme et l'art de la Renaissance. Grâce à
quoi la Croatie n'est pas restée à l'écart
du grand courant d'innovations qui transformait en tous domaines
l'Occident de l'Europe. On n'a que l'embarras du choix pour citer,
dans le registre du gothique, la cathédrale de Trogir et
ses célèbres portail et clocher, l'église
franciscaine de Pula, la cathédrale de Zagreb, etc. Suivront
les bâtiments Renaissance de l'Istrie et la côte dalmate,
en particulier ceux de Dubrovnik. Une « école dalmate
» de peinture influencée par l'Italie s'est développée
au XVe siècle. Au siècle suivant, le grand miniaturiste
et peintre Julije Klovic (Julius Clovius) fait toute une partie
de sa carrière en Italie. Il travaille à Rome pour
le cardinal Alexandre Farnese et Greco fait son portrait à
deux reprises.
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Ivan
Duknovic,Saint Jean Evangéliste,
Chapelle Orsini, cathédrale de Trogir, 1482, 187 x
62 x 62 cm. |
Cinq
noms peuvent résumer et symboliser l'immersion de l'élite
croate dans la civilisation de la Renaissance: ceux d'Ivan Vitez,
Marko Marulic, Matija Vlacic (Flavius Illyricus), Franjo Petric
et Benedikt Kotruljevic. Le premier, d'abord précepteur
de Mathias Corvin, fut à l'origine de la bibliothèque
« humaniste » de celui-ci. Il devint primat de Hongrie.
Le second, né et mort à Split (en 1524), qui écrivit
en latin, en italien et en croate, et traduisit dans cette langue
l'Imitation de Jésus Christ, fut un profond connaisseur
des écrits de Dante et de Boccace et un admirateur d'Erasme.
Ses livres furent édités dans les principales villes
d'Europe. Flavius Illyricus, un des rares Croates devenus protestants,
réfugié en Allemagne, y publia ses célèbres
Centuries de Magdebourg qui eurent un succès européen.
Moins connu, le philosophe et astronome Franjo Petric (mort en
1597), qui enseigna à Ferrare et à Rome, rejeta
les quatre éléments d'Aristote, les sphères
et les « étoiles fixes » de l'astronomie issue
de Ptolémée. S'il maintint la terre au centre de
l'univers, il refusa de croire à son immobilité
et soutint que l'espace était infini. Il constitua u maillon,
trop souvent oublié, dans le développement de la
« nouvelle astronomie ». Quant au marchand ragusain
Benedikt Kotruljevic (mort vers 1469), il publia un Libro dell'arte
della mercatura dans lequel il expliquait avant Luca Pacioli les
mécanismes de la comptabilité à partie double.
Ainsi, à l'époque où elle était territorialement
réduite à la portion congrue et servait de rempart
à l'Occident qui ne s'en souciait guère, la Croatie
continuait – difficilement – sa marche en avant pour
le plus grand profit de l'Europe. Voilà l'enseignement
majeur de ce livre.
Jean
Delumeau
Historien spécialiste du christianisme,
et spécialement de la période de la Renaissance
Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
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