Le
Figaro,
20/10/2003
REVUE
DE PRESSE
CULTURE
& SPECTACLES
Vers une organisation
mondiale de la culture
Jean-Jacques
Aillagon et quinze de ses collègues réunis en Croatie
Opatija (Croatie)
:
Eric Biétry-Rivierre, envoyé spécial
Derrière
la baie vitrée du grand hall de l'hôtel
Ambasador, regardant une Adriatique ensoleillée s'étendre
mollement vers les archipels de la côte dalmate, Gilberto
Gil syncope quelques accords sur sa guitare. Artiste encore malgré
les contraintes de sa fonction, le ministre brésilien de
la Culture se détendait ainsi lors des courtes pauses ménagées
entre deux séances de la sixième réunion
annuelle ministérielle du Réseau international sur
la politique culturelle (RIPC) qui a eu lieu de mercredi à
samedi.
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Dubrovnik,
cité médiévale unique, sur la côte
sud de la Croatie, est inscrite depuis 1979 au patrimoine
mondial de l'Unesco. Le prochain accord devrait permettre
au pays de mieux défendre ses productions artistiques
et cinématographiques. |
Ce
pow-wow informel où seize ministres de la Culture se retrouvaient
avec quinze représentants d'États observateurs,
des personnalités de l'Unesco, de la Francophonie et du
Conseil de l'Europe, avait lieu en Croatie. A Opatija précisément,
ancienne croisette de l'Empire austro-hongrois et qui redevient,
depuis la fin de la guerre, très fréquentée
par les amoureux de Sissi.
Non
loin de Gilberto Gil, son ami Jean-Jacques Aillagon plaisantait
avec Pierre Curzi, l'un des acteurs du Déclin de l'empire
américain et des Invasions barbares. Le Français
et le coprésident de la Coalition pour la diversité
culturelle cana dienne, également président de l'Union
des acteurs de langue française au Canada, savouraient
la victoire qu'ils viennent de remporter haut la main par acclamation,
les États-Unis n'ayant pas voulu se ridiculiser par un
vote à l'Unesco.
«Le
RIPC a été le moteur et la boîte à
outil de l'Unesco. Mais attention, la décision de créer
une loi supranationale de protection des politiques culturelles
n'est qu'une étape. Nous ne saurons si nous avons gagné
la guerre pour la diversité culturelle qu'en 2005, une
fois la loi adoptée», signale un des sherpas français.
Pierre
Curzi lit les seuls commentaires émis pour l'instant par
les Américains : «Nous reconnaissons et souscrivons
aux objectifs de sauvegarde des biens culturels – remarquez
le mot «sauvegarde» ! Mais nous sommes inquiets que
la convention projetée entre en conflit avec les droits
de l'homme.»
«Garantir
la diversité culturelle en posant des limites au libéralisme
n'est pas contradictoire avec la liberté d'opinion et d'expression,
plaide Didier Le Bret, sous-directeur du cinéma, des nouvelles
technologies et de la promotion de la diversité culturelle.
Cette garantie figure dans la Déclaration universelle et
les Américains eux-mêmes encadrent leur marché.»
Finlande,
Canada, Chine, Arménie... Tous les pays présents
à Opatija sont-ils pour autant sur la même longueur
d'ondes ? La France et le Canada, à la pointe du combat,
jugent les pays du Nord et le Portugal très fiables, le
Brésil plus ambigu et se méfient d'autres partenaires
comme la Corée du Sud qui, en dépit des promesses
de son ministre de la Culture, veut toujours passer des accords
bilatéraux avec les États-Unis. Notamment sur la
diffusion cinématographique.
«Il
faut se montrer vigilant, les rencontrer avant qu'ils se décident,
expliquer notre position, convaincre», soupire Didier Le
Bret. Rien n'est facile quand Hollywood casse ses prix ou quand,
pour l'acquisition des droits d'un blockbuster lucratif, contraint
à signer dix autres de ses films, inondant ainsi les écrans
de ses images.
Mais
la décision de l'Unesco ravive les résistances.
«Tenez, ici, en Croatie, dans ce petit pays de 4,5 millions
d'habitants, deux studios de pro duction cinématographique
continuent d'exister et deux festivals de cinéma se développent,
signale l'attaché culturel de l'ambassade de France. La
télévision diffuse une vingtaine d'heures de productions
françaises par mois. Il y a quatre théâtres
nationaux, un festival d'art dramatique, deux de musiques classiques.»
A
Opatija, le RIPC s'est donc résolu à ne pas s'endormir
sur ses lauriers. Il lui reste seize mois pour aider l'Unesco
à formuler un texte fédérateur tout en poursuivant
son travail de persuasion auprès des pays moins engagés
ou même auprès des États-Unis. C'est peu.
Toutefois, le réseau ne manque pas d'arguments. Pour forcer
Hollywood ou la Silicon Valley à entrer le débat,
le RIPC imagine par exemple de travailler sur un plan de lutte
mondial contre le piratage des oeuvres.
Le
Figaro, 20/10/2003
UNESCO
La diversité
culturelle fera loi en 2005
Un
texte sera élaboré afin de protéger les politiques
nationales malgré l'opposition des Etats-Unis
Marie-Douce
Albert
L'intrigue
d'un roman, quelques notes de musique ou les images d'un film
ne sont pas que des marchandises. Ils ont donc le droit d'être
protégés des effets pervers de la mondialisation.
C'est
en substance ce que l'Unesco a affirmé cette semaine en
se donnant deux ans pour mettre noir sur blanc des règles
permettant de préserver la diversité culturelle.
A l'occasion de la 32e session de la Conférence générale
de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la
science et la culture qui s'achevait à Paris vendredi dernier,
les délégués ont en effet décidé
de demander l'élaboration d'un texte qui préservera
les politiques culturelles des États (voir nos éditions
des 14 et 15 octobre). Ce projet de convention devra être
prêt pour la prochaine session de la Conférence générale.
Le
débat sur l'exception culturelle n'est pas nouveau et,
dès 2001, une déclaration universelle avait considéré
que «la diversité culturelle est, pour le genre humain,
aussi nécessaire qu'est la biodiversité dans l'ordre
du vivant». Mais le texte était non contraignant.
Un certain nombre de pays, avec en tête la France et le
Canada, ont souhaité vivement la mise en place d'un outil
plus solide. A terme, une telle convention pourra autoriser, par
exemple, les politiques de quotas de diffusion, d'aides à
la production et toute autre action que les pays jugeront utiles
à la préservation de leur culture et de leur langue.
En
revanche, certains s'opposent farouchement à l'élaboration
de telles règles, en particulier les États-Unis.
De retour au sein de l'organisation, ils voient sans doute dans
cette démarche un frein pour la puissante industrie hollywoodienne.
Cette
semaine, Jacques Chirac et Jean-Jacques Aillagon sont donc montés
au créneau pour défendre le lancement de ce projet
d'outil de défense des industries culturelles. Tandis que
le ministre de la Culture rappelait l'urgence d'une telle démarche
devant notamment «la fragilisation de plus en plus manifeste
de beaucoup de cultures, les progrès aussi d'une mondialisation
qui réduirait la culture au divertis sement», le
président de la République affirmait que cette convention
«constituera la réponse de la communauté internationale
aux projets d'enfermement identitaire qui, dévoyant les
traditions des peuples, cherchent à les opposer».
Alors
la bataille entre les tenants du libéralisme et les parties
soucieuses de préserver leur identité culturelle
ne s'arrêtera sans doute pas là. Dans les deux ans
à venir, chacun va en effet vouloir tirer son épingle
du jeu pour que le texte lui soit le plus favorable. Mais cette
décision de l'Unesco est déjà considérée
par ses partisans comme une victoire.
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