29/01/2002
LA LETTRE DIPLOMATIQUE N°56
Economie et intégration
européenne,
priorités des priorités pour la Croatie
S.E.M.
Bozidar Gagro, Ambassadeur de Croatie en France, rappelle les impératifs
politiques et économiques de la Croatie dans son cheminement communautaire,
le rôle régional de son pays et souligne l'intérêt de
la France dans les évolutions futures de la Croatie.
Version
anglaise/english version
LA LETTRE
DIPLOMATIQUE : Monsieur
l'Ambassadeur, au regard de la position de la Croatie en Europe et au sein de
l'Europe du Sud-Est, quels sont les objectifs principaux de la politique extérieure
croate ? Quel rôle la Croatie entend-elle jouer sur la scène
régionale ?
SON
EXCELLENCE MONSIEUR BOZIDAR GAGRO :
Notre premier objectif est de rejoindre le plus vite possible l'Union
européenne, avant tout parce que nous nous sentons intimement appartenir
à cette Europe, aussi bien du point de vue géographique, historique
que culturel. Nous nous sommes également engagés dans cette direction
parce que nous voyons dans l'intégration européenne la meilleure
des voies pour accélérer notre propre développement. Par
ailleurs, nous mesurons les formidables progrès réalisés
par certains pays aussi bien au cours du processus préparatoire que depuis
leur adhésion à l'Union ; je pense à l'Espagne, au Portugal,
à la Grèce et à l'Irlande. Et cela tient non seulement à
l'aide fournie par les fonds communautaires, mais avant tout à la restructuration
et la mise à niveau de leurs économies respectives, ainsi qu'à
l'harmonisation de leurs législations. Parallèlement à ce
rapprochement avec les Quinze, la Croatie, soucieuse de sa sécurité,
a d'ores et déjà entamé un rapprochement avec l'Alliance
atlantique en vue de la rejoindre.
Ayant à l'esprit cet objectif primordial, la Croatie reste néanmoins
active au sein de plusieurs associations ou organisations régionales, dont
la vocation est principalement économique ou politique. C'est le cas notamment
de l'Initiative centre-européenne (ICE)
et du Pacte de Stabilité parmi d'autres.
Enfin, les bonnes relations avec les pays voisins demeurent naturellement un préalable
à toute forme d'intégration plus large. Il y a dix ans, la Croatie
eut, on le sait, à gérer une pénible situation de crise,
conséquence directe de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie et de la
guerre. Fort heureusement, comme on le note avec justesse dans les milieux politiques,
la Croatie fait désormais non plus partie du problème régional,
mais de sa solution. Pour autant, elle ne prétend à aucun leadership
et assume simplement ses responsabilités. Il subsiste, certes, quelques
problèmes frontaliers mineurs qui restent encore à régler
avec la Slovénie et surtout avec la République fédérale
de Yougoslavie, s'y ajoute également l'épineuse
question liée au retour des réfugiés, et enfin et surtout
la situation complexe qui prévaut toujours en Bosnie-Herzégovine.
En tout état de cause, ces questions ne sont plus en mesure de venir troubler
la sérénité avec laquelle nous envisageons le développement
ultérieur de nos relations avec nos partenaires régionaux.
L'INTÉGRATION
EUROPÉENNE ET ATLANTIQUE AU CUR DU RÔLE RÉGIONAL DE
LA CROATIE |
Pays charnière
entre Méditerranée, Europe centrale et Europe du Sud-Est, la Croatie
tient un rôle clé dans la stabilité régionale. Consciente
de sa situation, la Croatie fait de sa politique étrangère une priorité
dont l'objectif est l'intégration européenne
et atlantique.
Force est de constater que tout juste une décennie après son indépendance,
proclamée le 25 juin 1991, et
en dépit des difficultés rencontrées - conséquences
d'une guerre destructrice de cinq ans (1990-1995), la Croatie affiche un dynamisme
économique, certes encore fragile et relatif, mais encourageant, qui lui
assure une place privilégiée parmi ses voisins centre-européens
et qui lui ouvre davantage chaque jour le chemin d'une intégration
à l'Union européenne.
De ce point de vue, de par son niveau de développement, la Croatie peut
avantageusement se comparer aux anciens pays communistes de l'Europe de l'Est.
Or, au-delà des conséquences économiques du conflit, la Croatie
a dû relever un double défi : celui de fonder un Etat d'une part,
et d'autre part celui de réorienter sur Zagreb, sa capitale, une économie
qui en avait été détournée pendant près de
70 ans.
Aujourd'hui, la Croatie effectue près de 60% de ses échanges commerciaux
avec l'Union européenne. La signature le 14 mai 2001 de l'Accord de stabilisation
et d'association entre la Croatie et l'Union européenne (ASA)
devrait encore permettre de faire progresser ce flux dans les prochaines années.
Plus qu'un renforcement des liens croato-européens, cet ASA, qui constitue
le premier accord institutionnalisant les relations entre la Croatie et l'Union
européenne, s'inscrit dans la perspective d'un projet plus ambitieux de
reforme étendu à tous les domaines du pays.
La France, dont le soutien est reconnu et recherché par les Croates dans
leur cheminement vers l'intégration politique, économique et militaire
de leur pays aux structures européennes, devrait pouvoir bénéficier
pleinement des nouvelles opportunités qu'offre le marché croate,
notamment dans le cadre de son vaste programme de privatisation.
Profitant de la visite à Paris, en mai 2001,
du Premier ministre croate, M. Ivica Racan, et du Ministre croate de l'économie,
M. Fizulic, un certain nombre d'entreprises françaises, parmi lesquelles
Airbus, Accor, Hachette, BNP Paribas, Bouygues, Golfs de France, PSA-Peugeot/Citroën,
SPIE Batignoles ou encore Dreyfus, ont manifesté leur intérêt
pour la Croatie au vu des attentes exprimées par le gouvernement croate.
Ce dernier a d'ailleurs précisé qu'il était davantage favorable
aux investissements qui associaient l'industrie croate au développement
des produits et apportaient un transfert de technologie.
Ainsi, les résultats concluants obtenus par le gouvernement
de coalition dès sa première année
de pouvoir, aussi bien sur le plan intérieur que
dans le domaine international ont amplement favorisé
la situation extérieure de la Croatie, qui se dit
favorable à une "coopération régionale
multiple" pour reprendre l'expression de son Premier
ministre, M. Ivan Racan, lors d'une conférence
à l'IFRI en mai dernier.
I.C.
|
Dix
ans après l'indépendance de la Croatie, quelle est votre analyse
de l'éclatement de la Fédération yougoslave ? Quel jugement
portez-vous sur l'évolution de la situation dans les Balkans ? Quels sont,
selon vous, les conditions essentielles à un retour durable de la stabilité
dans la région ?
L'hypothèse,
parfois avancée, d'une éventuelle, voire d'une souhaitable survie
de l'ancienne Yougoslavie relève assurément davantage de la pure
spéculation que d'une analyse politique sérieuse. La Yougoslavie,
pas plus que l'URSS ou la Tchécoslovaquie, n'avait de chance de survivre
à l'aube du grand élargissement européen qui s'est amorcé
et qui ne réunira à terme que des peuples souverains. En outre,
je n'ai pour ma part jamais cru au bien-fondé de la thèse selon
laquelle de prétendues "haines ancestrales" attisèrent
le ferment de la crise et précipitèrent en définitive l'éclatement
de l'ancienne Fédération yougoslave. A l'inverse, je suis convaincu
que les intérêts particuliers des composantes de la fédération
étaient devenus par trop contradictoires : les plus petits aspiraient à
davantage d'autonomie, le plus grand, à toujours plus d'hégémonie.
De surcroît, il ne faut pas négliger le caractère rigide,
conservateur et franchement rétrograde de la bureaucratie fédérale,
hostile à tout changement et je pense ici, avant tout, à l'armée.
Après
qu'à grand peine la communauté internationale eut finalement réussi
à endiguer la crise en Bosnie-Herzégovine et, de manière
autrement plus musclée, au Kosovo, ces turbulences, conséquences
indirectes de l'incendie allumé par Milosevic, affectent désormais
et en dernier lieu la Macédoine. Un des leaders des Albanais de Macédoine
ne déclarait-il pas d'ailleurs cet été qu'il fallait voir
en leur rébellion le dernier acte de la décomposition de l'ex-Yougoslavie ?
Pourtant, on pourrait croire que cela n'en finit pas ! Il reste encore toutefois
l'éventualité de voir Podgorica se prononcer au référendum
en faveur de l'indépendance, avec pour conséquence le divorce, sans
doute à l'amiable, de la Serbie et du petit Monténégro. Les
questions que cela soulève aujourd'hui paraissent cependant bien moins
dramatiques qu'en 1991 et, à vrai
dire, elles semblent davantage préoccuper la communauté internationale
que Belgrade elle-même.
Pour autant, la stabilité des Balkans n'est sans doute pas pour demain.
Le foyer de crise s'est nettement déplacé vers le sud et touche
essentiellement la zone de peuplement albanais. Et tandis que la Slovénie,
une des anciennes républiques yougoslaves, se considère depuis longtemps
et à juste titre absolument à l'abri des soubresauts balkaniques
et que la Croatie n'est à son tour plus concernée par des problèmes
majeurs, les autres pays de la région demeurent, peu ou prou, impliqués
dans cette zone de troubles.
M. Stjepan
Mesic avait prédit à Milosevic, il y a dix ans, quil finirait
pendu. Aujourd'hui, il se dit prêt à témoigner contre lui.
Pensez-vous que ce soit, en tant que président croate, sa place et son
rôle ? Une telle initiative n'est-elle pas de nature à fragiliser
des relations de bon voisinage déjà si difficiles à établir
?
Le président
croate Stjepan Mesic s'est par le passé effectivement dit prêt à
témoigner contre Milosevic à
La Haye, et il convient à cet égard de souligner que trois chefs
d'inculpations, d'une extrême gravité
chacun, sont aujourd'hui retenus contre lui par le Tribunal pénal international
(TPI) : l'ancien président yougoslave est, faut-il le rappeler, accusé
de crimes contre l'humanité en Croatie et au Kosovo, et de génocide
en Bosnie-Herzégovine. D'autre part, il y aura aussi très certainement
des Serbes qui viendront déposer contre lui, car, comme le président
croate l'a rappelé à plusieurs reprises, il est également
responsable devant le peuple serbe lui-même. Il n'y a donc aucune raison
pour que cela fragilise nos relations. Par ailleurs, M. Mesic s'est déjà
rendu au TPI en qualité de témoin, et cela bien avant de devenir,
en janvier 2000, président de la Croatie.
A l'époque, cela avait déchaîné l'ire de certains milieux
politiques en Croatie, en premier lieu parce qu'il dénonça la politique
de Franjo Tudjman en Bosnie. Bien que ce soit un homme intègre que caractérise
un franc-parler peu commun, je ne crois pas personnellement qu'il aille une nouvelle
fois à La Haye. Il reste tant d'autres témoins qui ont aussi beaucoup
à dire.
PARIS
- ZAGREB : UNE COOPÉRATION PROMETTEUSE |
Première rencontre officielle entre les maires de Paris et de Zagreb, la
visite dans la capitale française
du 6 au 9 novembre 2001 de M. Milan Bandic, le maire de Zagreb, marque une première
étape importante dans le renforcement des liens politiques, culturels et
économiques souhaités par les représentants des deux capitales.
M. Bandic a d'ailleurs profité de l'occasion qui lui était donnée
pour proposer la signature d'un accord de coopération et d'amitié
au niveau municipal.
Cette visite fut également l'occasion pour M. Bandic de faire acte de candidature
à l'organisation Metropolis qui rassemble 75 grandes villes du monde entier.
Ladhésion de Zaghreb a finalement été officialisée
à Paris le 18 décembre, à lHôtel régional
dIle-de-France.
Sur le plan commercial, le maire de la capitale croate a rencontré les
représentants de grandes entreprises françaises, dont Eiffage, RATP,
Alstom, Vivendi Environnement, Europtima, intéressées par des projets
de modernisation des infrastructures municipales (réseau des transports
en commun, distribution et retraitement des eaux, transport d'énergie,
etc.)
|
Qu'en
est-il de vos relations avec vos voisins, la Serbie et la Bosnie ?
Nos relations
avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie sont à nos yeux de la plus
haute importance. Mis à part deux questions de démarcation frontalière,
l'une sur le Danube, l'autre à l'entrée des bouches de Kotor, face
au Monténégro, la Croatie n'a avec l'actuelle Yougoslavie aucun
litige territorial. En outre, le gouvernement autant que l'opinion publique croates
ont salué le changement démocratique
qui s'est produit en Serbie après les élections du 24 septembre
2000 et l'éviction de Milosevic. Si les séquelles de la guerre et
de l'agression dont la Croatie fut victime en 1991 n'étaient pas toujours
aussi palpables, notamment dans certaines régions, le rétablissement
de rapports normaux avec une Serbie démocratique aurait sans aucun doute
été encore plus rapide. Il y a un réel potentiel à
mettre en valeur en développant les relations entre les deux pays. Les
hommes d'affaires, qui le savent mieux que d'autres, ont d'ailleurs entrepris
les premiers, de part et d'autre, des avancées concrètes dans cette
voie.
A propos de la Bosnie-Herzégovine, il convient de rappeler que son indépendance
et son intégrité territoriale constituent un préalable aussi
bien à une solution politique interne, qu'à la stabilité
de la région tout entière. C'est également le point de départ
de la politique croate à son égard. Les accords de Dayton, quoique
très imparfaits, ont néanmoins établi cette condition première
qui ne paraît plus être sérieusement mise en doute. Pour autant
le processus d'intégration intérieure demeure des plus fragiles
et reste ardu. Ce qui est sûr, c'est que les représentants de la
communauté internationale ne se rendent désormais plus à
Zagreb pour venir y chercher quelque solution susceptible d'accommoder les Croates
de Bosnie-Herzégovine. En tant que cosignataire des Accords de Dayton,
la Croatie n'est, certes, pas indifférente à ce qui se passe dans
le pays voisin, mais nous pensons que seules les institutions démocratiques
locales sont en mesure d'engendrer des solutions consensuelles.
Malgré
la fin du règne de Milosevic, son arrestation et son transfert récent
devant le TPI, les tensions persistent. Après les menaces de Grande Serbie,
craignez-vous celles d'une Grande Albanie qui se profilent dans la crise en Macédoine ?
|
Après
la visite du Président croate Stjepan Mesic
en France en mai 2000, la visite du Ministre français des Affaires étrangères,
Hubert Védrine, en Croatie le 9 novembre 2000, et le Sommet
de Zagreb le 24 novembre 2000, la visite du
Premier ministre croate, Ivica Racan, à Paris le 14 mai dernier témoigne
de la qualité des relations bilatérales
et de la volonté des deux pays de les développer.
Cette visite est intervenue le même jour que le paraphe de l'Accord
de stabilisation et d'association entre la Croatie et l'Union européenne.
La toute récente visite du Président
Chirac à Zagreb, en décembre dernier, a encore accéléré
cette dynamique franco-croate prometteuse. |
Nul ne
sait à ce jour quel sera l'avenir du Kosovo, voire de la
partie occidentale de la Macédoine. Une chose est sûre,
si les Albanais reproduisaient les erreurs des nationalistes serbes,
qui caressaient le rêve de la Grande
Serbie, cela aurait pour conséquence de provoquer de
nouveaux dégâts matériels et d'engendrer toujours
plus de souffrances humaines et, en définitive, ils ne
parviendraient pas à éviter un échec tout
aussi retentissant. D'une part, la preuve est faite que ce genre
de projet politique anachronique n'a pas d'avenir. De l'autre,
la communauté internationale a malgré tout acquis
une certaine expérience depuis ses balbutiements initiaux
en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Elle ne laisserait
plus faire, d'autant qu'il y a désormais une présence
internationale sur le terrain.
Pour autant le scénario d'une évolution positive reste lui aussi
parfaitement envisageable et les élections du 17 novembre au Kosovo apportent
une lueur d'espoir. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que les groupes ethniques
albanais du Kosovo, de la Macédoine et d'Albanie elle-même, rassurés
sur leurs droits au sein des entités où ils vivent, ne finissent
par s'entraîner les uns les autres dans une sorte d'émulation positive
que je qualifierais d' "ethnie plurielle", respectueuse autant
des similitudes que des nuances propres à chacune des branches de la nation
albanaise ? Cela pourrait à l'avenir se traduire par des aménagements
institutionnels différents de part et d'autre des frontières fédérales
ou nationales actuelles, du moins si elles perdurent, mais il importe avant tout
qu'elles ne soient pas modifiées de manière unilatérale,
qui plus est de force.
Sur
le plan de la sécurité internationale, le Premier ministre croate,
Ivica Racan, a rappelé, lors d'une conférence
à l'IFRI, que l'objectif fondamental de son pays était de rejoindre
l'OTAN. Etes-vous de ceux qui pensent que l'Alliance atlantique est le principal
garant de la paix en Europe ? Quel est dans ce cas, selon vous, la place de la
politique européenne de sécurité et de défense commune ?
|
La côte adriatique de la Croatie est d'une importance vitale pour le tourisme
et la navigation maritime, comme lillustre le port de Rijeka (ci-dessus),
en face de la presquîle dIstrie. Les stations balnéaires
de cette région sont les premières à enregistrer une légère
reprise de l'industrie touristique. |
L'avantage
incontestable de l'Alliance atlantique est qu'elle existe déjà ;
à l'inverse, la Politique de sécurité et de défense
commune demeure encore largement virtuelle. Compte tenu des développements
inopinés de l'actualité internationale, on discute beaucoup ces
derniers temps du changement profond du rôle futur de l'OTAN, de sa transformation.
Mais cela concerne avant tout la nouvelle donne globale qui semble se mettre aujourd'hui
en place, notamment avec le ralliement inattendu de pays comme la Russie, la Chine,
voire de l'Iran, à la coalition antiterroriste internationale. En revanche
cela ne semble avoir aucune incidence sur le projet qui viserait à établir
un partenariat renforcé avec les membres européens de l'Alliance,
notamment dans la perspective de l'élargissement à l'Est. Ce n'est
donc pas un hasard si quasiment tout le monde en Europe centrale et orientale
souhaite rejoindre l'OTAN. Dix pays européens frappent d'ores et déjà
à sa porte, et la Croatie ne peut se payer le luxe de rester à l'écart,
isolée. Quitte par la suite à prendre la place qui lui revient dans
un système défensif européen une fois celui-ci mis en place.
Pour l'heure, la Croatie n'en est qu'au stade du "dialogue intensif"
avec l'Alliance. La prochaine étape est celle dite du "MAP",
pour Membership action plan, lequel constitue le dernier seuil à franchir
avant l'adhésion. Elle se trouve néanmoins déjà en
partie sous le parapluie otanien, et cela se manifeste notamment par la confiance
accrue qu'investisseurs étrangers témoignent depuis au marché
croate.
Le passage
à l'économie de marché n'a pas été aussi rapide
que prévu. Quels sont aujourd'hui encore les freins ? Quelles sont
les priorités du gouvernement pour les années à venir ?
Personne
n'imaginait que ce passage se révèlerait aussi difficile et qu'il
s'accompagnerait au début des années 90 de tant de dérapages.
De fait, il a fallu simultanément privatiser et restructurer. Or beaucoup
de privatisations avaient alors été menées de manière
pour le moins contestable. L'imprécision de la législation et diverses
collusions entre acquéreurs peu scrupuleux et décideurs politiques,
expliquent que certaines entreprises, grandes et petites, furent parfois par le
passé victimes d'escroqueries ou poussées à la faillite.
C'est la raison pour laquelle une des principales revendications très largement
partagée par l'opinion publique à la veille des élections
parlementaires, début janvier 2000, fut
précisément la révision systématique de la régularité
des privatisations jusque-là accomplies. Les raisons majeures qui, au cours
de cette période aujourd'hui révolue, ont conduit à privilégier
une forte désindustrialisation du pays, restent encore à identifier.
Probablement était-ce la conjonction de la volonté délibérée
d'abandonner des programmes qui n'étaient pas rentables, d'une part, et
de l'autre, la conséquence d'une attitude que je qualifierais d'"irresponsable",
car elle a engendré les effets pervers bien connus du "libéralisme
sauvage". Dans ces conditions, les organismes qui gèrent désormais
les fonds publics spécialisés font preuve d'une extrême vigilance
: ils ne cèdent plus rien avant de s'assurer, avec toutes les garanties
que cela suppose, autant de la qualité de la restructuration que de la
consolidation mises en uvre par la société ou le secteur en
question. En d'autres termes, ils contrôlent leur aptitude à procéder
à une privatisation dans de bonnes conditions.
|
Concernant
ladhésion à l'OTAN, un des objectifs du programme
gouvernemental croate pour la période 2000-2004 a déjà
été réalisé puisque depuis le 25 mai 2000, la Croatie
est membre du Partenariat pour la Paix. Le Secrétaire général
de l'OTAN, George Robertson, a exprimé à cette occasion sa satisfaction
quant à la politique menée par le nouveau gouvernement, encourageant
la Croatie à devenir un exemple pour les autres pays de la région.
Cinq jours plus tard, la Croatie a été admise en qualité
de membre associé au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN,
le plus haut degré prévu pour les pays participant au Partenariat
pour la Paix. (Photo : Lord Robertson, Secrétaire général
de l'OTAN, et M. Ivica Racan, Premier ministre croate). |
La Croatie
étant un pays à forte vocation touristique,
privatiser l'infrastructure touristique apparaît aujourd'hui comme une nécessité
à tout le moins pressante. D'autres secteurs conservent en l'état
les monopoles : c'est le cas de l'électricité, de la distribution
du gaz, des compagnies de transport. Mais là le "mûrissement"
s'annonce un peu plus long. Après avoir cédé la majorité
des parts de la très prisée compagnie nationale des télécommunications,
le gouvernement croate s'apprête aujourd'hui à poursuivre dans cette
voie en mettant bientôt sur le marché la plus grande société
d'assurance, une partie du principal groupe pétrolier INA, deux ou peut-être
trois banques, et, dans la foulée, un certain nombre de sociétés
de moindre envergure.
Tandis
que 2/3 des investissements étrangers en Croatie proviennent de l'Union
européenne, seuls 2 % de ceux-ci sont français. Quelles opportunités
commerciales la Croatie offre-t-elle aux industriels français ? Quelle
place l'accord de coopération entre PME croates et françaises, mis
en chantier lors de la visite en France de Zeljko
Pecek, ministre croate chargé des PME, donnera-t-il
aux entreprises de l'Hexagone ?
Bien qu'elle
ne manque pas de capitaux, la Croatie a, comme la plupart des pays en transition,
avant tout besoin d'investissements
étrangers. Aussi les réformes législatives, en mettant
l'accent sur la transparence des procédures, leur ouvrent-elles désormais
une voie plus large. Néanmoins les cadres juridiques de base sont déjà
en place : l'accord sur l'encouragement aux investissements a été
conclu en 1996, la convention franco-croate tendant à éviter la
double imposition entrera en vigueur sous peu, pour ne citer que ceux-là.
Les échanges commerciaux franco-croates,
qui représentaient quelque 560 millions de dollars en 2000, sont en constante
progression ces dernières années. Au cours des huit premiers mois
de 2001, les exportations croates vers la France ont augmenté de 35%, tandis
que les exportations françaises enregistraient une baisse de 15%. Pour
autant, la France conserve un excédent commercial annuel de l'ordre de
200 millions de dollars vis-à-vis de la Croatie. Néanmoins, bien
que la position de la France comme partenaire
commercial de la Croatie demeure nettement en retrait par rapport à
l'Allemagne ou à l'Italie, premier fournisseur et premier client de la
Croatie, elle est en 2000, malgré tout, 6e fournisseur et 7e client, ce
qui témoigne d'un accroissement constant et encourageant de nos échanges.
La part de marché française, qui est actuellement à 7,1%,
pourrait s'améliorer notamment dans les biens de consommation et dans l'agroalimentaire,
secteurs où la pénétration est faible. En outre, un des objectifs
stratégiques de la Croatie est le développement de ses infrastructures
touristiques. Les entreprises françaises spécialisées dans
ce secteur, dont le savoir-faire est reconnu, seront soutenues par notre gouvernement,
pour peu qu'elles améliorent la qualité de l'offre et contribuent
à la lutte contre le chômage.
BIOGRAPHIE |
S.E. M.
Bozidar GAGRO
Né
en 1938 à Hodbina, en Bosnie-Herzégovine, S.E.M. Bozidar Gagro est
diplômé de la Faculté des Lettres de l'Université de
Zagreb en 1960. Enseignant à la même Faculté de 1960 à
1982, il a publié un certain nombre d'écrits au cours de cette période
dans les domaines de l'histoire et de la critique d'art, ainsi que différentes
traductions du français et de l'italien. Il a ensuite assumé de
nombreuses fonctions au sein des organisations internationales dont l'UNESCO en
qualité de consultant avec plusieurs missions en Afrique. Ministre de l'Education
et de la Culture, membre du Gouvernement de la République socialiste de
Croatie de 1982 à 1987, il fut ensuite successivement Ambassadeur de l'ex-Yougoslavie
à Paris de 1988 à 1991 (il démissionnera de ce poste au mois
de septembre de 1991), Vice-Ministre des Affaires étrangères de
la République de Croatie indépendante de 1991 à 1992, Ambassadeur,
représentant plénipotentiaire de la République de Croatie
auprès du Conseil de l'Europe et du Parlement européen à
Strasbourg de 1993 à 1996, puis Ambassadeur de la République de
Croatie au Maroc de 1996 à 2000, avant d'assumer ses fonctions en France
depuis le 6 novembre 2001.
|
|