25/02/2003
INTERVIEW
Stipe Mesic : «La Croatie
entrera dans l'Union européenne en 2007»
Dans
un entretien au «Figaro », le président croate réclame
une adhésion rapide à l'UE et expose sa vision de l'avenir des Balkans
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Jacques
Chirac et Stipe Mesic, hier, sur le perron de l'Elysée. En visite pour
une journée en France, le président croate a notamment évoqué
avec son homologue français la crise irakienne et la prochaine adhéson
de la Croatie à l'UE.
(Photo Patrick Kovarik/AFP.) |
Le
président croate, Stipe Mesic, en visite à Paris, où il s'est
entretenu avec Jacques Chirac, a répondu hier aux questions du Figaro sur
la candidature que son pays vient de déposer à l'Union européenne
et sur la situation dans les Balkans. Mesic, démocrate et pro-occidental,
a été élu en 2000 à Zagreb. Il fut le dernier président
en exercice de la Fédération yougoslave, en 1991. La Croatie, qui
appartient avec neuf autres pays d'Europe centrale et orientale au «groupe
de Vilnius», a signé au début du mois une déclaration
soutenant les États-Unis dans le conflit avec l'Irak, ce qui a suscité
de vives critiques de Paris.
Propos
recueillis par Luc de Barochez
Le Figaro, 25 février 2003
LE FIGARO.
La Croatie vient de déposer sa demande d'entrée dans l'Union
européenne. Quelle date visez-vous pour l'adhésion ?
Stipe MESIC. Nous nous attendons à ce que 2007 soit
l'année de notre entrée effective dans l'Union. Nous aurons mis
en oeuvre d'ici là toutes les normes européennes. Il y a encore
des questions ouvertes, comme le retour des réfugiés qui sont partis
pendant la guerre, la restitution des biens et la coopération avec le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye. Nous oeuvrons
à satisfaire aux critères européens.
Avez-vous
évoqué avec Jacques Chirac la lettre pro-américaine du «groupe
de Vilnius» que votre gouvernement a signée ?
De fait, ce point a été abordé. Mais la
Croatie n'est pas l'un des pays stigmatisés dans cette affaire. Elle
cherche la concertation avant de prendre position. Si cette controverse prouve
quelque chose, c'est que l'Europe doit être unifiée et que la concertation
s'impose.
Reprochez-vous
à la France et à l'Allemagne de ne pas avoir consulté leurs
partenaires avant de prendre une position hostile à la guerre ?
Ce qui a manqué, en particulier, c'est la communication entre les
différentes parties.
Où
se situe la Croatie dans le débat européen entre les partisans des
États-Unis et les opposants à la guerre ?
La Croatie est membre de la coalition antiterroriste, qui doit riposter de
manière adéquate à la menace mondiale constituée par
le terrorisme. Cependant, la Croatie est hostile à la guerre, s'il y a
un moyen de résoudre le problème sans recours à la force.
La balle est dans le camp de l'Irak. Il doit coopérer avec les inspecteurs
de l'ONU. J'estime que la guerre peut encore être évitée.
Qu'avez-vous
répondu aux États-Unis, qui ont demandé à la Croatie
le droit de survoler son territoire en cas de guerre contre l'Irak ?
Nous réservons notre décision. Nous aviserons au cas par cas,
en liaison avec nos partenaires européens.
Le Tribunal
pénal international se plaint d'un manque de coopération de la Croatie.
Avez-vous du mal à l'imposer à votre gouvernement ?
Imposer n'est pas le terme adapté, car la coopération avec
le TPIY est dans notre intérêt. Il est de notre intérêt
d'individualiser la culpabilité pour que les accusations collectives cessent.
PARIS
APPUIE LA CANDIDATURE DE ZAGREB |
PARIS (Reuters,
24/02/2003) - Jacques Chirac a assuré Stipe Mesic du soutien de la France
à la candidature de la Croatie à l'Union européenne, en insistant
sur la nécessaire "solidarité" qu'implique l'intégration
communautaire.
Le
président croate était venu à Paris pour présenter
en personne au président français la demande d'adhésion de
son pays à l'UE, officialisée vendredi dernier.
"Le
président de la République a apporté le soutien de la France
à la démarche de la Croatie. Il a souligné que la Croatie
s'était engagée depuis trois ans dans des réformes courageuses,
difficiles, mais qui répondent à son intérêt",
a rapporté la porte-parole de l'Elysée, Catherine Colonna.
Stipe Mesic a plaidé que "le destin de la Croatie s'inscrit dans le
cadre d'une Europe intégrée".
Jacques Chirac a salué le rôle personnel de Stipe Mesic "pour
marquer de façon nette la rupture avec l'époque nationaliste"
en Croatie, a indiqué Catherine Colonna. Il a en particulier rendu hommage
au témoignage du président croate devant le Tribunal pénal
international (TPI) de La Haye, "un geste fort".
A l'heure où la crise irakienne met à mal la cohésion européenne,
le président français a rappelé que "l'Union européenne
est un ensemble de valeurs et de principes qui comprend la solidarité,
solidarité qui ne peut pas s'entendre comme étant à sens
unique".
MESIC
SE DESOLIDARISE DU GROUPE DE VILNIUS
Une allusion à la déclaration du "Groupe
de Vilnius", dont fait partie la Croatie, qui avait
exprimé sa solidarité avec les Etats-Unis
dans la crise irakienne. Stipe Mesic s'est dissocié
de cet appel, une mise au point "appréciée"
par la France, a dit Jacques Chirac.
Lors du sommet européen extraordinaire de Bruxelles
sur l'Irak, le 17 février, le président français
avait vivement tancé les pays candidats à
l'UE qui se sont alignés sur la position américaine,
estimant qu'ils avaient "manqué une bonne occasion
de se taire".
Le "Groupe de Vilnius" regroupe la Bulgarie, la
Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie, la Lettonie,
l'Estonie, la Lituanie, la Croatie, l'Albanie et la Macédoine.
Stipe Mesic a affirmé la primauté
des Nations unies dans la gestion de la crise irakienne
et précisé qu'une éventuelle action
militaire devrait être décidée sous
leur égide.
Interrogé sur la demande des Etats-Unis de survol
du territoire croate en cas de guerre, Stipe Mesic a déclaré
qu'en sa qualité de membre de "la coalition
antiterroriste", elle fournirait "son aide et
son soutien".
"Nous verrons ce qu'il convient de faire. Nous nous
entretiendrons avec nos amis européens. De toute
façon, nous harmoniserons notre position avec eux.
Il me semble que nous devons coopérer à la
fois avec les Etats-Unis et nos partenaires européens",
a-t-il dit.
"Les solutions que nous adopterons seront les solutions
les plus intéressantes pour la Croatie", a-t-il
ajouté sans plus de précisions.
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Deux
généraux croates, Janko Bobetko, ancien chef d'état-major,
et Ante Gotovina, sont réclamés par le TPIY, qui les accuse d'avoir
commis des crimes de guerre au début des années 90. La Croatie refuse-t-elle
de les livrer ?
Le tribunal de La Haye souhaitait interroger trois généraux
croates. Le général Rahim Ademi s'est présenté de
lui-même au tribunal, qui l'a laissé en liberté provisoire.
Le général Bobetko a 84 ans, il est malade et hospitalisé.
Ses médecins ont certifié que son état de santé ne
lui permettait pas de comparaître. Un nouvel examen médical est prévu
dans 4 mois. Le général Gotovina, lui, est en fuite. Nous ne savons
pas où il est. Tout est mis en oeuvre pour qu'il puisse comparaître
devant le TPIY. Et il a encore la possibilité de se livrer de son plein
gré.
L'Union
européenne vous incite à accepter le retour des
réfugiés et à protéger les minorités.
Quelles mesures prenez-vous ?
Nous souhaitons que tous nos citoyens, quelle que soit leur appartenance
ethnique, puissent revenir dans leur foyer et disposer librement de leurs biens.
C'est dans notre intérêt. Cela prouverait que la Croatie est un État
de droit et que notre démocratie est mûre.
Donc,
vous appelez les Serbes partis en 1995 à revenir en Krajina
?
Oui, absolument. Eux aussi sont des victimes
de la guerre. Avant tout, ils sont victimes du régime de
Sloboban Milosevic, qui les avait convaincus que tous les Serbes
devaient vivre dans un même État et que la Serbie
devait s'élargir aux dépens de la Croatie et de
la Bosnie.
Vous
avez déposé comme témoin contre Milosevic
à La Haye. Quelles leçons tirez-vous de ce procès
?
Milosevic voulait une grande
Serbie, à 100% «ethniquement pure». Il
a planifié cette guerre, planifié le génocide.
Son procès doit être conduit de manière équitable.
Il doit répondre du rôle qu'il a joué pendant
la guerre et des crimes commis. Là aussi, il convient d'individualiser
la responsabilité. Jusqu'à présent, le procès
a pu démontrer que Milosevic avait trompé non seulement
la communauté internationale, mais aussi son propre peuple.
En Serbie,
le conflit persiste entre les partisans de l'occidentalisation et le camp ultranationaliste.
Qui va finir par s'imposer, à votre avis ?
Je pense que la tendance pro-occidentale l'emportera. Les extrémistes
ont beau constituer un groupe significatif, ils sont néanmoins minoritaires.
L'avenir
du Kosovo est un problème clé des Balkans, qui n'a toujours pas
été résolu. Comment le voyez-vous ?
C'est au Kosovo en particulier que Milosevic a mis en place une politique
génocidaire. Son projet était de vider le Kosovo des Albanais de
souche. Cette politique a laissé des traces terribles. C'est précisément
la raison pour laquelle il est très difficile aujourd'hui d'établir
un lien formel entre le Kosovo et la Serbie. Le Kosovo a aujourd'hui ses élus,
son Parlement, ses institutions. Il est en position de négocier. La solution,
cependant, ne sera apportée qu'au moment de l'entrée dans l'Union
européenne, car la Serbie ne pourra pas adhérer tant que ce problème
n'aura pas été résolu.
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