2/12/2003
LÉGISLATIVES
Victoire
de la droite
Le
HDZ devra composer avec les centristes et les libéraux
pour gouverner
Arrivés en tête
mais handicapés par le revers de leurs alliés libéraux
et centristes du HSLS-DC, les conservateurs du HDZ (Union démocratique
croate) s’efforcent de réunir les soutiens nécessaires
à la mise sur pied d’une majorité stable au
Sabor. Leur président, Ivo Sanader, est le mieux placé
pour se voir confier la formation du prochain gouvernement. Présidée
par Stipe Mesic, issu du HNS (gauche), la Croatie devrait connaître
sa première véritable cohabitation à la tête
de l’Etat depuis l'indépendance.
|
Ivo
Sanader, le président du HDZ, devrait être
nommé Premier ministre. |
Selon les résultats définitifs
rendus publics
le 2 décembre par la Commission électorale
nationale, l’Union démocratique croate (HDZ) de Ivo
Sanader est arrivée en tête du scrutin législatif
du 23 novembre 2003 en remportant à elle seule 66 des 152
sièges au Sabor, contre 64 aux partis de la majorité
sortante. Les conservateurs reviennent aujourd’hui au pouvoir
après quatre années passées dans l’opposition.
Entre-temps la plus importante formation politique croate s’est
réformée, revendiquant un programme de centre-droit.
De fait, elle a rejoint le Parti populaire européen (PPE)
en 2002. Recentrant son discours sur le thème de l’adhésion
de la Croatie à l’UE, le HDZ a d’ores et déjà
fait connaître sa volonté de donner un coup d’accélérateur
au processus d'intégration européenne.
Prenant
acte du revers essuyé par la coalition rassemblée
autour des sociaux-démocrates du SDP, le Premier ministre
sortant, Ivica Racan, a félicité
son adversaire dès l’annonce des premiers résultats.
La gauche avait été portée au pouvoir en
2000, lors de la première alternance depuis l’indépendance,
après dix années de suprématie de la droite.
Toutefois, une analyse plus fine des résultats du scrutin,
les accords que devra passer le HDZ pour former sa majorité,
l’émiettement au centre, amènent à
des conclusions plus nuancées tant il apparaît au
vu des chiffres que jamais auparavant le rapport des forces n’avait
été aussi serré entre droite et gauche, signe
que la Croatie est désormais entrée dans une nouvelle
phase de maturité démocratique.
La nouvelle majorité
A droite, le HDZ est sans conteste le grand vainqueur.
A lui seul, il remporte 62 sièges dans les dix circonscriptions
de la Croatie métropolitaine, auxquels s’ajoutent
quatre députés élus par les Croates résidant
à l’étranger. S’il manque de onze sièges
la majorité absolue, le parti de Ivo Sanader enregistre
néanmoins un franc succès, le nombre de ses élus
passant de 31 à 66. Un électeur sur trois lui
a accordé sa confiance, puisqu’il recueille 33,23
% des 2 409 240 suffrages exprimés en métropole
(34,91 % si l’on ajoute les voix obtenues parmi les 69 727
suffrages des Croates à l'étranger). En tête
dans huit circonscriptions sur dix, son score est particulièrement
élevé dans ses fiefs traditionnels, en Slavonie
et surtout en Dalmatie, où il est parvenu à convaincre
jusqu’à près d’un électeur sur
deux (48,6 % dans la 9e circonscription – régions
de Zadar et de Sibenik).
Jamais
auparavant le rapport des forces n’avait été
aussi serré entre droite et gauche, signe que la
Croatie est désormais entrée dans une nouvelle
phase de maturité démocratique. |
Du côté de la coalition des libéraux
du HSLS et des centristes du DC, en revanche, c’est la déception.
Ni Drazen Budisa, leader des libéraux, ni Mate Granic,
chef des centristes, pourtant arrivés respectivement en
deuxième et troisième place de la course à
la présidence en 2000, n'ont été réélus.
Grands perdants du scrutin, leur liste commune n’a recueilli
que 4,13 % des suffrages au plan national et ils ne parviennent
ensemble à conserver que trois députés :
deux pour le HSLS, contre quatorze auparavant, et un seul pour
le DC, contre trois précédemment. Conséquence
de cet échec, et privé du renfort attendu de ses
principaux alliés, le HDZ se voit désormais obligé
de rechercher d’autres partenaires disposés à
lui apporter leur soutien.
A droite du HDZ, le parti du Droit (HSP) de Anto
Djapic recueille quant à lui 6,46 % des suffrages au plan
national (6,38 % si l’on inclut la diaspora), soit un point
de plus qu’aux dernières législatives où
il avait obtenu 5,17 % des voix. Mais c’est surtout en sièges
qu’il enregistre un succès puisqu’il double
l’effectif de sa représentation au Sabor, passant
de 4 à 8 sièges. Cependant, le HSP, qui a d’ores
et déjà fait savoir qu’il entend rester dans
l’opposition, ne parvient pas à se départir
d’une image de parti nationaliste, malgré son récent
aggiornamento pro-européen et le ralliement d'une personnalité
modérée comme Slaven Letica.
La coalition sortante
A gauche, malgré le revers électoral,
les sociaux-démocrates (SDP) du Premier ministre sortant
demeurent la principale force politique autour de laquelle devrait
se rassembler la nouvelle opposition. Bien qu’accusant un
recul de dix sièges, le parti d'Ivica Racan obtiennent
néanmoins 34 députés sous leur étiquette.
A cela s’ajoutent encore dix sièges pour leurs partenaires
(Libéraux de gauche – LS et Libra – et régionalistes
istriens de l'IDS) avec lesquels ils ont fait liste commune dans
six circonscriptions. De ce fait, on ne peut connaître précisément
le nombre de suffrages dont a été crédité
le SDP à lui tout seul. La liste conduite par le SDP arrive
en tête dans deux circonscriptions : à Zagreb, dans
la 1ere circonscription, où il s’est présenté
seul, et en Istrie, fief de l'IDS d'Ivan Jakovcic, avec lequel
il a fait alliance dans
la 8e circonscription. Parmi ses partenaires, les libéraux
de gauche ne conservent que cinq sièges sur quatorze, dont
deux pour le LS d'Ivo Banac (contre quatre auparavant) et trois
pour Libra de Jozo Rados (contre dix). Seul à se maintenir,
le parti istrien préserve quant à lui ses quatre
députés. Au total, la coalition SDP-LS-Libra-IDS
recueille 23,27 % des suffrages, soit près d’une
voix sur quatre.
S’affirmant désormais comme le deuxième
pilier de la majorité sortante, ancré sur l’échiquier
politique à la gauche des sociaux-démocrates, le
parti populaire (HNS) enregistre,
contrairement au SDP, un très large succès : alors
qu’il ne disposait précédemment que de deux
modestes sièges au Sabor, il en obtient dix, onze si l’on
ajoute son partenaire régionaliste du PGS. Avec 8,25 %
des suffrages, le parti de Vesna Pusic, dont est issu le président
de la République, Stipe Mesic, arrive même en troisième
position, immédiatement après le HDZ et le SDP.
Il obtient d'ailleurs 15,3 % des voix dans
le Zagorje (3e
circonscription), fief de Radimir
Cacic, le populaire ministre de la Reconstruction et des
Travaux publics.
Un centre hétérogène
LES
15 PARTIS REPRÉSENTÉS
AU SABOR |
Liens
vers les sites Internet |
|
DC
- démocrates centristes |
|
HDSS
- parti démocrate-paysan |
|
HDZ
- union démocratique |
|
HSU
- parti des retraités |
|
HNS
- parti populaire |
|
HSLS
- sociaux-libéraux |
|
HSP
- parti du droit |
|
HSS
- parti paysan |
|
IDS
- diète démocratique istrienne |
|
Libra
- sociaux-libéraux |
|
LS
- parti libéral |
|
PGS
- Union de Gorski kotar |
|
SDP
- sociaux-démocrates |
|
SDSS
- parti autonome et démocratique serbe |
|
SDAH
- parti d'action démocratique de Croatie |
Membre de la majorité sortante quoique
de d’obédience centriste, le parti paysan (HSS) fait
également les frais de l’usure du pouvoir puisqu’il
perd six sièges pour n’en conserver que dix (y compris
la députée HSS élue par la minorité
tchèque et slovaque), ce qui le ramène à
son score de 1995. Quatrième force politique avec 7,26
% des voix, le HSS s’est dès l'issue du scrutin vu
proposer l’idée de rallier la coalition du HDZ, lequel
cherche à combler le vide laissé par le revers de
ses alliés du HSLS-DC. Cependant, alors qu’un accord
semblait acquis, le leader du HSS et président sortant
du Sabor, Zlatko Tomcic, a
finalement décliné l’offre du HDZ. Plus exactement,
il s’est dit prêt à soutenir la nouvelle majorité,
au cas par cas, mais a refusé de participer au gouvernement,
perspective qui, semble-t-il, n’avait pas les faveurs d’une
partie des élus du HSS, demeurés fidèles
à la majorité sortante.
En revanche, Ivo Loncar, seul député
du parti démocrate-paysan (HDSS), né d’une
scission au sein du HSS, a d’ores et déjà
fait savoir qu’il rejoignait la nouvelle majorité.
C’est aussi le cas du parti des retraités (HSU) de
Vladimir Jordan, qui a créé la surprise en faisant
son entrée au Sabor avec trois députés en
recueillant 4,08 % des suffrages en moyenne, et jusqu’à
6,14 % dans la 3e circonscription.
Les représentants des minorités
Enfin, parmi les huit députés élus
par les minorités nationales,
trois ont déjà fait savoir qu’ils soutiendraient
la coalition formée par le HDZ : Semso Tankovic, représentant
notamment la minorité bosniaque, Jene Adam, élu
de la minorité hongroise, et Nikola Mak, représentant,
entre autres, les minorités autrichienne et allemande.
Tout
récemment, Furio Radin, représentant de la minorité
italienne, s'est également dit prêt à rejoindre
la coalition du HDZ, ce qui porterait leur nombre à quatre.
Les négociations se poursuivent
avec les trois députés de la minorité serbe,
élus du SDSS, Vojislav Stanimirovic, Milorad Pupovac et
Ratko Gajica. Enfin, Zdenka Cuhnil, élue représentante
des minorités tchèque et slovaque, mais en même
temps député du HSS, s'est alignée sur la
décision du parti paysan de soutenir au cas par cas le
HDZ sans rejoindre son alliance. Bien que 331 000 citoyens
croates (soit 7,5 % de la population) s'identifient à
une des minorités nationales, seuls 65 750 électeurs
ont choisi de donner
leur voix pour l'une des six listes
représentant les minorités. Illustration de leur
bonne intégration, la grande majorité a quant à
elle préféré voter
pour la circonscription de leur lieu de résidence,
à l'instar des autres citoyens croates.
Laborieuse majorité
Ainsi, il apparaît que, pour s’assurer
une majorité parlementaire, le HDZ sera nécessairement
amené à composer avec des formations politiques
plus modestes, et c’est là une nouveauté par
rapport à la période 1990-1999 où il avait
bénéficié d’une confortable majorité
lui permettant de gouverner seul. Jusqu’à présent,
les tractations avec ses partenaires potentiels ont abouti au
ralliement de dix députés hors de ses rangs (3 HSU,
2 HSLS, 1 DC, 1 HDSS et 3 députés représentant
les minorités), ce qui porte sa coalition parlementaire
à 76 sièges, c’est-à-dire exactement
à la moitié des 152 sièges du Sabor,
voire à 77 si l'on ajoute Furio Radin. Il apparaît
dans cette situation, que chaque soutien se révèle
indispensable et, avant tout, celui promis par les centristes
du HSS, mais qui n’ira pas sans concessions.
(Survolez le logo
pour connaître le nom du
député correspondant
et celui de son parti)
L'EFFECTIF
PARLEMENTAIRE DES PARTIS SIÉGEANT AU SABOR |
Parti |
Nombre
d'élus |
|
Parti |
Nombre
d'élus |
|
|
|
|
|
HDZ |
66 |
|
SDP |
34 |
HSP |
8 |
|
HNS |
10 |
HSU |
3 |
|
HSS |
10 |
HSLS |
2 |
|
IDS |
4 |
DC |
1 |
|
Libra |
3 |
HDSS |
1 |
|
LS |
2 |
SDSS
- minorité serbe |
3 |
|
PGS |
1 |
SDAH
- minorité bosniaque |
1 |
|
Autres
minorités |
4
(dont 1 HSS) |
Structurellement, le rapport de
force entre gauche et droite est légèrement en faveur
de cette dernière qui recueille 43,81 % des suffrages (HDZ,
HSLS-DC et HSP) contre 38,78 % à la coalition de gauche
(SDP, Libra, LS, IDS, HNS et HSS). A cela s’ajoutent les
quelque 4 % au parti des retraités, inclassable, et les
0,71 % du HDSS, tandis que les 12,62 % de voix restantes
se sont « perdues » sur des listes marginales
qui n’ont pas passé le seuil électoral, fixé
à 5 %. Plus largement, la tendance générale
qui se dégage de l’analyse du scrutin laisse clairement
apparaître, à droite comme à gauche, un glissement
vers le centre des deux grandes formations politiques, respectivement
du HDZ et de la coalition conduite par le SDP.
Conséquence directe, les formations centristes,
prises en tenaille, en ressortent laminées, tandis que
sur les flancs, l’espace ainsi laissé vacant aux
deux extrémités profite mécaniquement sur
l’aile gauche, au HNS, et sur l’aile droite, au HSP,
qui sortent renforcés de ce scrutin. En revanche, le HSS,
le HSLS, le DC et les libéraux de gauche connaissent un
émiettement qui se traduit par une diminution sensible
de leur poids au Sabor, fondant littéralement, toutes tendances
confondues, de 48 à 18 sièges.
Cohabitation
Avec 26 femmes élues contre 34 précédemment,
la parité hommes-femmes enregistre également un
net recul, puisque qu’il n’y a désormais plus
que 17 % de représentants de la gent féminine
comparés à près d’un quart au cours
de la précédente législature.
Structurellement,
le rapport de force entre gauche et droite est légèrement
en faveur de cette dernière qui recueille 43,81 %
des suffrages (HDZ, HSLS-DC et HSP) contre 38,78 % à
la coalition de gauche (SDP, Libra, LS, IDS, HNS et HSS). |
On observe, par ailleurs, une certaine démobilisation,
puisqu'en Croatie même seuls deux électeurs sur trois
se sont rendus aux urnes (66,83 %) contre plus de trois sur quatre
aux dernières législatives (76,68 %). Bien
que cela ne soit pas a priori exclu, rien ne permet d’affirmer
cependant que l’abstention s'est faite aux dépens
de certains partis plutôt que d’autres, en l’occurrence
de ceux du centre.
Enfin, la récente victoire des conservateurs
marque aussi la première véritable cohabitation
à la tête de l’État, puisque le président
de la République, Stipe Mesic,
a été jusqu’à son élection à
la magistrature suprême le membre le plus éminent
du HNS. Si au cours de la dernière législature certains
avaient déjà parlé de cohabitation, puisque
le chef du gouvernement était, lui, issu du SDP, il n’en
demeurait pas moins que le chef de l’État et le Premier
ministre appartenaient à la même coalition de gauche,
ce qui contribuait à atténuer d'éventuelles
divergences. Ce ne sera désormais plus le cas, du moins
jusqu’aux présidentielles de 2005. Compte tenu des
larges prérogatives que la Constitution
croate, inspirée de celle de la Ve République
française, accorde au président de la République
(notamment en matière de politique étrangère,
de défense et de sécurité, sans parler de
son droit de dissolution), les grandes orientations politiques
feront très probablement l’objet d’une concertation
au sommet de l’État. Abondant dans ce sens en commentant
le programme pro-européen du HDZ, le président Mesic,
s'est
pour sa part réjoui de pouvoir constater
que le HDZ n'est
plus le parti dont il avait lui-même claqué la porte
en 1994, pour cause de divergences politiques profondes.
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