14/05/2001
CONFÉRENCE
Ivica
Racan
Premier ministre
de la République de Croatie
« L'Intégration
de la Croatie dans l'Union européenne et dans l'OTAN : une contribution
capitale à la stabilité régionale »
Institut Français des Relations Internationales (Paris)
|
Ivica
Racan
Premier ministre croate |
La
Croatie poursuit avant tout deux objectifs
stratégiques : rejoindre l'UE et l'OTAN. Le soutien de
Paris est à cet égard capital et la bonne entente
franco-croate s'est illustrée lors du Sommet
de Zagreb en novembre 2000. La France a aussi un rôle
essentiel à jouer comme partenaire commercial dans le décollage
économique de la Croatie. En signant l'Accord
de Stabilisation et d'Association avec l'UE, la Croatie devient
membre associé avec l'Union. Elle se donne cinq ans pour
remplir les critères d'adhésion. Dans le même
temps elle intensifie son dialogue avec l'OTAN.
Tout cela lui donne le rôle d'élément clé
de la stabilisation régionale, qui contribue aux efforts
de la communauté internationale. La Croatie soutien sans
réserve l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine
et l'application des accords de Dayton. Pays charnière entre
Méditerranée, Europe centrale et Europe du Sud-Est,
la Croatie est favorable à une coopération régionale
multiple.
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur et une joie d'avoir ici aujourd'hui
l'occasion de vous présenter les orientations stratégiques de la
politique étrangère croate, d'aborder le thème de notre intégration
dans l'Union européenne et dans l'OTAN.
Je souhaiterais cependant remercier en premier lieu Monsieur Thierry
de Montbrial, Directeur de l'IFRI, de nous avoir offert la possibilité
d'organiser cette conférence. Je suis heureux de pouvoir délivrer
notre message dans l'enceinte de l'Institut français des relations
internationales, de renommée mondiale, ainsi que d'échanger avec
vous nos points de vue autour de questions essentielles qui relèvent
de notre intérêt commun.
Lorsque je parle d'objectifs stratégiques de notre politique étrangère,
j'entends par-là notre ferme détermination à parvenir à la pleine
intégration de la Croatie dans l'Union européenne et dans l'OTAN.
Il s'agit-là de notre volonté d'occuper la place que nous estimons
être la nôtre au sein de la communauté des démocraties européennes
et euroatlantiques, profondément unies par leur attachement aux
valeurs communes que sont la démocratie parlementaire, le respect
des droits de l'homme, la stabilité internationale et la libre entreprise.
Mesdames, Messieurs,
C'est pour
moi une grande satisfaction de pouvoir vous en entretenir précisément aujourd'hui,
peu avant ma rencontre avec le Premier ministre français, Monsieur Lionel Jospin.
La contribution historique et culturelle de la France, tant à l'histoire qu'à
la civilisation européenne, est incomparable. La France est aussi l'un des principaux
architectes de la nouvelle Europe qui, depuis le début de l'année dernière - c'est-à-dire
depuis l'alternance démocratique que les dernières élections nous ont apportée
-, nous ait soutenus dans notre rapprochement avec l'Union européenne, à travers
notamment le processus de « Stabilisation et d'Association ».
Le soutien de Paris et le savoir-faire français
Cette confiance mutuelle et ce partenariat, nous les avons parfaitement
démontrés à l'occasion de l'organisation conjointe du « Sommet
de Zagreb », en novembre dernier, durant la présidence
française de l'Union européenne. Cette dynamique, nous souhaitons
absolument la maintenir et sans cesse la renforcer au cours de la
prochaine phase, plus avancée, de nos relations avec l'Union. Aussi
tenons-nous, dans cette phase qui s'ouvre aujourd'hui, accéder -
par nos propres mérites - du stade actuel de « candidat
potentiel » à celui de candidat à part entière, et finalement
d'État membre. Nous voulons compter sur le soutien de la France
dans cette voie.
Permettez-moi de souligner le fait que la France soit aussi à nos
yeux un partenaire commercial très
proche. En maintenant une politique de stabilité macroéconomique,
mon gouvernement a engagé la réhabilitation de notre économie. Le
secteur bancaire a été consolidé, plusieurs branches industrielles
de premier plan, comme la construction navale, l'industrie chimique
ou agroalimentaire font preuve d'une compétitivité croissante sur
les marchés internationaux. Le tourisme
affiche chaque année de meilleurs résultats. Notre proximité avec
les grands marchés européens, nos ports de commerce, notre potentiel
touristique et notre main d'œuvre qualifiée représentent, sans aucun
doute, des atouts majeurs.
Les entreprises françaises ont un rôle important d'investisseur
à jouer dans le processus de privatisation de notre économie,
en tant que partenaires au sein de joint-ventures ou en prenant
part à nos projets dans le domaines des infrastructures. Notre objectif
est d'attirer les investisseurs français, à notre profit mutuel,
et plus généralement d'accroître le volume de nos échanges commerciaux.
Dans ce partenariat, nous souhaiterions que le transfert des compétences,
plus exactement du savoir-faire français, deviennent l'un des moteurs
de notre développement.
Les chefs d'entreprises français, que j'ai aujourd'hui le plaisir
de saluer ici, auront notamment la possibilité de s'entretenir plus
en détails des opportunités commerciales qu'offre la Croatie avec
le ministre de l'Économie, M. Goranko Fizulic, ici-même à l'Institut,
après cette conférence.
La Croatie prête à rejoindre l'UE dès 2006
D'autre part, le fait que soit officiellement paraphé aujourd'hui
même à Bruxelles notre Accord de Stabilisation et d'Association
(ASA) avec l'Union européenne fournit un
contexte heureux au volet européen des entretiens franco-croates.
Après la conclusion de cet Accord, notre objectif sera de remplir
scrupuleusement et dans les meilleurs délais les engagements que
nous y avons souscrits et que nous considérons comme une impulsion,
d'autant qu'ils figurent déjà dans le programme de mon gouvernement.
Nous voyons en le processus de « Stabilisation et d'Association »
l'instrument central de la stabilisation de la région, parallèlement
à l'ouverture de perspectives claires et encourageantes d'adhésion
à l'Union européenne, fondées sur une base individuelle, comme cela
a été aussi réaffirmé dans les conclusions du « Sommet
de Zagreb ».
Aussi, nous sommes résolument déterminés à poursuivre le rythme
accéléré de nos négociations avec la Commission européenne. Le gouvernement
croate s'est donné jusqu'à 2006 pour tout mettre en œuvre sur le
plan législatif et pratique afin que, d'ici là, la Croatie soit
prête à rejoindre l'Union. Le processus d'intégration à l'Union
européenne nous garantit pour sa part le renforcement de notre démocratie
parlementaire, le respect des droits de l'homme universels et particuliers,
celui de nos minorités -
ce qui, dans notre cas est lié au retour sans entraves de tous les
réfugiés -, en un mot, il nous permet de développer une société
citoyenne tolérante. Sur le plan économique, il nous assure une
réduction du chômage, une croissance économique accrue et davantage
d'investissements étrangers.
Les conditions à remplir au cours de ce processus sont à nos yeux
le prix de notre prospérité, elles sont nécessaires pour surmonter
les difficultés de la transition auxquelles nous sommes confrontés
aujourd'hui. Il est particulièrement important de rappeler que la
très grande majorité de mes concitoyens est favorable à l'intégration
le plus tôt possible de la Croatie dans l'Union européenne. C'est
donc avec optimisme que nous tablons sur le fait que la Croatie
aura rempli les critères d'adhésion et sera prête pour la deuxième
phase d'élargissement de l'Union.
Nous ferons officiellement acte de candidature, en consultation
avec nos partenaires européens, dès que nous estimerons avoir réuni
les conditions nécessaires.
Intensification du dialogue avec l'OTAN
Sur le plan de la sécurité internationale, notre objectif stratégique
est de rejoindre l'OTAN, en tant qu'alliance militaire constituant
le principal garant de la paix en Europe - avec une politique européenne
de sécurité et de défense commune qui complète et renforce l'alliance
atlantique. En réunissant toutes les conditions politiques requises
dans ce processus de rapprochement avec l'OTAN, nous élevons par
la même occasion le niveau de nos relations civiles et militaires
et celui de nos forces armées aux normes des démocraties de la zone
euroatlantique.
C'est ici pour moi l'occasion particulière d'évoquer notre rapprochement
avec l'OTAN, quelques jours seulement après ma participation, la
semaine dernière à Bratislava, à la réunion des chefs de gouvernement
du « Groupe de Vilnius », groupe de pays candidats
à l'OTAN, qui partagent solidairement une vision et des principes
communs, et que la Croatie a désormais rejoint.
D'autre part, notre rapprochement avec l'OTAN sera au centre de
l'entretien que j'aurai après-demain à Bruxelles avec le Secrétaire
général, lord George Robertson. J'aurai également l'occasion d'en
parler à la Session du Conseil de l'Atlantique Nord et d'y exposer
les progrès accomplis ces quinze derniers mois aux délégués permanents
des États membres. Ces discussions à l'OTAN amorcent l'intensification
de notre dialogue avec l'organisation. Ils sont l'expression de
notre volonté d'obtenir, le plus tôt possible, notre Plan d'Action
pour l'Adhésion, le plan concret des conditions à remplir pour devenir
membre.
Je crois finalement que les événements que j'ai évoqués résument
parfaitement les principaux points auxquels nous aspirons : ce sera
la teneur des entretiens que j'aurai avec le Premier ministre Lionel
Jospin, c'est aussi le contenu de l'Accord de Stabilisation et d'Association
avec l'Union européenne, le deux intervenant entre la réunion des
chefs de gouvernements des États du « Groupe de Vilnius »
et ma participation à la Session du Conseil de l'Atlantique Nord.
Mesdames, Messieurs,
La stabilité de la Croatie, les réformes qu'elle entreprend et sa
contribution aux efforts déployés par la communauté internationale
lui ont assigné un rôle de partenaire constructif dans la diffusion
de la paix et de la stabilité dans la région.
Stabilité régionale : Dayton et La Haye
Ce rôle de facteur de stabilité, la Croatie l'assume en toute conscience,
avec détermination et responsabilité. Dans la région, notre première
tâche consiste à consolider la paix, la stabilité et à parvenir
à une solution politique durable en Bosnie-Herzégovine.
Par ailleurs, la Croatie apporte son plein soutien à la Bosnie-Herzégovine
dans sa demande visant à rejoindre le Conseil de l'Europe. Il a
toujours été dans notre intérêt, et cela le demeure, que la Bosnie-Herzégovine
soit un État souverain et indépendant dont les trois peuples constitutifs
jouissent des mêmes droits sur l'ensemble du territoire. Nous avons
accordé notre ferme appui aux autorités de la Bosnie-Herzégovine
et, pour notre part, mettons tout en œuvre afin de dissuader chacun
de tout extrémisme, en particulier parmi les Croates de Bosnie-Herzégovine.
Nous nous attachons à apporter une contribution constructive aux
efforts de la communauté internationale et des ses représentants
en Bosnie-Herzégovine.
Étant donné que la Croatie partage avec cet Etat près de 1000 km
de frontières, il est évident que sa stabilité relève pour nous
de la plus haute importance. La Croatie n'est pas favorable à l'entretien
de relations particulières avec une seule partie de la Bosnie-Herzégovine,
mais avec le pays tout entier. Nous considérons donc que des liens
privilégiés entre Zagreb et la Fédération d'une part, et entre Belgrade
et la République serbe, d'autre part, ne servent pas l'unité de
la Bosnie-Herzégovine, mais contribuent au contraire à entretenir
une situation de crise. Nous y avons donc pour notre part renoncé.
Les Accords de Dayton, de ce point de vue-là, ne peuvent être appliqués
de manière sélective, chacun y prenant ce qui lui convient, comme
dans un supermarché ; ils forment un tout. Dayton ce
n'est donc pas seulement le partage de la Bosnie-Herzégovine en
deux entités, c'est aussi la pleine et stricte égalité des trois
peuples constitutifs et de l'ensemble des citoyens sur l'ensemble
du territoire de la Bosnie-Herzégovine.
Nous constatons malheureusement tous que l'instabilité de cette
région perdure, malgré la fin du règne de Slobodan Milosevic et
de son régime, qui ont été les instigateurs de la crise, des guerres
et de crimes durant plus de dix ans. La vieille menace produit encore
ses effets ; on le voit dans les tensions qui éclatent en Bosnie-Herzégovine.
Elle a aussi laissé place à de nouvelles menaces, qui se manifestent
dans la crise de Macédoine.
Nous considérons en outre que le châtiment des crimes de guerres,
de quelque côté qu'ils fussent commis, demeure un élément clé pour
l'ensemble du processus de normalisation, de réconciliation et de
coopération dans la région. Or ceci est dans notre intérêt stratégique.
En Croatie, mon gouvernement est absolument résolu sur ce point,
aussi bien à travers notre coopération avec le Tribunal pénal international
de La Haye, que par les enquêtes sur les crimes menées par notre
propre justice et sanctionnés par elle.
La guerre défensive que nous avons dû mener était une guerre
juste. Malheureusement, en marge de celle-ci, un certain nombre
d'actes condamnables et de crimes ont été commis et nous n'avons
pas l'intention de les mettre sous le boisseau. Plusieurs condamnations,
notamment celle d'un général célèbre, ont déjà
été prononcées. Nous entendons donc faire face aux pages les plus
sombres de notre histoire récente, ce qui n'est pas certes chose
aisée. D'ailleurs des Etats bien plus importants que la Croatie
ont encore beaucoup de difficultés à ce sujet. Nous attendons pour
notre part de la communauté internationale qu'elle ne renonce pas
à appliquer à tous les pays concernés les mêmes critères à l'égard
de la nécessité de coopérer avec La Haye.
Coopération régionale multiple
La Croatie appartient simultanément à trois régions - la Méditerranée,
l'Europe centrale et l'Europe du Sud-Est. Développer tous ses potentiels
signifie mettre à profit cette situation unique qui est celle d'un
pays charnière entre ces régions. Nous sommes disposés à mettre
en œuvre tout ce qui est en notre pouvoir en faveur de la stabilisation
de tout le sud-est européen, mais nous ne pouvons pas pour autant
devenir les otages des questions qui y demeurent encore ouvertes.
Les progrès enregistrés dans les processus d'intégration doivent
se fonder, comme cela a toujours été le cas, sur les aspirations
et les résultats de chacun. Chaque avancée individuelle vers l'intégration
représente en effet une incitation à d'autres pour lui emboîter
le pas. L'extension de l'intégration ne pourra que renforcer la
stabilité de la région.
Cependant, même une fois intégrée à l'Union européenne, la Croatie,
pas plus qu'un autre Etat, ne souhaiterait voir cette union s'arrêter
à ses frontières, ce qui signifierait se retrouver en lisière
d'une zone d'instabilité. Nous sommes donc tout à fait favorables
à une coopération régionale - pour peu qu'elle ne se limite
pas toujours à une seule et même région parmi les trois
auxquelles appartient la Croatie. Ce à quoi nous ne pouvons
souscrire, c'est en revanche à un destin régional sur la
route qui doit nous mener vers Bruxelles.
Les critères d'intégration dans l'Union européenne et dans l'OTAN
sont clairs, aussi est-ce sans hésitation aucune et avec toute notre
énergie que nous avons déjà commencé à les remplir.
Je vous remercie de votre attention./.
Traduit par le service de presse de l'ambassade
|