14/05/2001
LE FIGARO
CROATIE
- Un entretien avec le premier ministre
Ivica Racan : « Nous
nous sommes ouverts à l'Europe »
Ancien communiste yougoslave, à la tête du Parti social-démocrate depuis 1991,
Ivica Racan a été nommé chef du gouvernement croate en janvier 2000, après la
défaite du parti nationaliste HDZ de Franjo Tudjman. Son pays a signé hier à Bruxelles
un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, première
étape vers une éventuelle candidature de Zagreb à l'UE.
Propos recueillis par Isabelle Lasserre
LE FIGARO. - Comment envisagez-vous les relations de la Croatie et de l'Union
européenne?
Ivica RACAN. - Nous sommes satisfaits du processus de rapprochement mais
il est très important que l'approche individuelle prime sur l'approche collective.
La Croatie soutient la coopération régionale mais elle dit non à un destin collectif
des Balkans dans l'Union européenne. En matière d'intégration, l'Union devrait,
selon nous, accepter l'option optimale. Nous réfutons l'idée selon laquelle l'arrivée
de nouveaux membres créerait de nouveaux problèmes à l'UE. Ils peuvent au contraire
lui apporter plus de vitalité.
Quels
progrès avez-vous réalisés pour satisfaire les critères d'adhésion de l'Union
européenne?
Nous avons ouvert la Croatie à l'Europe. Nous menons une politique
de coopération régionale. Nous avons également fait un pas vers
la stabilisation économique de la Croatie et nous avons renforcé
les institutions démocratiques. Quant aux minorités
nationales, elles bénéficient sans doute du plus haut degré
de liberté accordé dans l'Europe démocratique. Le gouvernement
s'est engagé à résoudre la question des réfugiés et des déplacés
d'ici à la fin 2002. Nous sommes conscients que pour devenir membre
de l'Union européenne il faut se conformer à ses règles et nous
le ferons dans les années qui viennent.
Les nationalistes s'opposent à la collaboration de Zagreb avec le Tribunal
pénal international. Le HDZ constitue-t-il encore une entrave à la démocratisation
du pays ?
L'ultranationalisme existe partout en Europe et donc aussi en Croatie. Pas au
point cependant d'entraver sérieusement le processus démocratique. Nous avons
mené une guerre de défense contre l'agression serbe et cette guerre était juste.
Mais en marge de cette guerre certains Croates ont commis des crimes de guerre.
Certains ont déjà été arrêtés. Nous ne souhaitons pas occulter notre passé récent.
Et nous ne voulons pas être otages de ce passé. Nous le savons tous : certains
pays importants ont eu du mal à faire la lumière sur le leur...
Comment jugez-vous l'évolution de la Serbie ?
Nous nous en félicitons mais le processus de normalisation en
Serbie ne sera ni facile ni rapide. II était en fait bien plus
simple d'écarter Milosevic que de rompre avec sa politique. Belgrade
a encore du chemin à parcourir. Il faudrait notamment revenir
sur l'idée de Grande
Serbie, dont les victimes furent les peuples voisins et pas
seulement le peuple serbe. Il faudrait élucider et dénoncer les
mythes fondateurs de ce projet de Milosevic, articulé au sein
de l'Académie des sciences. Il appartient aux intellectuels serbes
de rembourser leurs dettes, de renverser ce projet. Et la Croatie
souhaite soutenir ce processus.
Quelle est votre analyse sur les dysfonctionnements du processus de paix en
Bosnie ?
Il nous faut faire un pas nouveau en Bosnie. Ne pas aller à l'encontre des accords
de Dayton mais trouver une nouvelle direction. Une Bosnie divisée en deux entités
ne peut produire qu'un État instable et un foyer de crise. Cet État ne peut se
maintenir que grâce à une écrasante présence de la communauté internationale,
ce qui n'est pas une chose souhaitable. Il faut résoudre les problèmes politiques
de la Bosnie-Herzégovine, assurer, à travers les institutions qui existent, une
égalité entre les citoyens. Zagreb ne soutient aucun extrémisme. C'est pourquoi
nous préférons instaurer des relations spéciales avec la Bosnie dans son ensemble
plutôt qu'avec Mostar, sa partie croate.
Quelle est selon vous la gravité de la crise en Macédoine ?
C'est
une des secousses sismiques qui enflamment les Balkans. La crise interethnique
s'est étendue en Macédoine. Nous avons condamné le terrorisme albanais, nous soutenons
le gouvernement d'union nationale qui vient d'être formé. Mais Skopje va devoir
beaucoup travailler pour développer les autorités locales, accorder davantage
d'autonomie.
©
Le Figaro
23/05/2001
LE NOUVEL OBSERVATEUR
Interview : Ivica Racan,
Premier ministre de Croatie
Balkans : les illusions dangereuses
Le Nouvel Observateur. - Depuis la chute du régime nationaliste à Zagreb,
les relations avec Paris se sont-elles améliorées? Ne craignez-vous pas un nouveau
déséquilibre au profit de la Serbie?
Ivica Racan. - II y a eu un changement de position de la France face à
la Croatie. Mais les relations peuvent encore s'améliorer. Nous ne redoutons pas
le processus de démocratisation à Belgrade. Ce que l'on peut craindre, c'est une
nouvelle partialité dans les relations qu'entretiennent les grands pays européens
avec ceux de notre région. La plus grande responsabilité des événements dans les
Balkans repose certes sur les acteurs locaux. Mais on ne peut pas non plus négliger
les erreurs manifestes de la communauté internationale.
N. O. - La question de votre entrée dans l'Europe était suspendue à
des progrès dans le retour de la minorité serbe en Croatie.
I. Racan. - Cette question montre bien à quel point l'approche européenne
est partiale. Le problème du retour doit être envisagé dans sa totalité. Les Croates
qui veulent retourner en Republika Srpska [des Serbes de Bosnie] ne le peuvent
pas en raison de l'extrémisme [serbe] sur place. Les citoyens croates d'appartenance
serbe, exilés, sont en train de revenir en Croatie, environ 60 000 personnes.
Cela se fait dans un contexte difficile et nous y consacrons des sommes importantes.
Mais notre politique s'est heurtée à certaines autorités locales et à des forces
[nationalistes croates] extrémistes. Malheureusement, l'Europe ne prend pas de
mesures concrètes.
N. 0. - Comment analysez-vous la situation dans les Balkans, où beaucoup
redoutent une nouvelle déstabilisation?
I. Racan. - Le processus de normalisation et de stabilisation des Balkans
n'est ni facile ni rapide. Mais je reste un optimiste modéré. A condition que
la communauté internationale ne commette pas d'erreurs. Les illusions sont dangereuses.
Par exemple, considérer que le travail est fini alors que seul un premier pas
a été franchi. Il a été plus facile d'éloigner la Serbie de Milosevic que de l'éloigner
de la politique de Milosevic, de l'agression, du rêve de la Grande Serbie. Milosevic
n'est pas à lui seul l'auteur de ce projet. Les intellectuels [serbes] l'avaient
formulé bien avant lui. Tant que les fondements de la politique de Milosevic n'auront
pas été dénoncés en Serbie, il sera difficile de parler de stabilité.
N. O. - Comment expliquez-vous la persistance du séparatisme chez les
Croates de Bosnie ?
I. Racan. - La Croatie démocratique condamne ces forces extrémistes. Politiquement,
nous les avons battues en Croatie même et nous les combattons en Herzégovine.
Une Bosnie-Herzégovine divisée n'est pas un État stable. Et la division ne peut
que se renforcer si Zagreb entretient des relations spéciales avec une partie
[croate] de la Bosnie, et Belgrade avec une autre [serbe]. La Croatie doit entretenir
des relations spéciales avec l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Naudet
©
Le Nouvel Observateur
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