06/06/2003

LE MOT DE L'AMBASSADEUR
L'exception américaine
CPI : la demande de Washington met Zagreb dans l'embarras

S. E. M. Bozidar GagroLa Croatie est priée de se prononcer d'ici le 1er juillet sur la proposition d'accord de non-extradition soumise par Washington visant à prémunir les citoyens américains de toutes poursuites que pourrait être amenée à lancer la nouvelle Cour pénale internationale. Un accord qui non seulement suscite les réserves de Bruxelles, mais rencontre une franche opposition dans l'opinion publique en Croatie, pays qui coopère avec le Tribunal pénal de La Haye.

Après le soutien controversé obtenu par les États-Unis à la veille de la guerre en Irak de la part du "groupe de Vilnius", c'est-à-dire des dix pays d’Europe centrale et orientale candidats à l’entrée dans l’Alliance atlantique, un nouveau test leur est imposé, cette fois dans un contexte plus large. Il s'agit des accords bilatéraux que la puissance américaine propose à chacun de ces pays dans l’intention de soustraire ses ressortissants à d’éventuelles poursuites que la nouvelle Cour Pénale Internationale (CPI) pourraient en théorie lancer contre tout présumé coupable de crimes de guerre commis sur le territoire des États parties, c’est-à-dire des quatre-vingt-dix pays, dont la Croatie, qui ont ratifié son statut. En d'autres termes, les citoyens américains ne pourraient être traduits devant la CPI, née à Rome en 1998, établie à La Haye et compétente depuis le 1er juillet 2002. Rappelons qu’après avoir signé le traité sur la CPI en décembre 2000, les États-Unis ont finalement renoncé à le ratifier en mai 2002.

LIENS

 La Cour Pénale Internationale (CPI)
 Le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)

A dire vrai, la question n'est pas tout à fait nouvelle puisque pareils accords bilatéraux ont également été proposés aux gouvernements des Quinze en août dernier. Cependant ces dernières semaines la question est redevenue d’une brûlante actualité compte tenu de la date butoir du 1er juillet prochain, fixée par les États-Unis aux pays sollicités. Mais aussi en raison de l’émergence d’une position commune des Quinze, et, enfin, du débat que soulève la question au sein des pays concernés.

Le tout premier pays à avoir accédé à la demande des États-Unis fut la Roumanie. D’autres ont suivi. Plus récemment, l'Albanie et la Bosnie-Herzégovine leur ont emboîté le pas portant à une trentaine le nombre de pays signataires de l’accord de non-extradition.

En Croatie, le sujet a suscité une vive polémique et rencontré une large hostilité dans l'opinion publique qui juge une telle demande en contradiction directe d’une part avec l'obligation assumée par notre pays quant à son entière coopération avec le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et, de l’autre, avec les pressions internationales, y compris américaines, dont il est l’objet.

Traités internationaux

Le gouvernement n’a certes pas tort lorsqu’il estime que ce débat lui rend plus délicats ses efforts visant à parvenir à une solution diplomatique acceptable, c’est-à-dire à la fois respectueuse des grands principes d'égalité, tels que définis par les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Croatie ne saurait déroger unilatéralement, tout en préservant ses bonnes relations avec Washington. Mais il est tout aussi certain que ce débat peut également le servir en confortant ses arguments dans les négociations ardues qui s’annoncent en lui fournissant un alibi de poids dans le cas où il finirait par décliner la proposition américaine.

Toujours est-il que les États-Unis posent là une question pertinente qui mérite qu’on y regarde de plus près : celle du régime de protection particulier à accorder, ou non, aux troupes participant à des opérations de paix internationales. GI en Bosnie, troupes françaises en Côte-d’Ivoire, ou casques bleus croates en Afrique, les exemples ne manquent pas. On le voit, le sujet est loin d’être unilatéral et gagnerait à faire l’objet d’un large débat international, que Zagreb ou d’autres n’ont pas vocation à trancher seuls, chacun de leur côté.

Valeurs ou pragmatisme?

De son côté, la Commission européenne, sensibilisée par l’activité diplomatique américaine à la veille de l'intervention en Irak, a jugé bon d'adresser une lettre signée par de hauts fonctionnaires dans laquelle elle rappelle aux pays candidats ou candidats potentiels à l’adhésion à l’Union européenne, qu’ils se doivent d’inscrire leur choix politiques dans le cadre du respect des valeurs et des principes de l’Union. Si le langage est mesuré, le message n’en est pas moins clair : il est fortement recommandé de ne pas souscrire aux arrangements qui méconnaîtraient le principe d’égalité et les fondements de la justice internationale.

D’autre part, pragmatiques comme toujours, les Américains ont d’ores et déjà voté une loi interdisant toute aide militaire aux pays qui refuseraient l’accord de non-extradition des ressortissants américains, voire de ceux qui agissent pour leur compte. Qui plus est certains des pays concernés sont également candidats à l’OTAN, et chacun sait que les Américains y ont plus qu’une voix au chapitre.

Il serait cependant faux de croire qu’il s’agit d’une délicate, mais somme toute classique situation diplomatique où il convient de ménager la chèvre et le chou, ni plus ni moins. La question ne se résume pas en effet à un banal jeu d’opportunismes, des choix abstraits ou de prises de position partisanes.

En prenant l’exemple de la Croatie, candidat déclaré à la fois à l’entrée dans l’Union européenne et dans l’OTAN, et nécessitant par conséquent tant du soutien des Quinze que de celui des États-Unis, on se rend compte qu’elle est placée devant un choix cornélien, condamnée à tout faire pour éviter de se retrouver prise au piège de contradictions ponctuelles. D’autant que ses intérêts ne sont ni contradictoires ni exclusifs, mais simplement multiples.

Membre de la coalition anti-terroriste, pays qui a des soldats en Afghanistan et ailleurs, État disposé à assumer ses responsabilités internationales, la Croatie se doit d’être en mesure de respecter des intérêts divergents. Mais cela ne doit pas se faire au prix de sa cohérence politique ni de son intégrité intérieure, fort heureusement rétablie, et ne dépendant plus d’aucun facteur externe.

Querelles byzantines

Certes, nul n’a oublié le rôle prépondérant joué par les États-Unis dans le dénouement des guerres sur le sol de l’ancienne Yougoslavie. Par contraste à certaines ambiguïtés européennes. C’est pourquoi il n’y a rien d’étonnant à ce que certains pays, parmi ceux qui éprouvent toujours un besoin de protection, finissent par céder aux avances insistantes de l’unique superpuissance mondiale.

Quant à la Croatie, il y a de fortes chances de la voir décliner l’offre. Non que les arguments américains soient dénués de sens : un pays fortement engagé dans les situations de crise à travers le monde voit inévitablement ses ressortissants exposés à des dangers accrus. Mais de là à sacrifier le principe d’égalité de tous à l’égard d’actes universellement condamnables, il y a un pas qu’il est difficile de franchir. D’autre part, invoquer des querelles byzantines sur la différence entre TPIY de la Haye, créé par le Conseil de sécurité des Nations unies, et la CPI, qui a vu jour par la volonté des pays signataires, pourra difficilement convaincre l’opinion publique d’un pays qui sort d’une guerre d’agression et qui, bien que victime et en situation de légitime défense, n’en a pas pour autant été exonéré de l’obligation de livrer au Tribunal international des officiers soupçonnés des crimes de guerre.

Problème virtuel

Néanmoins Zagreb veut encore croire que subsiste une ultime possibilité de faire valoir sa situation délicate et particulière. Théoriquement, le président américain peut, en vertu d’un paragraphe de la loi sénatoriale qui l’y autorise, décider d’accorder à tout pays un régime d’exemption qui le dispenserait d’une réponse ne pouvant être que mauvaise. Mais il serait pour le moins hasardeux de se nourrir d’illusions quand on sait que cette clause est avant tout destinée aux « partenaires stratégiques » de Washington, statut auquel la Croatie – ni grande, ni excessivement riche, ni membre de l’OTAN – pourrait difficilement prétendre, en dépit de son rôle particulièrement positif et reconnu comme tel en Europe du Sud-Est.

On pourra le regretter : non que les 19 millions de dollars d’aide militaire américaine accordés à la Croatie soient une perte irremplaçable, puisque tel est le prix immédiat d’une réponse négative, mais avant tout parce qu’à bien y réfléchir ce sera finalement une question artificielle, quasi virtuelle, tant il semble improbable qu’un cas pratique se pose un jour. Une question dont on a du mal à mesurer les incidences concrètes dans un pays aujourd’hui stabilisé, démocratique, responsable. Une question enfin qui pourrait se trouver à l’origine d’une regrettable dégradation des relations politiques, et ce avec un grand pays et un partenaire prioritaire, mais qui, le cas échéant, se sera donné pour seule alternative un choix des plus drastiques : amitié ou ostracisme.

Bozidar GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France

 

PRÉCÉDENTS ARTICLES

 Aller de l'avant! (30/04/2003)
 Un bon bilan qui reste à équilibrer (12/03/2003)
 Touristes, guides, encyclopédies (03/02/2003)
 Et après Copenhague? (20/12/2002)
 La Croatie et l'élargissement (14/11/2002)
 La diaspora croate en France (24/07/2002)
 Football et politique (27/06/2002)
 La dimension économique de la démocratie (23/05/2002)
 Présences croates (20/04/2002)
 Réhabiliter la langue de Voltaire en Croatie (20/03/2002)
 Relancer les échanges économiques franco-croates (20/02/2002)
 Reconnaissance internationale: Dix ans déjà! (15/01/2002)
 L'euro, côté pays tiers : le cas croate (07/01/2002)
 Jacques Chirac à Zagreb (21/12/2001)
 Solidarité et démocratie contre terrorisme (23/11/2001)

 

 

  RECHERCHER
 
  Approfondir

  TOUS LES ARTICLES
  POLITIQUE
  Ante Gotovina arrêté en Espagne  
  TV Public Sénat : Spéciale Croatie  
  "La Croatie européenne" : conférence du Premier ministre, Ivo Sanader  
  Commémoration de la Révolte des Croates à Villefranche  
  10e anniversaire de l'opération Tempête  
  Mise en service de l'autoroute Zagreb-Split  
  La Croatie commémore sa résistance aux côtés des Alliés  
  Le président Mesic décore plusieurs Croates de France  
  UEO : président Mesic plaide pour l'élargissement de l'UE  
  Décès de Jean Paul II: la Croatie honore la mémoire du pape slave  
  Décès de Jean Paul II: la Croatie honore la mémoire du pape slave  
  UE: création d'une "task force" pour la Croatie  
  UE-Croatie: report du lancement des négociations  
  Le président du Sabor en visite à Paris  
  Stipe Mesic réélu haut la main  
  Second tour: Mesic-Kosor  
  Présidentielle 2005  
  Otages français: félicitations du chef de la diplomatie croate  
  UE: ouverture des négociations le 17 mars 2005  
  UE : unanimité des députés croates  
  JO 2012: Dubrovnik accueille les villes candidates  
  Colloque : bicentenaire du Code Napoléon  
  Francophonie : la Croatie devient pays observateur  
  Le cardinal Bozanic en visite à Paris  
  370 000 Français attendus en 2004  
  Croatie-Slovénie : Zagreb réclame un arbitrage international  
  Une diplomate croate à l'assaut de l'Union  
  Mémoire : la Révolte des Croates à Villefranche  
  Michel Barnier en visite à Zagreb  
  L'UE accorde le statut de candidat à la Croatie  
  France-Croatie: Programme de coopération 2004-2006  
  Le ministre de la Défense à Eurosatory 2004  
  Patrick Bloche en Croatie  
  Miomir Zuzul rencontre Michel Barnier  
  Stipe Mesic reçu par Jacques Chirac  
  Avis favorable de Bruxelles à la candidature de la Croatie  
  Soutien franco-allemand à l'intégration de la Croatie  
  Stjepan Mesic : Ce que l'Europe gagne avec la Croatie  
  Ivo Sanader a formé son gouvernement  
  Législatives : victoire de la droite  
  Législatives 2003 : la Croatie aux urnes  
  Rapport du Sénat : le redressement de la Croatie  
  Création d'une Zone de Protection écologique et de Pêche en Adriatique  
  UE : un nouveau pas vers l'adhésion de la Croatie  
  Gagro: la candidature de la Croatie à l'UE  
  Villefranche-de-Rouergue : 60e anniversaire de la Révolte des Croates  
  La Croatie à l'honneur au Sénat  
  La Croatie, 100e voyage du pape Jean Paul II  
  Gagro: la Croatie historiquement liée à la France  
  UE: la Croatie candidate à l'adhésion  
  Mesic : "La Croatie entrera dans l'UE en 2007"  
  "Croatie: objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  UE: la Croatie candidate
  Présentation multimédia
 
  Voir liste complète

 
  LE MOT DE L'AMBASSADEUR
  Nouvelle alternance réussie  
  La Croatie vote  
  Voir tous les éditos

 
  ÉCONOMIE & TOURISME
  Guide touristique  
  M. Cobankovic inaugure le forum de Ploudaniel  
  UBIFRANCE: séminaire Croatie  
  Instantanés de Croatie: campagne 2005  
  Aif France: nouveau vol quotidien Paris-Zagreb  
  MIDEST 2004: entreprises croates cherchent partenaires  
  Thalassa, 7 semaines à Korcula  
  Les Français à l'assaut de la côte dalmate  
  La Méditerranée retrouvée  
  Rendez-vous sportifs : Rijeka et Split, villes candidates  
  S. Mesic: renforcer le partenariat commercial avec la France  
  Journée découverte à Dubrovnik  
  Florilège de nouveaux guides touristiques  
  CFCE - Croatie: croissance et ouverture, un marché qui s'affirme  
  Création d'une Chambre de commerce franco-croate  
  Supplément "Croatie" dans Le Monde  
  Tourisme: "La Méditerranée s'agrandit"  
  AvenirExport 2002 : Investir en Croatie (diaporama)  
  Voir liste complète

 
  SOCIÉTÉ - SPORTS
  La Croatie remporte la Coupe Davis avec Ljubicic, Ancic, Karlovic et Ivanisevic  
  Les stars croates du Mondial 98 font leur cinéma à Paris  
  Cilic vainqueur de Roland Garros Juniors 2005  
  Mondiaux de Ski: 3 médailles d'or pour Janica Kostelic  
  EURO 2004 : France-Croatie 2-2  
  EURO 2004 : décevant Croatie-Suisse  
  Coupe Davis: La Croatie s'incline à Metz  
  Coupe Davis: France-Croatie  
  Euro 2004 : la Croatie rencontrera la France  
  Nikola Tesla, physicien visionnaire  
  Robert Badinter, fait docteur honoris causa à Zagreb  
  Ancic donne des frayeurs à Agassi  
  Janica et Ivica Kostelic remportent trois médailles d'or  
  Handball: la Croatie championne du monde  
  18 novembre 1991, la chute de Vukovar  
  Voir liste complète

 
  DANS LES MÉDIAS
  Libération : Plitvice, balade en lacs majeur  
  Libération : Kornati - Prendre le maquis en Croatie  
  Le Figaro : S. Mesic "Un pas de plus vers l'adhésion"  
  Le Figaro : S. Mesic "La Croatie rejoindra l'UE en 2007"  
  Le Monde : "Croatie, objectif Europe!" par Stipe Mesic  
  Le Figaro : Zagreb candidat à l'UE dès 2003  
  La Croix : Prevlaka revient dans le giron croate  
  Dubrovnik, la belle de Dalmatie  
  Escales en Dalmatie  
  Thalassa, 8 semaines à Hvar  
  Heureux comme Robinson aux Kornati  
  Croatie, Riviera Paradiso  
  Voir liste complète

 
 

 LA CROATIE | ACTUALITÉS | VIE CULTURELLE | L’AMBASSADE | ACCUEIL 

 Haut de page | Plan du site | Nous contacter