24/07/2002

LE MOT DE L'AMBASSADEUR
La diaspora croate en France

S. E. M. Bozidar GagroSelon diverses estimations, environ 30 000 Croates ou Français d'origine croate vivraient en France, dont la moitié dans la région parisienne, la plupart installés depuis les années soixante. Mais les études précises font encore défaut. Il y a dix ans, beaucoup d'entre eux n'ont pas ménagé leur efforts pour venir en aide à leur patrie d'origine en proie à la guerre. La paix revenue, cette communauté constitue aujourd'hui un médiateur actif dans l'approfondissement des relations entre les deux pays.

Combien sont-ils au juste, les Croates vivant en France ? Quels sont leurs traits sociaux les plus caractéristiques, leurs comportements à l'égard des processus d'assimilation, leurs liens avec leur(s) pays d'origine ? A l'heure actuelle, les réponses précises à toutes ces questions, aux plus simples comme aux plus complexes, demeurent dans une grande mesure inconnues et un vaste travail d'observation, de recherche et d'analyse reste encore à faire. Néanmoins les estimations dont on dispose permettent malgré tout d'en dégager certains éléments.

Ainsi, même la question apparemment anodine de l'importance numérique de la communauté croate de France ne peut, à ce jour, recevoir de réponse définitive. "Une trentaine de milliers de membres" vous répondront la plupart des Croates interrogés. Pourtant, aucun chiffre officiel ne l'établit. Tout au plus se fonde-t-il sur diverses estimations empiriques, plus ou moins fiables. Ainsi l'Atlas de la Croatie, publié à Zagreb en 1993 par l'Institut Lexicographique mentionne-t-il le chiffre de 28 000 Croates en France. D'autres sources (missions catholiques croates en France, diverses estimations publiées à Zagreb) mentionnent les chiffres de 32 000, voire de 40 000. Quant aux statistiques du Ministère français de l'Intérieur relatives au nombre d'étrangers en France, elles ne sont pas exploitables en l'espèce, puisque, il y a encore dix ans, elles classaient sans distinction les Croates dans la catégorie "Yougoslaves" (laquelle regroupait selon les statistiques françaises quelque 13 500 individus en 1960 ; 70 000 en 1972 ; 52 000 en 1990 et 46 000 en 1997), chiffre qui excluait les personnes ayant acquis la nationalité française (plus de 1200 pour la seule année 1997).

Toujours est-il que le phénomène de l'immigration est très variable, qu'il dépend des caractéristiques de chaque population considérée, des conditions de l'installation de celle-ci sur le territoire français, ainsi que de la dynamique intérieure à laquelle elle est soumise. Il va de soi que les communautés les moins nombreuses sont aussi les plus fragiles, les plus exposées aux effets de l'assimilation.

Dora Maar

Encore faut-il savoir ce que l'on entend par "Croates" en France. S'agit-il de résidents français ou bien de citoyens Français d'origine croate ? Et dans ce cas faut-il entendre "croate" comme "originaire de Croatie", au sens de ressortissants croates, ou bien comme "croate de souche", c'est-à-dire en considérant le peuple croate dans son ensemble (Croates de Croatie, mais aussi de Bosnie-Herzégovine, de Voïvodine, etc.) ? De plus, des personnes dont l'un des parents seulement est croate - comme c'est le cas pour Josiane Balasko(vic) ou (Théo)Dora Maar(kovic) - peuvent-elles être considérées comme telles ? Il semblerait que ce soit toutes ces catégories confondues que visent les approximations mentionnées plus haut, sortes d'évaluations du nombre total de résidents français d'ascendance croate, elle-même prise au sens large. D'autant plus que ces chiffres ne prétendent aucunement remettre en cause la nationalité formelle (française, croate, bosnienne, etc.) des individus rassemblés ici sous le terme générique de "communauté croate".

Pour cerner de plus près la communauté croate en France, on dispose pour l'instant de peu d'éléments tangibles. Ignorant l'origine des Français naturalisés, les statistiques françaises, on l'a vu, ne sauraient être d'un grand secours. De même, les services consulaires croates en France n'ont la possibilité de recenser que les ressortissants croates formellement inscrits dans les différents registres (état civil, passeports, service militaire, etc.), et cela uniquement dans la mesure où les intéressés ont choisi de faire appel à leurs services pour régler leurs affaires, plutôt qu'aux administrations compétentes en Croatie.

Qu'entend-on au juste par "Croates" en France? S'agit-il de résidents français ou bien de citoyens Français d'origine croate ? Faut-il alors entendre "originaire de Croatie" ou bien "croate de souche", en y incluant les Croates de Bosnie ?

Toutefois, en attendant les résultats de véritables recherches scientifiques sur la communauté croate de France, certains éléments peuvent d'ores et déjà être tenus pour acquis. Historiquement d'abord. Malgré les liens anciens entretenus par les Croates avec la France, l'actuelle diaspora croate en France s'est pour l'essentiel constituée après la Seconde Guerre mondiale. Si l'on excepte la période des années 1960 qui correspond à la période de forte demande de main d'œuvre étrangère, elle résulte de flux migratoires relativement paisibles, de la circulation normale d'hommes et de femmes motivés par des raisons avant tout économiques, mais aussi politiques ou intellectuelles. Aussi lors de l'hémorragie démographique des années soixante, d'autres pays que la France accueillirent-ils l'essentiel du contingent des émigrés croates (de Croatie et de Bosnie), lesquels représentaient alors plus des deux tiers de l'ensemble des candidats à l'exil issus de l'ancienne Yougoslavie.

Ouvriers, dissidents et intellectuels

Parmi ces immigrés d'après-guerre, une part non négligeable était également constituée d'opposants ou de réfugiés politiques au régime communiste yougoslave, regroupés en de nombreuses associations. En 1962, une section syndicale de la CFTC, l'Union des Travailleurs croates, rassemblait même plus de mille membres. En 1970, en plein "Printemps croate", une section de la vénérable société culturelle Matica est fondée à Paris où elle animera pendant plus de vingt ans la vie culturelle croate. Dès le début des années 1980, une Équipe de recherche sur la culture croate est fondée à la Sorbonne et s'illustre par une série de colloques internationaux consacrés à ses relations avec d'autres cultures européennes.

Au début des années 1990, la mobilisation exemplaire de la diaspora croate en France comme dans monde entier en faveur de l'indépendance de la Croatie, le soutien moral, humanitaire et financier qu'elle a apporté durant la guerre, sa participation à la défense du pays virent l'émergence à Paris comme en province, non seulement d'une large couche populaire qui manifestait sa solidarité active à son pays d'origine, mais également des milieux intellectuels croates, qui ont été en mesure de se faire entendre dans l'opinion publique française et dans les médias.

La mobilisation de la diaspora croate en faveur de l'indépendance, le soutien moral, et humanitaire apporté à la Croatie, virent émerger en France, non seulement une large couche populaire solidaire de son pays d'origine, mais également des milieux intellectuels croates capables de se faire entendre dans l'opinion publique.

Ces milieux intellectuels, associés dès lors aux représentants d'associations croates d'horizons divers, lancèrent, dès 1990, deux structures qui, aujourd'hui encore, constituent les relais privilégiés de toute action culturelle et associative d'envergure : l'AMCA (Amicale des anciens étudiants des universités croates), dont la vocation est avant tout scientifique et culturelle, et le CRICCF (Conseil représentatif des Institutions et de la Communauté croates de France), instance qui à l'échelon national représente toute la communauté croate, prise au sens large.

Ces structures venaient alors compléter l'action des missions catholiques croates, sortes d'antennes pastorales de l'église catholique et de l'épiscopat de Zagreb. Celle-ci, en marge de leur vocation pastorale première, ont longtemps dû mener un combat opiniâtre, souvent dans des conditions d'hostilité ouverte des représentants de l'ex-fédération yougoslave. Ceux-ci voyaient en effet d'un mauvais œil ces lieux échappant à leur tutelle où se réunissaient les immigrés croates en France soucieux de disposer d'un cadre leur permettant de préserver leur identité nationale. Aux côtés des missions de Nice, Lyon et Mulhouse, la mission catholique croate de Paris fut et demeure depuis sa création, en 1953 la plus importante.

Miss France

Quant à la distribution géographique des Croates en France, vraisemblablement plus de 90 % d'entre eux résident dans la partie orientale de l'Hexagone située à l'est d'une ligne Le Havre-Orléans-Montpellier. Environ un Croate sur deux habite en région parisienne, tandis que la Provence-Alpes-Côtes d'Azur, le Lyonnais et l'arc Mulhouse-Lille constituent les trois autres principaux pôles de concentration de la communauté. Son degré d'assimilation est relativement élevé, étant donné que l'on peut estimer qu'entre un tiers et une moitié de ses membres entretiennent des relations régulières ou épisodiques avec les associations ou missions croates. Son intégration, notamment par le biais de la naturalisation, s'est encore accrue par le tarissement des flux migratoires croates, conjugué à une propension à la fixation définitive sur le sol français.

Avec la fin de la lutte pour l'indépendance, le retour de la paix et la consolidation de la démocratie en Croatie, la frange intellectuelle de la communauté croate de France a retrouvé sa vocation de médiateur culturel, artistique et scientifique entre sa patrie d'origine et son pays d'adoption.

Avec la fin de la lutte pour l'indépendance, le retour de la paix et la consolidation de la démocratie en Croatie, la frange intellectuelle de cette communauté, gravitant autour de l'AMCA ou d'autres foyers, à l'instar de l'Équipe de recherche croate à la Sorbonne, a retrouvé sa vocation première, celle de médiateur culturel, artistique et scientifique entre sa patrie d'origine et son pays d'adoption.

La majeure partie de la communauté, quant à elle, est aujourd'hui apaisée après les difficiles décennies de la période yougoslave puis les années de guerre qui ont accompagné la naissance de la Croatie indépendante. Enfin reconnus en tant que Croates par leur terre d'accueil, ses membres veillent désormais scrupuleusement, et avec un brin de fierté, à ce que la mention de leur pays de naissance soit strictement respectée dans les documents et titres d'identité délivrés par l'administration française, laquelle s'obstine parfois, et à leur grand dam, à dénommer "Yougoslavie" l'État de leur lieu naissance, au lieu de "Croatie". Ils n'hésitent pas alors à rappeler, non sans malice, que les Français nés à Strasbourg en 1915 sont bien nés en France, pas en Allemagne...

Patricia Spehar, miss France 1997
Patricia Spehar, miss France 1997

Grâce aux cours dispensés dans toute la France par l'équipe pédagogique de l'École complémentaire croate, ils ont aujourd'hui la possibilité d'assurer à leurs enfants un minimum d'enseignement en croate, langue qui est même de plus en plus souvent choisie au baccalauréat par leur progéniture. L'actualité politique croate, fort heureusement, n'enflamme plus les passions comme au début des années 1990. Et c'est désormais les nombreux articles et reportages sur les charmes de la côte dalmate, les exploits sportifs d'un Ivanisevic ou d'une Kostelic, ou encore l'élection en 1997 de Patricia Spehar au titre de Miss France qui, de manière unanime, réchauffent à présent le cœur de tous les Croates de France, liens vivants entre leur pays de résidence et leur patrie d'origine.

Bozidar GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France

 

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