20/03/2002
LE
MOT DE L'AMBASSADEUR
Réhabiliter la
langue de Voltaire en Croatie
L'enseignement
du français en Croatie a enregistré un inquiétant recul ces
dix dernières années. Pour renverser cette tendance négative,
une mobilisation aussi bien croate que française est indispensable.
Voilà
seulement quelques jours, l'ambassadeur français à Zagreb, M. Francis
Bellanger, a fait part de son inquiétude au ministre croate de l'Éducation
nationale quant à la mauvaise posture de l'enseignement du français
dans notre pays. Bien que je ne puisse être directement concerné,
je n'en suis pas moins sensible à cet état de choses qui suscite
le souci légitime de mon collègue à Zagreb.
Par ailleurs, le hasard veut que j'aie occupé, dans les années 80,
la charge de ministre de l'Éducation nationale et de la Culture de ce qui
était alors la République socialiste de Croatie. A l'époque,
la Croatie n'était que l'une des entités qui composaient l'ancienne
fédération yougoslave, mais chacune des six républiques avait
la tutelle exclusive sur les domaines de l'éducation, de la recherche et
de la culture. Quoique le système dit autogestionnaire fût assez
compliqué et l'autorité du ministre réduite, s'agissant de
l'enseignement des langues étrangères, mon ministère a néanmoins
été en mesure d'entreprendre des efforts réfléchis
pour faire face à l'irrésistible pression de l'anglais au sein du
système scolaire. De fait, le français représentait à
cette époque 9 % de l'enseignement total des langues étrangères
en Croatie, score relativement satisfaisant. Or aujourd'hui, il se trouve relégué
à quelque 2,5 %.
FÊTE
DE LA FRANCOPHONIE À ZAGREB |
Cette
année, onze ambassades de pays membres ou observateurs de l'organisation
de la Francophonie (Albanie, Belgique, Bulgarie, Canada, Égypte, France,
Macédoine, Pologne, Roumanie, Suisse et République tchèque)
participeront à la Fête de la Francophonie qui se tient à
Zagreb du 11 au 28 mars 2002. A travers de nombreuses manifestations (expositions,
concerts, conférences, films, chansons) ces pays entendent favoriser la
compréhension mutuelle des différentes cultures.
La Fête de la Francophonie 2002 sera placée sous le signe d'une double
commémoration: le bicentenaire de la naissance de Victor
Hugo et le 80e anniversaire de la fondation de l'Institut
français de Zagreb. Deux concours seront également proposés
en ce mois de mars : le concours de lInternet
Francophone et "10 mots
pour la Francophonie". Enfin, la Journée internationale de la
Francophonie, le 20 mars, sera marquée par un concert donné salle
Lisinski par les Musiciens du Louvre, sous la direction de Marc Minkowski.
L'Institut
français de Zagreb
L'Alliance
française de Zagreb
Ante Kovacica 4
HR - 10 000 Zagreb
Tel/Fax : +385 1 481 82 92
L'Alliance
française de Split
Marmontova 3
HR - 21 000 Split
Tél/Fax: +385 21 47 290
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Paradoxe
et sensibilisation
Ce
qui est pour le moins singulier à cet égard, c'est que, d'une part,
l'Alliance française à Zagreb
ou à Split
demeure toujours aussi sollicitée, que la fréquentation des instituts
spécialisés qui dispensent des cours de français est même
plutôt bonne. Alors même que, d'autre part, nous assistons à
un recul dramatique du français au sein du système scolaire croate,
pierre angulaire de l'enseignement des langues étrangères auprès
à plus large échelle.
Pour tenter
d'expliquer les causes de cette situation, mis à part la présence
toujours plus envahissante de l'anglais, d'aucuns avancent des arguments régionaux
ou traditionnels censés expliquer l'avantage incontestable marqué
par l'allemand et l'italien, "concurrents" directs du français.
D'autres n'hésitent pas à le mettre au compte d'un prétendu
"manque d'intérêt" à l'égard du français
manifesté, selon eux, par les élèves ou leurs parents.
Il n'est point nécessaire de rappeler ici que la Croatie est un pays engagé
sur la voie de l'intégration européenne, un pays de surcroît
à forte vocation touristique, et en définitive un petit pays qui
se doit, plus que d'autres, de développer à temps et de diversifier
ses propres capacités de communiquer avec le reste du monde. Ces trois
points justifient à eux seuls largement tous les efforts que l'on voudra
bien consentir en vue d'étendre et de généraliser l'enseignement
des langues étrangères, tout en se donnant en la matière
les moyens d'une véritable politique, en vue d'établir une pondération
souhaitable et raisonnée de l'enseignement des principales langues européennes.
Diversité culturelle
Si nul
ne saurait sérieusement contester la suprématie actuelle de l'anglais
dans le monde, c'est évidemment sur la place de la deuxième langue
vivante, dont l'enseignement devrait être aussi précoce que possible,
qu'il nous faut trouver une solution convenable pour le français.
L'enseignement
du français, dont le taux d'enseignement était au milieu des années
80 de 9 %, a aujourd'hui chuté à 2,5 %.
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Comment
pourrait-on d'ailleurs prétendre que le français souffre d'un certain
désintérêt alors même que dans quatorze des vingt et
une régions (comitats) que compte la Croatie la possibilité n'est
même pas offerte de le choisir comme langue vivante dans l'enseignement
secondaire? Quand bien même on constaterait une réelle désaffection,
il n'en resterait pas moins qu'il serait à mettre au compte du fâcheux
manque de zèle de ceux qui sont tenus de conduire l'action de sensibilisation
nécessaire auprès du public concerné. Je pense ici avant
tout à mes amis de la chaire de français à l'Université
de Zagreb, parmi tant d'autres.
1922-2002
L 'ALLIANCE FRANÇAISE DE SPLIT |
En
1922, l'année même quand fut fondé l'Institut français
de Zagreb, le Cercle français ouvrait ses portes sur la côte adriatique,
au cur même de Split, la deuxième
ville du pays.
Dès
lors s'engagea une intense activité culturelle qui favorisa le rapprochement
franco-croate. Après plusieurs changement de nom, il deviendra finalement
en 1994 l'Alliance
française de Split. Sise aujourd'hui au 3 rue Marmont (du nom du duc
qui gouverna de 1806 à 1811 les Provinces
illyriennes de Napoléon), dans la rue la plus passante du centre-ville
de Split, l'Alliance française y incarne la riche tradition des relations
culturelles franco-croates. Nul hasard donc à ce que ce soit précisément
l'ouvrage "Les Français en Dalmatie de 1806 à 1914" récemment
paru qui y fut présenté à l'occasion de la commémoration
du 80e anniversaire de sa fondation. Avec ce livre bilingue - en croate
et en français - de l'historien Frane Baras, l'Alliance française
de Split ajoute donc l'édition à son riche éventail d'activités.
La présence à cette commémoration festive, aux côtés
de M. Francis Bellanger, ambassadeur de France, de M. Slobodan Beros, Maire
de Split, et de M. Branimir Luksic, Préfet de Région du comitat
de Split-Dalmatie, illustre l'attachement particulier que les représentants
publics locaux portent à cette institution.
Cet anniversaire est aussi l'occasion de nombreuses manifestations dans la capitale
dalmate, à l'instar de l'exposition "Paris à Split" qui
se tient dans les murs de l'Alliance française jusqu'à la fin mars,
et qui rassemble des photographies de Ljubo Skrnjug, photographe croate qui a
longtemps vécu en France.
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Coopération
entre PME
Or, on l'aura compris, l'enjeu est de taille. Non seulement cette contre-performance
contrarie les efforts de tous ceux qui voient dans la diversité culturelle
la vraie richesse du monde d'aujourd'hui et, surtout, de celui de demain, mais
encore se reflète-t-elle, directement et indirectement, dans nos relations
avec une grande nation amie. C'est vrai notamment dans le domaine économique.
Il est fort probable que les difficultés linguistiques ne sont pas tout
à fait étrangères dans l'insuffisance qui caractérise
ces temps derniers la coopération économique
franco-croate. Cela prend un relief tout particulier dans le domaine des relations
entre PME, secteur spécialement prometteur, où les contacts, aussi
fréquents que directs, constituent un paramètre essentiel dans l'établissement
de relations de bonne qualité.
Pour renverser
la tendance, trois conditions au moins me semblent nécessaires : la mise
en place d'une politique éducative où l'enseignement des grandes
langues étrangères serait une priorité, avec la définition
d'une fourchette pour chacune d'elles ; une campagne de sensibilisation constante
des pouvoirs publics et, enfin, un soutien généreux de la part des
institutions françaises compétentes.
Initiatives et mobilisation
Sur les
deux premiers points, je suis convaincu que les pouvoirs publics croates, qui
ont aujourd'hui pris la mesure de l'enjeu, auront à cur et disposeront
des moyens d'engager les actions nécessaires pour inverser la tendance
actuelle. Quant au dernier point, je ne peux évidemment à mon niveau
qu'encourager vivement les initiatives françaises de tous bords, comme
celles, généreuses, déjà menées par l'association
ADIFLOR, sous la houlette du sénateur
Daniel Goulet, ou à l'instar de la création à Zagreb du Diplôme
d'Études européennes par l'Université de Paris-II. Toujours
est-il que l'augmentation sensible du nombre de professeurs et de lecteurs de
français dans les écoles et universités croates restera sans
aucun doute un facteur déterminant du renouveau que j'appelle de mes vux
de l'enseignement du français en Croatie.
Ce commentaire, qui est avant tout une réflexion personnelle, est proposé
à l'occasion conjointe de la Journée
de la Francophonie (20 mars) et d'une "Fête
de la Francophonie" qui se tient à Zagreb et qui met à
l'honneur la langue de Voltaire. Je me réjouis à cet égard
de voir que l'Institut
français de Zagreb, ainsi que l'Alliance française
de Split, qui fêtent cette année leur 80e anniversaire, ne sont
pas en reste à cette occasion, et qu'ils continuent de jouer leur rôle
de relais incontournables, par leur engagement complémentaire en faveur
de la diffusion de la langue française en Croatie.
Bozidar
GAGRO
Ambassadeur de Croatie en France
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