Le Monde, 25/05/1999

Croatie, Serbie : les fausses symétries
Par Smiljan Simac, ambassadeur de Croatie en France de 1995 à 1999.

Alors que les forces serbes déportent près d’un million d’Albanais, des accusations répétées dans les médias esquissent le rapprochement avec la fuite de 120 000 Serbes des territoires occupés de Croatie, qui a suivi l’opération armée croate en 1995. Et d’ajouter : la Croatie, tout comme la Serbie, ne recourut-elle pas aussi à la force pour s’opposer au séparatisme ? Si le parallèle peut sembler pertinent, il n’en est pas moins fallacieux.

Mettre sur un pied d’égalité les crimes contre l’humanité commis par l’État serbe au Kosovo et l’opération militaire croate menée contre les paramilitaires serbes, prélude à la cessation de la guerre en Croatie et en Bosnie, relève davantage du cynisme ou de la méconnaissance des événements que de l’analyse politique sérieuse.

Fort de 2 millions d’habitants, le Kosovo, entité fédérale à part entière, disposait jusqu’à la suppression de son autonomie par la Serbie, en 1989, d’un représentant à la présidence collégiale yougoslave qui, par deux fois, accéda à la charge suprême. Soumis depuis dix ans à un régime d’apartheid, les Albanais ont résisté pacifiquement, avant de recourir à une défense armée.

En revanche, la « république serbe de Krajina », entité hétéroclite et discontinue, fut instaurée en Croatie par la violence en 1990, un an avant le référendum sur l’indépendance croate, et fut fondée sur le retour du « nettoyage ethnique » en Europe : sur 550 000 habitants des territoires revendiqués, les milices serbes chassèrent brutalement tous les 260 000 Croates. Par la suite, entre 1991 et 1995, 80 000 Serbes fuyant la paupérisation généralisée s’exileront en Serbie. Ainsi, les forces serbes, encadrées par l’armée « yougoslave » aux ordres de Milosevic, ont occupé en 1991 un quart de la Croatie, bombardé Dubrovnik et anéanti Vukovar, tuant 13 000 personnes.

En janvier 1992, en reconnaissant la Croatie, les Douze stoppèrent net la progression des troupes serbes, qui avaient déjà coupé le pays en deux. Quatre années durant, la Croatie a recherché une solution négociée. En vain. A l’été 1995, la radicalisation serbe atteignit son paroxysme dans la Bosnie voisine avec la prise en otage des « casques bleus », prélude au massacre de Srebrenica et à l’assaut final contre l’enclave bosniaque de Bihac, promise au même sort.

Devant la menace alarmante de la pérennisation des conquêtes serbes en Croatie qu’eût entraînée la prise de Bihac, à la frontière croate, et du drame qui menaçait les habitants de l’enclave assiégée, la Croatie, qui s’était entre-temps dotée d’une armée, fut contrainte de recourir à la force. En quatre jours, du 4 au 7 août 1995, l’opération militaire « Tempête » permit de mettre fin à cinq ans de guerre en Croatie en rétablissant la souveraineté nationale sur la plupart des territoires occupés, mais assura aussi le salut de 230 000 Bosniaques assiégés pendant 1201 jours à Bihac.

Pendant toute la durée de l’opération « Tempête », des appels radiotélévisés du président croate n’ont cessé d’exhorter les civils serbes à attendre sereinement dans leurs foyers l’arrivée des soldats croates. Mais dès le 4 août 1995, le « président de la république serbe de Krajina », Milan Martic, ordonnait l’évacuation « planifiée » des civils, comme le révélera également la presse serbe (Politika du 23 août 1995).

Dès lors, des convois de voitures et de tracteurs s’ébranlèrent vers la frontière. Quelque 30 000 paramilitaires protégèrent leur fuite en se mêlant aux 90 000 civils serbes (et non 300 000 comme on l’a parfois affirmé), et à aucun moment l’armée croate n’entra en contact hostile avec les colonnes de civils serbes, tandis que moins de 10 000 Serbes décidèrent de rester. Les réfugiés serbes furent victimes d’un véritable « auto-nettoyage ethnique » mis en œuvre par les forces serbes elles-mêmes. Les Serbes récidiveront en 1996 dans les faubourgs de Sarajevo restés en dehors de la « République serbe », démontrant une fois de plus leur refus de vivre avec l’autre. Toutefois, un nombre relativement limité d’exactions graves ont été perpétrées, donnant lieu à de lourdes peines d’emprisonnement. Mais elles furent le fait de civils croates incontrôlés et sont intervenues après la fin des opérations dans un territoire où la situation n’était pas encore normalisée.

L’armée croate n’a cependant pas pratiqué la politique de la terre brûlée, s’efforçant d’épargner au maximum le patrimoine architectural national situé dans le périmètre du théâtre des opérations, notamment des lieux de culte serbes. Sur 121 églises orthodoxes, 10 subirent des « dommages collatéraux », suite aux opérations croates. Entre 1991 et 1995, sur un total de 158 églises catholiques situées dans ces mêmes territoires occupés, les paramilitaires serbes en ont entièrement démoli ou incendié 136 et sérieusement endommagé 10 autres(*).

Le gouvernement croate a multiplié les gestes d’apaisement, garanti dès 1991 une représentation parlementaire de la minorité serbe, promulgué en 1995 une loi d’amnistie. En janvier 1998, il acheva avec succès la réintégration pacifique de la Slavonie orientale, où les élus locaux serbes représentent pleinement les intérêts de leur communauté. A l’inverse des Serbes de la région de Knin, ceux de Slavonie ont, dans leur majorité, préféré rester en Croatie, où, entre 1995 et 1999, plus de 147 000 réfugiés croates et 57 000 réfugiés serbes ont retrouvé leurs foyers.

Il est aujourd’hui clair que ce sont bien les opérations menées par la Croatie qui facilitèrent, en septembre 1995, l’intervention aérienne de l’OTAN contre les Serbes de Bosnie. Ces actions conjuguées aux succès remportés au sol par l’alliance militaire de Zagreb et de Sarajevo acculèrent finalement Milosevic à signer la paix.

Or, après s’être emparés de 70 % de la Bosnie-Herzégovine, les Serbes (31 % de la population, majoritaires sur 41 % du territoire) se sont vu octroyer une « République serbe » s’étendant sur 49 % du territoire. Là aussi l’attitude constructive des Croates à Dayton permit d’aboutir à une solution : ils rétrocédèrent aux Serbes 2 000 kilomètres de territoire dans l’ouest de la Bosnie (permettant le retour rapide de 70 000 réfugiés serbes), lesquels acceptèrent alors de se retirer des positions étranglant Sarajevo.

La politique poursuivie par la Croatie contribua de manière décisive au retour des réfugiés et à la stabilisation de toute la région. Tandis que la Serbie de Milosevic porte la responsabilité d’avoir réintroduit la guerre en Europe comme moyen de réalisation des aspirations politiques.

Après avoir provoqué quatre guerres, loin de jouer le rôle de « gendarme des Balkans » auquel elle a longtemps prétendu, la Serbie - même opportunément maquillée en Yougoslavie croupion - incarne plus que jamais la déstabilisation de toute la région. La Croatie, au contraire, s’efforce chaque jour de mériter le qualificatif encourageant d’ « îlot de stabilité ».

NdlR : Sur l'ensemble du territoire croate, on a dénombré à la fin de la guerre au total 572  églises, 254 chapelles, 80 monastères et 100 cimetières détruits ou endommagés à des degrés divers par l'armée et les paramilitaires serbes. Parmi eux, 204 églises (65 paroissiales, 51 secondaires et 88 chapelles), 7 monastères et 15 cimetières ont été complètement détruits ou entièrement rasés.

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