« Cest l'heure de l'Europe », s'écrie le ministre luxembourgeois des affaires étrangères qui préside le Conseil européen quand les premiers affrontements éclatent entre Slovènes et Croates, d'une part, Serbes, d'autre part, au printemps 1991. L'Union européenne - on dit encore la Communauté européenne car le traité de Maastricht ne sera conclu qu'à la fin de l'année -, se fait fort de ramener au bercail les brebis yougoslaves égarées. L'espoir d'entrer dans l'Europe et de bénéficier de sa manne devrait mettre fin à leurs ardeurs guerrières. Avec un art du contresens qui ne les abandonnera guère au cours des années suivantes, les Européens déclarent qu'une « Yougoslavie unie et démocratique a les meilleures chances d'être intégrée harmonieusement dans la nouvelle Europe ». Au moment où ce communiqué est rendu public, les morceaux de la Fédération sont déjà épars.
Faute de pouvoir imposer leur volonté à toute la Yougoslavie, Slobodan Milosevic et les Serbes ont décidé de la dépecer. Le premier conflit de ces nouvelles guerres balkaniques est une pâle entrée en matière comparée à ce qui va suivre. L'Armée fédérale yougoslave s'en prend à la fin du mois de juin 1991 aux gardes-frontières de la Slovénie, qui vient de proclamer son indépendance en même temps que la Croatie. En réalité, le président serbe s'est entendu avec son collègue slovène, un communiste réformateur, et a déjà passé par profits et pertes la Slovénie, une république ethniquement homogène et économiquement en avance qui se considère étrangère aux Balkans, pour concentrer ses forces sur la Croatie et la Bosnie-Herzégovine.
« L'opposant » Vuk Draskovic explique que « les frontières des terres serbes s'étendent aussi loin qu'il y a des tombeaux serbes ». La Serbie revendique de nombreux « berceaux », en Bosnie, en Macédoine, au Kosovo... Les Serbes de Krajina se veulent les plus farouches défenseurs des valeurs nationales parce que leurs ancêtres ont défendu le monde chrétien contre les musulmans. Or justement ces Serbes qui se retrouvent dans la République de Croatie refusent de se plier au nouveau pouvoir. Faute de pouvoir rester yougoslaves, ils réclament leur rattachement à la Serbie.
La deuxième guerre de Milosevic peut commencer. L'Armée populaire yougoslave et les milices serbes prennent le contrôle de la Krajina sans égard pour les populations civiles. Vukovar est bombardée et détruite ; Dubrovnik est pilonnée. La communauté internationale s'inquiète. Les Américains , qui sortent à peine de la guerre du Golfe et qui surveillent les risques de dislocation de l'URSS, laissent les Européens tenter une négociation.
Le partage de la Bosnie
La troïka européenne réunit les chefs de la Yougoslavie en voie de décomposition. Ceux-ci multiplient les engagements qu'ils bafouent, à peine conclus. A travers les échanges d'obus, Slobodan Milosevic et son collègue croate Franjo Tudjman semblent liés par une complicité consacrée au début de l'année lors d'une réunion secrète à Karadjordjevo, en Voïvodine. Penchés sur une carte des Balkans, ils se sont partagé la Bosnie-Herzégovine.
Dans cette République vivent principalement trois communautés : des Serbes, des Croates et des Musulmans auxquels Tito, par souci d'équilibre, a accordé une « nationalité » au début des années 60. Le président bosniaque Alija Izetbegovic comme son collègue macédonien Gligorov se méfient de l'indépendance et plaident pour une refondation de la Yougoslavie dans laquelle leur Etat multiethnique pourrait survivre. Ils ne sont pas entendus. Si la Macédoine indépendante peut maintenir son intégrité, il n'en va pas de même en Bosnie-Herzégovine, où les Serbes ont boycotté le référendum sur l'indépendance.
C'est la troisième guerre de MIlosevic, celle qui sera la plus longue et la plus meurtrière. L'objectif est de détacher la Republika Srpska pour l'inclure dans une « Grande Serbie », en procédant à un nettoyage ethnique sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Tantôt ennemis, tantôt complices, les Croates intégreraient de leur côté l'Herceg-Bosna dans la république de Croatie, laissant les Musulmans déchirés entre la tentation du repli sur un Etat islamiste et la défense de la Bosnie multiculturelle.
Les premières interventions de la communauté internationale sont calamiteuses. Les casques bleus des Nations unies sont censés garantir une paix qui n'existe pas. Impuissants ou irrésolus, ils ne peuvent que dénoncer les crimes qu'ils ne peuvent pas empêcher. L'engagement des Américains et le sursaut des Européens, finalement indignés par les massacres, mettent en échec les plans de Milosevic et des alliés. Les accords de Dayton, de novembre 1995, sauvent les apparences d'une Bosnie-Herzégovine reconstituée autour de deux entités.
Obligé de battre en retraite à Sarajevo, Slobodan Milosevic semble préparer sa réintégration dans la communauté internationale. C'est pour mieux lancer sa quatrième campagne visant à purifier la « terre sacrée » des Serbes de ses dernières infidèles : les Albanais du Kosovo. A Dayton, il a refusé d'inclure dans les négociations cette province dont il avait supprimé l'autonomie en 1989, peu de temps après son arrivée au pouvoir.
Hésitations
Après quelques mois d'hésitations, la communauté internationale cesse en mars 1999 de poursuivre le jeu de dupes qu'elle avait accepté pendant des années en Bosnie. Echouant à imposer à Milosevic, par la négociation, le retour à une « autonomie substantielle » pour le Kosovo, l'OTAN décide de bombarder la Serbie, malgré l'opposition des Russes. Milosevic s'est trompé en pariant une fois encore sur la pusillanimité des Occidentaux. Ceux-ci se sont trompés en pensant que Milosevic céderait après quelques frappes bien placées. Les bombardements ont duré dix semaines, mais Milosevic a perdu sa dernière guerre.
Daniel Vernet