28/09/2000
ALLOCUTION
Le président Stipe Mesic au Conseil de l'Europe
Les
citoyens croates se sont prononcés pour une Croatie européenne
Dans
son discours prononcé le 28 septembre à la tribune de lAssemblée
parlementaire du Conseil de lEurope, le Président de la
République, Stjepan Mesic, a déclaré que les citoyens croates
avaient « montré quil souhaitent une Croatie européenne,
une Croatie où règnent la tolérance et les droits
de lhomme, la prospérité et la croissance économique. ».
Il a salué la fin du monitoring du Conseil de lEurope affirmant
que « la Croatie a réussi un nouvel examen de maturité »,
et soulignant quelle demeurait toutefois « non
seulement déterminée dans la mise en oeuvre de sa propre transformation
démocratique et économique, mais aussi résolue à exercer
son influence sur la transformation démocratique de la région ».
Monsieur
le Président,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de cette occasion qui mest donnée
dêtre votre hôte en qualité de Président de la République
de Croatie et de prendre la parole à ce titre devant les
parlementaires de la première organisation politique créée
après les horreurs de la deuxième guerre mondiale
dans le but de préserver et de promouvoir les libertés individuelles,
la liberté politique et lEtat de droit, les valeurs fondamentales
de la démocratie véritable et le pluralisme politique. Aujourdhui,
cinquante et un ans après sa fondation, nous avons conscience
que le Conseil de lEurope est la plus européenne des organisations
politiques de notre continent : les États européens en sont devenus
membres dans leur quasi-totalité, sengageant par là-même
à promouvoir et diffuser nos valeurs communes. Lun
des plus beaux exemples de la grandeur des travaux du Conseil
de lEurope est certainement celui de ladoption de
la Convention européenne des droits de lhomme et des libertés
fondamentales, dont nous allons célébrer le cinquantième
anniversaire en novembre.
Soyons
francs et reconnaissons quen dépit de loptimisme inhérent
à la nature humaine, rares étaient ceux qui pensaient que
le Conseil de lEurope connaîtrait une transformation aussi
rapide, que cette institution de la guerre froide se muerait en
forum de dialogue entre lEst et lOuest, puis, avec
le temps, en une organisation véritablement paneuropéenne. Nous
sommes donc très près de réaliser le souhait de
Sir Winston Churchill, ce grand homme dÉtat britannique
qui dès 1946 demandait publiquement pourquoi on ne pourrait
concevoir un groupement européen capable dinspirer un sentiment
de patriotisme élargi et de citoyenneté commune aux peuples désorientés
de ce continent turbulent et puissant, pourquoi il ne pourrait
prendre la place qui lui revient de droit aux côtés dautres
groupements et contribuer à modeler les destinées futures
des hommes.
Louverture,
la générosité et la persévérance du Conseil de lEurope devraient
servir de modèle aux autres organisations politiques européennes.
Je pense en particulier à lUnion européenne, où
lon est indubitablement conscient de la nécessité daccueillir
de nouveaux membres, mais où il existe aussi des courants
opposés, pour des raisons économiques ou autres, à un élargissement
sétendant à certains Etats anciennement socialistes
de notre continent. Je suis convaincu que les solutions partielles,
cest à dire louverture de lUnion européenne
à certains pays seulement, constituerait une injustice
majeure pour les nations des marches de lEurope occidentale
qui ont déjà tant souffert. Je crois, en fait, que tous
les États qui se sont sérieusement engagés dans la voie dune
véritable européanisation devraient avoir de réelles perspectives
dassociation avec lUnion européenne - une Union politico-économico-défensive
dans laquelle les petites nations auront leur place et pourront
apporter leur contribution à la cause commune.
Je
souhaite faire mienne la noble et généreuse pensée du philosophe
français Montesquieu : « Si je savais quelque
chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable
à lEurope, ou bien qui fût utile à
lEurope et préjudiciable au genre humain, je la regarderais
comme un crime ».
Stjepan Mesic,
président de la Croatie |
Au
nombre des pays qui se sont sérieusement attachés à ce
projet ambitieux, je peux sans hésitation aucune compter la Croatie,
dont le cheminement vers une participation pleine et entière
à la communauté internationale a été, on le sait, extrêmement
ardu. Dans ce contexte, rappelons-nous brièvement le drame
de la désintégration de
la Yougoslavie de Tito. La Croatie, qui était lune des
six républiques composant la République socialiste fédérative
de Yougoslavie, toutes égales en droit, a décidé de tourner
le dos à lidéologie communiste et à lautogestion
socialiste et de transformer sa société sur le modèle des
démocraties et des économies de marché de lEurope de lOuest.
Toutefois, les forces hégémoniques et nationalistes de Belgrade
se sont opposées aux aspirations à la liberté de la Croatie,
pour finir par recourir à lagression armée. Dès
cette époque nous savions quelles navaient pas pour
objectif le maintien de la Yougoslavie, mais la création dune
Grande Serbie
« ethniquement pure » - projet insensé, barbare
et, heureusement, avorté. La guerre imposée par lArmée nationale
yougoslave et les dirigeants de Belgrade, la perte temporaire
dun tiers du territoire national, le nettoyage
ethnique massif, le déplorable conflit entre Croates et Bosniaques
pourtant tous deux victimes de lagression grand-serbe menée
contre la Bosnie-Herzégovine, et la charge de centaine de milliers
de réfugiés ont considérablement ralenti le rythme de lévolution
démocratique de la Croatie et entravé sa transformation économique.
Ma dernière visite au Conseil de lEurope en qualité
de Président du Parlement croate, fin 1993, reflétait toute la
complexité de la situation de ce pays à lépoque.
Au
prix defforts considérables notre pays est néanmoins parvenu
à sortir victorieux du conflit armé. Avec la restauration
de lintégrité territoriale - processus qui a pris sept ans
! - les conditions dune libéralisation de la société croate
étaient enfin réunies. Malheureusement lancien gouvernement
croate navait pas la force, et peut-être pas même
la volonté, de pousser plus loin la démocratisation de la société
et les réformes économiques dont la population croate appauvrie
et terriblement éprouvée avait tant besoin. Les élections parlementaires
et les présidentielles de janvier
et de février ont montré que les citoyens nétaient pas disposés
à suivre un chemin tourné vers le passé. Ils ont montré
au contraire quils regardent vers lavenir et ont clairement
exprimé leur volonté de voir rapidement mises en oeuvre les réformes
sociales et économiques urgentes, révélant ainsi le vaste potentiel
démocratique du pays. Ils ont montré quil souhaitent une
Croatie européenne, une Croatie
où règnent la tolérance et les droits de lhomme,
la prospérité et la croissance économique.
Je
suis très fier de voir que les citoyens de mon pays sont
prêts à relever le défi dune transformation
économique et sociale de grande ampleur. Malheureusement, la restructuration
de léconomie se traduira, dans un premier temps, par de
nombreux licenciements; plus tard, néanmoins, elle conduira sans
aucun doute à la création de nouveaux emplois et à
lamélioration de lenvironnement de travail. Le Gouvernement
croate est parfaitement conscient de la gravité de cette tâche
ingrate et impopulaire; il sait bien quune évolution démocratique
constante et fructueuse du pays est la clé du développement dune
économie moderne et efficace. Seules les sociétés prospères,
ou appelées à le devenir, peuvent offrir une assise solide
au renforcement de lordre démocratique et de lEtat
de droit, ainsi quune barrière contre lextrémisme
politique.
A
cet égard - cela va sans dire - la Croatie compte sur lassistance
étrangère. En effet, bien quelle ne souffre pas de
privations, elle aura besoin des compétences et des capitaux de
partenaires étrangers et dorganisations internationales
pour transformer rapidement et efficacement son économie. Permettez-moi
à cette occasion de souligner que la Croatie ne demande
pas la charité ni de cadeaux, mais des investissements étrangers
directs afin de mettre en valeur ses importantes ressources naturelles
et économiques. Pour comprendre combien un tel soutien est important,
il suffit dobserver les pays dEurope occidentale qui,
grâce à la reconstruction et à létroite imbrication
de leurs économies, ont pu renforcer et, parfois, créer des systèmes
politiques inspirés par les valeurs de la démocratie libérale.
Il nest donc pas étonnant que la Croatie attende beaucoup
du nouveau programme CARDS de lUnion européenne ainsi que
des mécanismes du Pacte de stabilité pour lEurope du Sud-Est,
dans lesquels elle joue un rôle de plus en plus important. Nous
sommes bien entendu reconnaissants à la Banque de développement
social du Conseil de lEurope davoir approuvé des prêts
destinés à remettre en état linfrastructure sociale
dans les zones touchées par la guerre et à favoriser le
retour des personnes qui avaient été contraintes de quitter leurs
foyers. Nous espérons également quelle jouera, comme dans
dautres pays, un rôle important dans le développement des
petites et moyennes entreprises, contribuant ainsi à résoudre
le problème du chômage.
Les
réformes entreprises par le nouveau Gouvernement
croate ne se limitent cependant pas à léconomie.
Les citoyens de la Croatie espèrent aussi une transformation
sociale. En effet, ils ont montré quils voulaient vivre
dans une communauté dont lidentité est principalement fondée
sur la volonté de ses membres de partager le même destin.
La nouvelle Croatie, sûre delle et triomphante, ne
craint pas le retour des citoyens croates de souche serbe qui
ont quitté le pays sils désirent sincèrement sintégrer
dans la société croate et partager le destin de leurs compatriotes,
cest-à-dire sils considèrent véritablement
la Croatie comme leur mère patrie. De toute évidence, la
transformation de notre société ne va pas sans douleur, elle se
heurte à la résistance de certains groupes de la population
croate. Actuellement, cette résistance se manifeste de manière
criante à loccasion du réexamen de certains événements
liés à la Guerre patriotique, lun des éléments fondateurs
de lidentité de la République de Croatie. Toutefois, une
Croatie tournée vers lEurope doit avoir suffisamment de
force et de maturité, et faire face aux éventuels aspects négatifs
de notre lutte positive pour la liberté et lindépendance.
Il appartient bien entendu à la justice croate denquêter
sur les crimes qui ont pu être commis et, sils sont
avérés, de sanctionner les coupables. Toute autre ligne de conduite
serait contraire au principe de la prééminence du droit et éloignerait
la Croatie de la famille européenne incarnée au premier chef dans
le Conseil de lEurope.
Les
changements qui se sont produits en Croatie ne concernent pas
seulement la politique intérieure. Les résultats les plus spectaculaires
dont la nouvelle Croatie peut senorgueillir ont été obtenus
dans le domaine de la politique étrangère.
Conformément au principe de la prééminence du droit, nous avons
établi une coopération étendue avec le Tribunal pénal international
pour lex-Yougoslavie. Nous avons largement révisé notre
politique à légard de la Bosnie-Herzégovine voisine
et nous respectons pleinement sa souveraineté et son intégrité
territoriale, ce qui suppose un financement transparent des institutions
des Croates de Bosnie-Herzégovine. Nous facilitons le retour de
tous les réfugiés, sans discrimination - le retour des Croates
et des Bosniaques en Bosnie-Herzégovine, comme le retour des Serbes
de Croatie dans les foyers quils avaient abandonnés par
suite de la débâcle de la politique impérialiste de Milosevic.
Nous avons commencé à jouer un rôle actif et constructif
dans le Pacte de stabilité pour lEurope du Sud-Est en mettant
à profit ses mécanismes pour financer le retour des réfugiés
et la reconstruction des zones dévastées par la guerre. Enfin,
il convient de mentionner nos relations véritablement exemplaires
avec nos trois voisins du nord-est, lItalie, la Slovénie
et la Hongrie, avec lesquels nous coopérons depuis peu dans le
cadre dune "Quadrilatérale".
Le régime frontalier, qui permet aux citoyens des quatre pays
de passer de lun à lautre en présentant simplement
leur carte didentité à la frontière, de même
que les accords, salués par la communauté internationale, sur
la protection mutuelle des droits des minorités
que la Croatie a conclus avec lItalie et la Hongrie, illustrent
bien les liens étroits de collaboration et de confiance mutuelle
qui nous unissent.
A
linstar de la communauté internationale dans son ensemble,
la Croatie suit de très près lactualité politique
dans le pays voisin, la République fédérale de Yougoslavie. Nous
aimerions la voir abandonner dès que possible le chemin
du nationalisme et de lisolement et monter dans le train
de la démocratie véritable et de la tolérance, afin que nous puissions
établir de bonnes relations de voisinage et contribuer, ce faisant,
à la stabilisation de la région. Nous attendons de la part
dune République fédérale de Yougoslavie « démocratisée »,
une attitude constructive dans le règlement du problème
de la succession dans lex-Fédération yougoslave, cest-à-dire
le respect du principe selon lequel tous les États successeurs
ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Cela
signifie, bien sûr, que la République fédérale de Yougoslavie
ne saurait hériter doffice de la place de lex-Fédération
yougoslave aux Nations unies et au sein dautres organisations
internationales et quil lui faut se soumettre aux mêmes
procédures dadmission que celles sappliquant aux autres
États successeurs.
La
nouvelle orientation de la politique
étrangère de la Croatie a reçu lapprobation de
la communauté internationale qui na guère tardé à
récompenser les efforts du gouvernement croate. Fin mai, à
la réunion ministérielle des membres du Conseil de lAtlantique
Nord à Florence, la Croatie a été admise au sein du Partenariat
pour la paix, lantichambre de la principale alliance de
défense de nos jours. Quelques semaines plus tard, le Conseil
ministériel de lUnion européenne a accepté létude
de faisabilité concernant les négociations de lAccord sur
la stabilisation et lassociation entre la Croatie et lUnion
européenne qui seront engagées en novembre. En juillet, la Croatie
a signé le Protocole dadmission à lOrganisation
mondiale du commerce, devenant ainsi membre dune organisation
qui traite quasiment 90 % du commerce mondial.
Le
dernier acquis en date est la décision de votre assemblée, adoptée
il y a deux jours, de mettre un terme au processus
de monitoring en Croatie. Permettez-moi de saisir cette occasion
pour remercier les rapporteurs de lAssemblée parlementaire
du Conseil de lEurope, Mme Maria Stoyanova et M. Jerzy Jaskierna,
de sêtre employés à élaborer un rapport équilibré
et circonstancié qui souligne les progrès continus dans
linstauration et le développement de la démocratie et de
lEtat de droit sans omettre les problèmes encore
en suspens. Il va sans dire que lactivité fructueuse de
ces deux rapporteurs a été facilitée par lengagement de
leurs prédécesseurs, Mme Hanna Suhotska et MM. Gunnar Jansson
et Jan Figel.
Monsieur
le Président,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Pour la Croatie, la fin du monitoring de
lAssemblée parlementaire du Conseil de lEurope signifie
quelle a réussi un nouvel examen de maturité, ce qui ne
signifie pas pour autant que nous cesserons de renforcer le régime
démocratique et lEtat de droit. Au contraire, nos manches
resteront retroussées pour répondre dans les meilleurs délais
aux obligations restantes et pour aligner notre législation sur
les normes européennes. Dans les efforts que nous allons déployer,
nous comptons, comme nous lavons toujours fait jusquici,
sur laide précieuse des experts du Conseil de lEurope.
A ce propos, permettez-moi de vous signaler que la Croatie a récemment
promulgué deux lois sur les minorités
nationales et quelle en élabore une troisième
qui, comme les deux précédentes, a été transmise à la Commission
de Venise pour avis. Tout ceci prouve que la Croatie considère
la communauté internationale comme un partenaire véritable.
Lattitude
à légard des minorités nationales est assurément
lune des illustrations les plus éloquentes de notre volonté
dinstaurer la démocratie, la tolérance et des relations
de bon voisinage. Les minorités nationales doivent être
un précieux élément de promotion de la coopération internationale,
elles ne sauraient être un prétexte pour revendiquer des
territoires dautres États. Les faits tragiques dont nous
avons été récemment les témoins dans lex-Yougoslavie, nillustrent-ils
pas de manière flagrante lincidence funeste dune
telle conception ?
La
communauté internationale et lopinion publique ont découvert,
si je puis mexprimer ainsi, une nouvelle Croatie qui, en
dépit de difficultés bien compréhensibles, continue à se
frayer son chemin vers un avenir meilleur. Tous nos amis, et les
autres sceptiques bienveillants, peuvent être assurés que
notre formidable volonté de réforme ne faiblit pas le moins du
monde. La Croatie demeure non seulement déterminée dans la mise
en oeuvre de sa propre transformation démocratique et économique,
mais aussi résolue à exercer son influence sur la transformation
démocratique de la région qui, hélas, a souffert depuis trop longtemps
de la violence, des conflits, de lintolérance et de la régression
économique.
Chers
amis, membres de lAssemblée parlementaire du Conseil de
lEurope, il nest pas nécessaire, me semble-t-il, de
souligner que la Croatie continue de compter sur votre aide afin
que nous puissions oeuvrer ensemble à laccélération
du processus de stabilisation et deuropéanisation de cette
Europe du Sud-Est qui souffre depuis si longtemps, et faire nôtre
ainsi la noble et généreuse pensée du philosophe français Montesquieu
: « Si je savais quelque chose utile à ma
patrie et qui fût préjudiciable à lEurope,
ou bien qui fût utile à lEurope et préjudiciable
au genre humain, je la regarderais comme un crime. »
Je
vous remercie de votre attention.
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