Le malheur de la Croatie et de la Bosnie, c'est
d'être situées de l'autre côté d'une
ligne dont, il y a un peu plus de trois ans, tous les habitants
du Vieux Monde célébraient avec ferveur la disparition.
L'Europe de l'Ouest, en effet, se réjouit que l'Europe
ne soit plus partagée, mais elle décline les responsabilités
qu'implique cette nouvelle donne. Le soviétisme est tombé,
Yalta demeure.
Les "munichois" avaient l'excuse
de la peur
Pour dénoncer l'immobilisme ou l'embarras
des Douze, on a évoqué Munich. Cette comparaison
est encore trop flatteuse. Les "munichois", au moins,
avaient l'excuse de la peur. Or Slobodan Milosevic ne menace aucun
des pays de la Communauté. Son projet expansionniste conduit
la Serbie jusqu'à l'Adriatique, mais pas au-delà.
Ce n'est donc pas la peur qui anime nos dirigeants, c'est tout
simplement l'égoïsme.
Seulement voilà : le temps n'est plus au
sacro egoismo. Cette attitude bafoue les principes humanistes
et universalistes dont l'Europe se réclame à longueur
de discours.
Que faire pour sortir de la contradiction ? Comment
justifier une application aussi cruelle de la préférence
nationale ? La France, qui n'a pas de pétrole mais qui
a des idées, a résolu le problème.
Camoufler la démission politique
Après avoir inventé le droit d'ingérence
humanitaire pour camoufler la démission politique devant
l'invasion d'Etats reconnus et l'élimination de peuples
indésirables, elle a fait voter par l'Assemblée
générale des Nations unies la création d'un
tribunal international qui réunira le double prodige de
ne juger personne puisqu'il se refuse les moyens d'arrêter
les coupables, et de juger tout le monde _ victimes aussi bien
qu'agresseurs, _ puisque, à la différence du tribunal
de Nuremberg, il n'aura pas à se prononcer sur les agissements
d'un Etat criminel mais beaucoup plus vaguement, et à seule
fin de donner à l'amalgame la caution du droit, sur les
violations des droits de l'homme pendant la guerre dans l'ancienne
Yougoslavie.
C'est ainsi que l'Europe des Douze peut maintenir
et consolider son inavouable frontière tout en se flattant
de faire entrer le monde dans l'ère du sans-frontiérisme,
de la justice planétaire et de la solidarité.