Libération, 18/02/2004

REVUE DE PRESSE

PORTRAIT
La Torah par les cornes
Kotel Dadon, 36 ans, grand rabbin de Croatie depuis six ans, travaille à la renaissance de la communauté juive, en voie d'extinction depuis la Seconde Guerre mondiale.

Par Thomas HOFNUNG

Heureux comme un rabbin en Croatie, qui ne voulait pas le devenir. A son arrivée, au milieu des années 90, à Zagreb, la capitale d'une nation catholique, voire papiste, jusqu'à la moelle, constamment renvoyée à son passé pronazi durant la Seconde Guerre mondiale, Kotel Dadon s'était donné un an. Un an, pas un jour de plus, avant de s'en retourner chez lui, en Israël, pour y exercer son premier métier, celui d'avocat. Six ans plus tard, ce barbu de 36 ans au regard malicieux masqué par de fines lunettes, ne se fixe plus de limite. Trop absorbé qu'il est par son «grand oeuvre», «peut-être la chose la plus importante que je ferai dans ma vie». Kotel Dadon a décidé de contribuer à la renaissance d'une communauté juive qui était en voie d'extinction au coeur de ce Vieux Continent à nouveau vilipendé, en Israël, pour son indulgence supposée à l'égard de l'antisémitisme. Un colloque autour de Romano Prodi se tient sur le sujet aujourd'hui à Bruxelles.

Kotel Dadon, grand rabbin de Croatie
Kotel Dadon, grand rabbin de Croatie | photo Ziyo Gafic

Le père de Kotel Dadon, un juif séfarade originaire de Casablanca (Maroc), l'avait pourtant prévenu. Il y a deux métiers, lui avait-il dit, à éviter absolument : ceux de rabbin et de chef cuisinier. «Dans les deux cas, tu ne peux jamais satisfaire tout le monde !» De la limite (ou de l'influence détournée) de l'autorité du paternel sur deux de ses trois rejetons : l'un officie aujourd'hui en cuisine dans un palace d'Eilat, la grande ville balnéaire d'Israël ; l'autre est devenu le premier grand rabbin de Croatie depuis la Shoah. «Un vrai défi», reconnaît sobrement Kotel, dont le prénom signifie «Mur des lamentations» en hébreu. Il est né fin 1967, au lendemain de la conquête par Tsahal de Jérusalem-Est, où se situe cet unique vestige du temple de Salomon. Aujourd'hui, depuis Zagreb, il dit prier pour la paix entre Israéliens et Palestiniens qui doit passer par des «concessions douloureuses des deux côtés».

KOTEL DADON EN 7 DATES

1967. Naissance à Jérusalem, au lendemain de la guerre des Six Jours.
1995. S'installe à Budapest pour poursuivre des études de droit. Fin de la guerre en Croatie et en Bosnie.
1995-1998. «Rabbin invité» à Zagreb par la communauté juive croate.
Début 1998. Accepte «pour un an» d'assumer les fonctions de grand rabbin de Croatie, le premier depuis la Seconde Guerre mondiale.
Fin 1999-début 2000. Mort de Franjo Tudjman, victoire de l'opposition de centre gauche aux législatives.
Septembre 2003. Ouverture d'une école juive à Zagreb.
Novembre 2003. Retour au pouvoir du HDZ.

Rien, a priori, ne le prédestinait à veiller sur la petite communauté des juifs croates, composée de 3 000 membres (dont la moitié dans la capitale croate), contre 24 000 avant la Seconde Guerre mondiale. Kotel Dadon a suivi de concert un cursus de droit à Tel-Aviv et des études rabbiniques dans une yeshiva (école religieuse). En 1995, il s'installe à Budapest (Hongrie), la ville natale de son épouse rencontrée en Israël, pour y parfaire sa connaissance du droit européen. Mais il est repéré. Contacté par l'organisation juive américaine Joint Distribution Committee (1), il accepte de «dépanner» les juifs de la Croatie voisine, un pays qu'il ne connaît pas, en dirigeant les grandes cérémonies du calendrier juif (Yom Kippour, le jour du Grand Pardon, et Roch Hachana, le nouvel an). «Peu à peu, j'ai tissé des liens avec eux. Les juifs croates sont plus chaleureux que les Hongrois, plus proches de la mentalité des Israéliens.» La greffe prend : les responsables locaux de la communauté lui proposent de devenir leur rabbin. Il accepte, s'installe en 1998 et se met aussitôt au croate, une langue que ce polyglotte maîtrise aujourd'hui au même titre que l'anglais, l'arabe et le hongrois.

En prenant quelques mois plus tard ses quartiers au Centre juif de Zagreb, rue Palmoticeva, dans le vieux quartier austro-hongrois de la ville, l'ex-avocat s'emploie d'abord à remettre un peu d'ordre dans un troupeau dégarni et anarchique, en voie d'assimilation accélérée. La Seconde Guerre mondiale, suivie par quarante ans de communisme, a porté un coup presque fatal à toute pratique religieuse juive en Croatie. La communauté a été décimée par les oustachis d'Ante Pavelic, l'éphémère dirigeant de l'Etat de Croatie indépendante (1941-1945), allié des nazis. A quelque 80 kilomètres de Zagreb se dressait l'«Auschwitz croate», le camp de Jasenovac, rasé à la fin de la guerre. Plusieurs milliers de juifs y ont péri. «Il ne se passe pas un mois sans que je commémore le souvenir d'un massacre de juifs dans ce pays», confie le rabbin. Sur un mur de son bureau trône une photo sépia : celle de l'ancienne synagogue de la capitale croate, détruite par les oustachis à leur arrivée au pouvoir. Un terrain reconverti en parking que les autorités de Zagreb ont récemment restitué à leurs anciens propriétaires.

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Kotel Dadon a dû tout reprendre de zéro. Notamment rappeler quelques règles élémentaires : on ne mange pas de porc et la crémation est interdite chez les juifs pratiquants. Traduire phonétiquement les prières du sabbat en croate pour que l'assistance, très clairsemée, puisse suivre et reprendre en choeur les chants. Mettre en place le kasherout pour fournir une alimentation «orthodoxe» aux fidèles. Et, tâche sans doute la plus délicate, séduire les récalcitrants au sein de cette petite communauté sécularisée. «Avant mon arrivée, certains disaient à ceux qui insistaient sur la nécessité d'avoir un rabbin à Zagreb : "Faisons-le venir pour être sûrs que nous n'en avons pas besoin"...», rigole-t-il.

Mais Kotel Dadon est resté. Il a pris goût à ses nouvelles fonctions au sein d'un pays encore marqué par la dernière guerre, celle avec les Serbes (1991-1995), qui a fait environ 20 000 victimes en Croatie. Le rabbin est grisé par les «premières fois» qu'il collectionne comme autant de trophées : les deux premiers mariages religieux depuis l'Holocauste qu'il a récemment célébrés en Croatie, la première circoncision religieuse, celle de son troisième fils, né à Zagreb (le premier a vu le jour en Israël, le deuxième en Hongrie), les premières bar-mitsva (communions juives). Mais, plus que tout, c'est l'ouverture, en septembre, d'une classe de dix élèves de cours préparatoire au sein d'une toute nouvelle école juive «Lauder-Lea Deutsch», qui fait sa fierté. «Chaque année, nous ouvrirons une nouvelle classe. Avec cette institution, nous allons assurer la pérennité de la communauté en Croatie», prophétise-t-il. Le rabbin espère aussi assister à la construction d'une nouvelle synagogue à Zagreb.

« Je me sens à l'aise. Dans ce pays, les juifs ne sont pas en butte à l'antisémitisme »

Kotel Dadon

Malgré le retour en force, lors des législatives de novembre dernier, des nationalistes du HDZ (Communauté démocratique croate), Kotel Dadon se dit serein. Le parti fondé par le «père de l'indépendance croate», Franjo Tudjman, s'est pourtant construit, dans les années 90, sur l'idée d'une réconciliation avec les anciens oustachis au nom de l'«unité nationale». Avant sa mort, fin 1999, Tudjman avait même évoqué la possibilité d'enterrer à Jasenovac les restes de soldats de Pavelic aux côtés des restes de leurs anciennes victimes, une idée finalement abandonnée sous la pression de la communauté internationale.

«Je me sens à l'aise. Dans ce pays, les juifs ne sont pas en butte à l'antisémitisme, contrairement à ce qui se passe chez vous, en France ou en Belgique, où l'on donne des leçons de morale et de droits de l'homme aux anciens pays socialistes de l'Est.» Depuis son installation en Croatie, Kotel Dadon affirme n'avoir reçu qu'une poignée de lettres d'insultes. A Zagreb, il se promène dans les rues avec sa kippa noire perpétuellement vissée sur le crâne. «Si je ne le fais pas, qui le fera ?»

(1) Fondé en 1914 aux Etats-Unis, le Joint Distribution Committee s'est donné pour mission d'aider les communautés de la diaspora juive menacées ou en difficulté.
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